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Une insulte envers un collègue de travail est-elle suffisante pour justifier un licenciement ? Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : mardi 6 août 2019
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Discuter avec un collègue de travail ne signifie pas toujours s’échanger des amabilités, notamment lorsque vous êtes en conflit avec votre interlocuteur.

Une discussion houleuse peut très vite déraper au point de vous faire perdre tout contrôle.

Vient ensuite l’insulte que vous n’avez pas pu retenir… L’erreur est humaine. Mais est-elle pardonnable ? Pouvez-vous perdre votre emploi pour un mot qui a dépassé votre pensée ?

Tout est question de mesure et de contexte.

D’une manière générale, en tant que salarié, vous avez une obligation de respecter vos collègues de travail.

Cette obligation, qui relève du savoir-vivre le plus basique, ne doit pas être prise à la légère.

Prononcer un mot maladroit sur un coup de sang peut s’avérer blessant et humiliant pour votre interlocuteur.

Des injures répétées peuvent même caractériser un harcèlement moral.

Si l’employeur n’y met pas un terme, les insultes ne sont que le début d’un engrenage qui peut déboucher sur des violences physiques.

L’employeur étant tenu de préserver la sécurité de ses salariés, y compris sur le plan de la santé mentale, une injure risque donc d’appeler une réaction disciplinaire de sa part.

Selon la jurisprudence, certains dérapages ne font pas l’objet de clémence.

Une injure raciste n’est pas un comportement excusable [1], ce qui relève de l’évidence.

Concernant ces injures, l’employeur ne peut tolérer de tels propos dans son entreprise, ne serait-ce que pour préserver son image et sa réputation.

La faute grave est encore caractérisée lorsque l’injure est accompagnée de menaces [2].

Ici encore, l’employeur peut difficilement faire preuve de laxisme car des menaces peuvent directement causer un préjudice à la victime. De plus, l’employeur peut craindre un passage à l’acte de la part de l‘auteur des menaces.

Cependant, certaines situations peuvent atténuer le caractère fautif d’une insulte envers un collègue.

Une ancienneté conséquente ainsi qu’un comportement irréprochable par le passé sont des éléments qui peuvent jouer en la faveur du salarié.

Dans un tel contexte, le fait d’avoir proféré une seule fois une insulte peut résulter d’un égarement pouvant être corrigé.

Toute sanction disciplinaire doit être proportionnée et l’employeur doit se garder de licencier un salarié lorsqu’un avertissement ou une mise à pied est suffisante pour éviter la réitération de la faute.

Par exemple, il a pu être décidé qu’un seul et unique dérapage verbal d’un salarié ayant 23 ans d’ancienneté ne pouvait justifier ni son licenciement pour faute grave, ni son licenciement pour cause réelle et sérieuse [3].

De même, la juridiction saisie du litige peut décider de requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse en raison de l’ancienneté du salarié grossier [4].

En revanche, le fait d’avoir déjà fait l’objet de sanctions pour avoir insulté des collègues de travail peut justifier la faute grave lorsque survient de nouveau des problèmes de langage [5].

Il convient aussi de noter qu’une insulte s’inscrivant dans un contexte conflictuel n’est pas appréciée de la même manière qu’une insulte gratuite.

Certains juges recherchent l’existence d’une provocation qui pourrait justifier ou non une insulte proférée par le salarié [6].

Il en est de même d’une insulte adressée à un collègue de travail en privé : elle n’aura pas la même gravité qu’une insulte proférée publiquement.

L’ambiance et les tolérances en vigueur au sein de l’entreprise sont aussi des facteurs pouvant atténuer la gravité d’une injure. Des relations de travail habituellement familières peuvent excuser des expressions fleuries.

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d\'Oise

[1Cass. soc., 2 juin 2004, n° 02-44.904 et Cass. soc., 11 févr. 2009, n° 04-47.783.

[2Cass. soc., 10 nov. 2016, n° 15-19.736.

[3Cour d’appel de Besançon, 29 août 2017, n° 16/01443.

[4Cour d’appel de Montpellier, 26 octobre 2011, n° 10/07635.

[5Cour d’appel de Paris 18 juin 2019, n° 17/08616.

[6Cour d’appel d’Amiens, 28 mai 2019, n° 17/0293.

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