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Au fond, qu’est-ce qu’une vraie innovation en Direction juridique ?
Parution : jeudi 22 août 2019
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En préparation du 4ème Village de la Legaltech qui se tiendra à Paris les 26 et 27 novembre 2019 [1], le Village de la Justice parcourt les grands enjeux placés au coeur du sujet et du salon cette année.
Après "La Legaltech n’est pas ce que vous croyez.", nous abordons le second sujet : l’innovation en Directions juridiques -mais la profession d’avocat est aussi concernée par le sujet.

Si le terme "innovation“ est tendance, il recouvre des pratiques évidemment différentes dans les directions juridiques, dont les effectifs varient de un à plusieurs centaines de juristes. Mais l’innovation est-elle seulement une affaire de moyens ?
Rappelons quelques fondamentaux et posons-nous quelques questions.

L’innovation a pour but de créer une offre nouvelle et compétitive en générant un avantage durable (et compétitif dans les activités concurrentielles), une valeur ajoutée singulière. Elle apporte donc une réponse originale et performante aux besoins des directions juridiques, qui pour l’essentiel innovent sur les domaines technologique et organisationnel.

Lors du Prix annuel de l’innovation en management juridique du Village de la justice, nous voyons des innovations associant les deux le plus souvent, mais dans un but avant tout organisationnel : "digitaliser" la direction juridique pour se concentrer sur des missions de conseil de valeur, davantage que sur du conseil courant ou du traitement récurrent, ou encore trouver une nouvelle organisation des équipes juridiques pour dégager du temps et des moyens pour "aller vers" les autres directions et renforcer le rôle de conseil interne (tous les juristes rêvent de délaisser le rôle éreintant du pompier !).
Parfois l’on trouve d’autres motivations, autour de l’adhésion aux valeurs et fonctionnements de l’entreprise, notamment dans les secteurs très liés aux technologies.

Un point commun se dessine parmi les nombreuses innovations, "l’expérience" améliorée...

Un point commun se dessine, "l’expérience" améliorée, que ce soit celle des juristes ou celle de leurs clients internes, et cela va de nouvelles façons de travailler en équipe jusqu’à d’autres façons de former les opérationnels en faisant passer les messages autrement (gamification, numérisation des outils d’échange, chatbot...).

Il faut dire que les Directions juridiques sont face à de nombreuses mutations, liées aux évolutions juridiques, à celles des ressources humaines et compétences, à l’internationalisation ou à leurs nouveaux rôles dans la stratégie et responsabilité de l’entreprise -des rôles appelés de leurs vœux, comme le fait de devenir "business partner", mais très impliquants.

Comment sont liées l’innovation et la Legaltech ?

A l’heure des legaltech, n’y-a-t-il pas quelque confusion entre adoption de la technologie et innovation ? La technologie à elle seule apporte-elle l’innovation ?

Pour en savoir plus, nous avons échangé sur ces questions avec Jean-Marie Valentin, ancien avocat et créateur de la legaltech Legalcluster qui propose un outil collaboratif - voire communautaire- autour des besoins de recherche d’experts d’un sujet, de données, de workflow et d’outils juridiques. Un outil qui vise à valoriser "l’humain en réseau", mais aussi la technologie car le système cherche à apprendre des interactions entre les équipes pour devenir de plus en plus performant dans la mise en relation des interlocuteurs et la remontée d’informations pertinentes.
Pour Jean-Marie Valentin, la technologie et l’investissement ont un vraie rôle dans l’innovation, et il différencie le "change" de "l’innovation".

"Il faut différencier le "change" (on améliore le processus au fur et à mesure) et l’innovation" (on crée une rupture et un avantage concurrentiel). "L’innovation est souvent envisagée, mais pas les budgets, et là il y a une erreur de moyens !" Rien n’empêche d’adopter une démarche d’amélioration continue en "pas à pas" (mode "change"), mais ce type de processus ne permet pas vraiment de changer en profondeur une organisation - ce n’est d’ailleurs pas son but.

