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La saisie pénale des sommes d’argent sur un compte bancaire. Par Jamel Mallem, Avocat.
Parution : lundi 29 juillet 2019
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En matière pénale, alors même que l’intéressé n’est ni jugé coupable, ni mis en examen, ou ni placé en garde à vue, il peut faire l’objet d’une saisie pénale des sommes d’argent sur son compte bancaire.

Comment procéduralement s’effectue cette saisie pénale ?

Le premier texte : l’article706-53 du Code de procédure pénale prévoit cette hypothèse au cours d’une enquête de flagrance ou d’une enquête préliminaire, c’est-à-dire en cours d’enquête pénale, sans qu’il ne soit exigé que l’intéressé propriétaire des biens soit préalablement placé en garde à vue, ou entendu comme suspect dans le cadre d’une audition libre, ou même ait la qualité de prévenu (c’est-à-dire la situation dans laquelle on lui reprocherait d’être impliqué dans la commission d’une infraction).

Il va de soi que l’intéressé n’est même pas jugé coupable puisque dans cette hypothèse, l’on est qu’au stade de l’enquête pénale.

Si l’on se retrouve dans le cadre d’une enquête pénale, donc couverte par le secret (article 11 du Code de procédure pénale), à laquelle l’intéressé n’est pas censé avoir accès au dossier, et ce quelle que soit sa qualité, le Procureur de la république saisit le JLD (juge des libertés et de la détention) par requête.

Ce JLD doit rendre une décision motivée (une ordonnance) ordonnant la saisie, aux frais avancés du trésor, des biens ou droits incorporels, à la condition que la confiscation de ces biens soit prévue par l’article 131-21 du Code pénal.

Au cours de l’information judiciaire, le Juge d’Instruction peut également ordonner cette saisie dans les mêmes conditions.

Cette Ordonnance est ainsi portée à la connaissance du procureur de la République, au propriétaire du bien et aux personnes ayant des droits sur ce bien.

Par déclaration au greffe du Tribunal correctionnel, et dans un délai de dix jours à compter de sa notification, cette décision judiciaire peut être déférée à la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel ou même au Président de cette chambre de l’instruction (nouveauté de la Loi du 23 Mars 2019).

Cet appel n’est pas suspensif.

L’appelant n’aura à sa disposition que les seules pièces de la procédure, qui se rapportent à la saisie pénale, c’est-à-dire qu’il n’aura pas d’autres informations concernant l’enquête pénale.

S’ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers (qui ont des droits sur ce bien) peuvent être entendus par la chambre de l’instruction de la Cour d’Appel ou même par Président de cette chambre de l’instruction (nouveauté de la Loi du 23 Mars 2019), mais ils ne pourront disposer de la communication d’aucune pièce de la procédure.

Mais, plus particulièrement, s’agissant de la saisie de sommes d’argent sur le compte bancaire, l’article 706-154 du Code de procédure pénale prévoit un dispositif plus souple et dérogatoire des dispositions du texte précédent l’article 706-153.

En effet, l’OPJ (officier de police judiciaire) peut être autorisé à procéder, aux frais avancés du Trésor Public, à la saisie d’une somme d’argent sur un compte ouvert auprès d’un établissement bancaire.

Pour ce faire, il a besoin d’être autorisé par le Procureur de la République (peu importe le moyen), si l’on est dans le cadre d’une enquête pénale.

Au cours d’une information judiciaire, il doit être autorisé par le juge d’instruction (par tout moyen).

Ensuite, le procureur de la république ou le juge d’instruction doit saisir le JLD, qui doit se prononcer par une ordonnance motivée sur le maintien de la saisie ou sa main levée dans un délai de 10 jours, à compter de la saisie.

Comme précédemment, l’ordonnance doit être notifiée aux mêmes personnes, qui disposent du même délai de dix jours, par déclaration au greffe du tribunal, pour déférer cette décision, uniquement à la chambre de l’instruction. L’accès aux seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie pénale s’effectue comme précédemment.

Cette saisie s’applique indifféremment à l’ensemble des sommes inscrites au crédit sur le compte bancaire, et à concurrence, le cas échéant, du montant indiquée dans la décision de saisie.

Dans une espèce :

Monsieur Z est titulaire d’un compte bancaire créditeur. Selon un PV de la DRPJ (Direction Régionale de la Police Judiciaire) du 25/09/2017, un OPJ saisit le solde créditeur de ce compte bancaire à concurrence de 67.000 €.

Par requête du 27/09/2017, le Procureur de la République saisit le JLD, qui, par ordonnance du 04/10/2017, ordonnance la saisie pénale de cette somme.

Par déclaration au greffe du 11/10/2017, l’intéressé relève appel de la décision.

En appel, dans la procédure suivie contre lui des chefs d’abus de biens sociaux, recel, escroquerie et blanchiment, Monsieur Z. soulève deux irrégularités de procédure devant la chambre de l’instruction.

1/ D’une part, ayant eu accès aux seules pièces touchant à la procédure de saisie pénale, il constate qu’aucune pièce de la procédure ne matérialisait l’autorisation, qui devait être donnée par le Procureur de la République à l’OPJ pour procéder à la saisie opérée le 25/09/2017. Tout au plus, le seul élément d’instruction du procureur se révélait être sa requête de saisine du 27/09/2017 du JLD.

2/ D’autre part, l’ordonnance rendue par le JLD ne mentionnait pas le maintien de la saisie opérée le 25/09/2017 ou sa main levée, mais ordonnait la saisie, alors que celle-ci avait déjà été ordonnée le 25/09/2017.

Par un arrêt du 23 Mai 2018, la chambre de l’instruction rejetait ces deux moyens de nullité, aux motifs que le Procès-verbal de saisie opérée par l’OPJ mentionnait bien qu’il avait agi « selon les instructions du procureur de la république », que cette saisie avait été bien validée dans le délai de 10 jours par l’ordonnance du JLD du 04/10/2017 et enfin qu’il ne peut être tiré aucun grief d’une erreur de terminologie lorsque le JLD a improprement ordonné la saisie au lieu de la maintenir.

La chambre de l’Instruction considère donc la procédure a été régulièrement respectée et que la saisie opérée sur le compte bancaire de Monsieur Z. est bien celle prévue par l’article 706-53 du Code de procédure pénale et plus précisément celle dérogatoire de l’article 706-54 du même Code.

Saisie d’un pourvoi en cassation, la Cour de Cassation le rejette, estimant que la chambre de l’instruction a justifié sa décision :
- Considérant que le Procureur de la République peut autoriser par tout moyen l’OPJ à saisir les sommes versées sur un compte bancaire ;
- Considérant que les décisions du JLD maintenant ou ordonnant la saisie ont l’une et l’autre pour objet de rendre indisponible le bien saisi, et que le demandeur ne saurait faire valoir un grief, dans la mesure où l’ordonnance du JLD, ayant ordonné la saisie, a été prise dans le respect des garanties prévues par l’article 706-154 du Code de procédure pénale.

Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 avril 2019, n° 18-84.082 ;
Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 avril 2019, n° 18-84.057 ;
Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 avril 2019, n° 18-84.081 ;
Cour de cassation, Chambre criminelle, 17 avril 2019, n° 18-84.058.

Jamel MALLEM Avocat au Barreau de Roanne www.mallem-avocat.com https://www.facebook.com/jamel.mallem.1 https://twitter.com/mallemavocat SELARL Mallem-Kammoussi-Christophe
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