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Suspension temporaire d’un agent contractuel de droit public : quels réflexes, quels recours ? Par Léonard Balme Leygues, Avocat et Delphine Krzisch, Avocate.
Parution : lundi 19 août 2019
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Dans la fonction publique, l’administration a la possibilité de suspendre un agent contractuel qui commet une « faute grave », pendant un délai maximal de 4 mois (article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; article 43 du décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de l’Etat ; pour la fonction publique hospitalière : article 39-1 du décret n° 91-155 du 6 février 1991).

Une telle mesure conservatoire ne peut être prise qu’à condition que l’administration soit en mesure « d’articuler à l’encontre de l’intéressé des griefs qui ont un caractère de vraisemblance suffisant et qui permettent de présumer que celui-ci a commis une faute grave » (CE, 5 mars 2008, n° 312719).

Autrement dit, la mesure de suspension est subordonnée, d’une part, (i) à la « vraisemblance d’une faute grave » et (ii) à la « démonstration, par l’administration, de son caractère nécessaire au regard de l’intérêt du service » (CAA Marseille, 5 mai 2015, n° 14MA02047).

Les faits susceptibles de justifier une suspension.

Concrètement, pour prendre quelques exemples pratiques (l’abondante jurisprudence démontre qu’il s’agit d’un sujet courant), justifient une mesure de suspension les faits suivants :

• des « insultes et menaces » (CAA Versailles, 25 janvier 2018, n° 16VE01693) ;
• des « propos grossiers », « des invectives » et des « insultes publiques envers ses collègues » provoquant « une exaspération de la communauté éducative » générant « des troubles en perturbant le bon fonctionnement du lycée » (CAA Marseille, 21 octobre 2014, n° 13MA00868) ;
• des insultes et agressions physique (CAA Marseille, 11 mars 2014, n° 12MA02303), un « comportement injurieux », en dépit d’un contexte de travail « particulièrement difficile », qui « n’ôte pas aux faits reprochés à l’intéressé leur caractère fautif » (CAA Marseille, 4 juin 2013, n° 11MA02025), des menaces et insultes, admis par l’agent mis en cause (CAA Douai, 12 mai 2010, n° 08DA01036).

A l’inverse, la simple « inaptitude » de l’agent « à exercer ses fonctions » (CAA Paris, 21 octobre 2014, n° 12PA01379), de même que son « insuffisance professionnelle » (CAA Marseille, 3 juin 2014, n° 13MA01681), n’établissent pas la faute grave que l’administration doit impérativement démontrer pour justifier de suspendre un agent.

Il en résulte qu’un débat peut être envisagé, sur le fond, pour contester les faits à l’origine de la mesure. Dans cette perspective, l’agent devra réunir les éléments concrets qui permettront, le cas échéant, d’écarter la qualification de « faute grave » sans laquelle l’administration ne peut prétendre le suspendre.

Des témoignages, des échanges de courriers électroniques ou encore des comptes-rendus d’évaluation de l’agent en cause (qui sont susceptibles de confirmer ses qualités) sont autant d’éléments susceptibles d’être mobilisés dans le cadre de la défense de l’agent.

Une procédure allégée.

D’un point de vue procédural, l’administration s’avère être peu contrainte, ce qui limite d’autant les critiques qui peuvent être envisagées à son encontre.

Même si cette mesure ne peut qu’être ressentie par l’agent comme une sanction, il est admis qu’elle ne présente juridiquement aucun caractère disciplinaire (cf. l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 mars 2008 précité).

En pratique, l’agent qui fait l’objet d’une suspension n’a donc droit ni à la communication de son dossier, ni au bénéfice d’une procédure contradictoire qui lui permettrait de faire valoir sa défense devant l’administration, ni, d’une manière générale, à aucune des garanties qui encadrent les procédures disciplinaires (cf. par exemple CE, 11 juin 1997, n° 142167 ; CE, 1er mars 2006, n° 275408).

Certes, une procédure contradictoire peut apparaître comme étant peu compatible avec une mesure d’urgence, prise dans l’intérêt du service.

Mais il est quand même permis de s’interroger sur cette manière de procéder, pour le moins expéditive : il pourrait à tout le moins être exigé de l’administration qu’elle motive sa décision, afin que l’agent puisse utilement la contester (sur l’absence d’obligation de motivation, cf. par exemple CE, 6 décembre 1993, n° 90982 ; CE, 11 mars 1991, n° 92396).

Moyens de défense.

Il n’en demeure pas moins que des critiques peuvent être articulées contre une suspension prononcée à titre conservatoire.

Au-delà des moyens « classiques » (tirés, par exemple, de l’incompétence de l’auteur de l’acte), il peut être remarqué qu’une suspension, si elle est justifiée par l’existence d’une « faute grave », doit, en toute logique, s’accompagner tôt ou tard d’une véritable procédure disciplinaire et/ou de poursuites pénales.
Sur ce point, si le Conseil d’Etat estime que « le délai dans lequel l’instance disciplinaire est saisie est sans incidence sur la légalité d’une première mesure de suspension », il observe toutefois qu’« en l’absence de poursuites pénales », le maintien en vigueur ou la prorogation d’une suspension est subordonnée « à l’engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction » (CE, 10 décembre 2014, n° 363202 ; cf. également CE, 30 mai 2018, n°,418844).

Et pour l’essentiel, c’est bien contre cette procédure disciplinaire que les critiques principales de l’agent seront dirigées : car une fois démontrée l’illégalité de cette procédure, l’agent pourra tenter de se prévaloir de l’illégalité de la mesure conservatoire prononcée à son encontre et engager un recours indemnitaire en vue d’obtenir réparation de son préjudice.

Quelques précautions à prendre.

En définitive, dès qu’il se voit notifier une mesure de suspension, l’agent doit prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver ses droits et notamment collecter les informations qui pourront lui être utiles pour élaborer sa défense.

C’est la raison pour laquelle il est opportun de se faire assister, très en amont, par un tiers (par exemple, un représentant du personnel ou un avocat).

Cette phase de préparation permettra d’agir rapidement, sur le plan juridique, pour envisager les voies de recours les plus appropriées : qu’il s’agisse d’un recours d’urgence (par exemple un référé suspension), d’un recours en annulation et/ou d’un recours indemnitaire.

Léonard Balme Leygues Avocat à la Cour Delphine Krzisch Avocate à la Cour