Mais ne peut-on innover en "low-tech" ou comme l’on disait encore récemment, en "innovation frugale" [2] ?
"En fonction de l’enjeu stratégique pour la Direction juridique et l’entreprise, l’investissement n’est pas identique. Si l’on veut être ouvert à d’autres technologies de l’entreprise ou à venir, être ouvert à toutes les possibilités de gouvernance, d’inter-relations avec d’autres directions... alors il n’y a pas de "low tech“ sur ces sujets de développement avancés, du fait même du "temps homme" nécessaire au développement."

Il n’y a pas de "low tech“ pour les innovations fortes dans les directions juridiques.

Il faut donc investir si l’on veut être à la hauteur des enjeux et mettre en place une technologie compatible avec les standards extérieurs au juridique, puisque justement le but est de s’insérer dans un monde numérique global.
"Il y a trop de technologies non maintenues dans les Directions juridiques, des tests qui ne sont pas compatibles avec les standards actuels. Et du coup ça coince rapidement au bout de quelques mois ou années."

"L’aspect frugal de l’innovation ne tient pas dans la technologie à brider, mais dans l’adoption d’une technologie existante et éprouvée, personnalisée pour le service juridique ou le cabinet d’avocat. Pour obtenir un effet de levier significatif et sauter une marche, il faut adopter des standards maintenables et connectés et leur ajouter une dimension "métier" sur mesure, créer des usages avancées des technologies éprouvées pour répondre aux besoins."

Envisager le recours à la legaltech sans investissements raisonnables avec comme objectif d’aller plus vite ou de réduire les coûts, serait donc un leurre. Si l’ordinateur et un logiciel de traitement de textes ont remplacé la machine à écrire à une certaine époque pour aller plus vite et réutiliser des modèles, il faut rappeler qu’à cette autre époque "disruptive", l’ordinateur coûtait très cher et qu’il a nécessité formation et changements importants des processus (jusqu’à la quasi-disparition des métiers de secrétariat simple).

Comment mesure-t-on l’innovation ?

Les legaltech sont-elles capables de justifier de la valeur créée ? Comment évaluer la réussite et l’impact de l’innovation ?

"Il est compliqué de montrer la valeur à apporter à une DJ si elle-même n’est pas dotée d’indicateurs..."

"Les fonctions juridiques ne sont pas souvent capables de justifier leurs critères d’évaluation et de performance, et sont en sous effectif ou mal dotées en budget. Le besoin et les objectifs ne sont souvent pas eux-mêmes palpables, donc il est compliqué de montrer la valeur à apporter à une DJ si elle-même n’est pas dotée d’indicateurs.
Il faut trouver où l’on peut créer de la valeur : la rapidité par exemple, qui peut permettre de déboucher sur un gain financier. Ou bien l’évaluation du contentieux annuel.
La valeur que produisent les legaltech est donc dépendante de l’appréciation que le client aura de la valeur de la réponse à des objectifs internes.
C’est pour cela que les legaltech sont souvent en lien avec les clients internes des DJ, pour définir ces indicateurs de performance très souvent à l’origine de l’évaluation de la performance de la DJ elle-même."

Peut-on innover tout seul ?

"Il y a très souvent une part de consulting en préalable à toute insertion de legaltech dans la direction juridique. Plutôt que de faire évoluer des outils sans maîtrise et au coup par coup, il vaut mieux en effet avoir un temps d’écoute des clients internes et d’analyse, pour bâtir une approche basée sur l’expression des besoins. "
Là on pourra détecter la vraie rupture ; il faut éviter de se concentrer trop vite sur des objectifs internes du type "gagner du temps de gestion de dossiers".

Moralité ? Créez votre communauté de réflexion en vue des transformations à venir !

Christophe ALBERT Rédaction du village

[1Co-organisé par OpenLaw et Le Village de la Justice.

[2En substance, "faire plus avec moins".