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Saisie immobilière, audience d’orientation, surendettement, et vente amiable. Par Patrick Heftman, Avocat.
Parution : jeudi 22 août 2019
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Lorsqu’un débiteur ne peut faire face à ses engagements, l’ensemble de son patrimoine constitue le gage général de ses créanciers. " Quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir. " (Article 2284 du code civil )
A ce titre, son bien immobilier est une « valeur sûre », de nature à pouvoir les désintéresser. La saisie et vente aux enchères d’un bien immobilier constitue toutefois une procédure assez lourde, formaliste et très réglementée, encadrée dans des délais stricts.
Cet article traite de la phase préalable à la vente forcée : audience d’orientation, vente amiable, suspension des poursuites.

Le commandement de payer et les poursuites.

Le commandement de payer aux fins de saisie immobilière est le premier acte de la procédure ; il vaut saisie immobilière et a pour effet de rendre le bien "indisponible".

Il doit être publié à la publicité foncière, dans les deux mois de sa signification.

Puis, dans les deux mois de cette publication, le créancier poursuivant assigne le débiteur à une audience d’orientation devant le juge de l’exécution.

Dans ces procédures, ce sont le plus souvent les banques prêteuses qui agissent, étant titulaire d’un acte notarié, exécutoire par nature, qui les dispense d’avoir à engager au préalable une action en paiement.

Lors de l’audience d’orientation, le juge examine d’office la régularité du titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

S’il s’agit d’une décision de justice elle doit être passée en force de chose jugée : les poursuites peuvent être engagées en vertu d’un titre exécutoire par provision, mais la vente ne peut être ordonnée que si la décision est définitive, passée en force de chose jugée.

C’est à cette audience que des contestations peuvent être soulevées : régularité de la procédure, divergences sur le décompte, imputation des paiements (Articles R322 – 15 et suivants du code des procédures civiles d’exécution ).

Ces contestations sont formées par conclusions écrites, le ministère d’avocat est obligatoire.

L’audience peut être renvoyée à plusieurs reprises, à l’instar des procédures "habituelles" devant le tribunal de grande instance, pour échange des conclusions, jusqu’à fixation d’une date de plaidoirie.

En l’absence de contestation, ou après que celles-ci auront été tranchées, le tribunal ordonne la vente forcée du bien par adjudication au meilleur enchérisseur, à une date ultérieure et suivant une procédure spécifique, qui ne fera pas ici l’objet de développements.

La vente amiable.

Sur la demande du débiteur, qui peut être formée oralement sans avocat, le juge autorise la vente amiable et en fixe le montant minimum.

Il faut lui fournir les éléments lui permettant de fixer le prix, conforme à l’état du marché : il s’agit en général d’estimations établies par des professionnels (expert immobilier, avocats, notaires, agence immobilière…).

Le juge doit en effet s’assurer que la vente "peut être conclue dans des conditions satisfaisantes compte tenu de la situation du bien, des conditions économiques du marché et des diligences éventuelles du débiteur." (Article R322 – 15 du code des procédures civiles d’exécution ).

Il s’agit bien d’une autorisation, qui n’est pas de droit : le juge peut la refuser.

Il demande les opinions des créanciers, les discussions avec leurs représentants pouvant d’ailleurs avoir lieu à la barre, de manière quasi informelle puisque elle peut être formulée oralement par le saisi lui-même.

Il va en particulier être évalué si le prix de vente suffira à désintéresser les créanciers.

Quoi qu’il en soit, il est de l’intérêt de tous que la vente se fasse à l’amiable : le prix est en principe supérieur à celui que l’on peut escompter d’une vente à la barre au plus offrant, et ne sera pas grevé des frais de publicité qui sont exposés pour une vente forcée.

Ainsi, les créanciers ont plus de chances d’être désintéressés, le saisi peut nourrir quelque espoir de disposer d’un reliquat, et on évite les incertitudes d’une vente aux enchères : dans un marché immobilier qui peut ne pas être favorable au vendeur, on ne peut savoir quel sera le prix vendu.

Mais si le saisi obtient de vendre à l’amiable, encore lui faut-il démontrer que sa demande est sérieuse, et que la vente se réalise effectivement.

Le juge ayant fixé un prix minimum et, éventuellement "les conditions particulières de la vente", il est fixé une nouvelle date d’audience, dans un délai maximum de quatre mois.

A cette audience, il faudra que la vente ait été régularisée, le juge la constatant.

Si tel n’est pas le cas, un ultime délai supplémentaire de trois mois au plus peut être accordé, sous la stricte condition toutefois que « le demandeur justifie d’un engagement écrit d’acquisition et qu’à fin de permettre la rédaction et la conclusion de l’acte authentique de vente » (article R322 – 21 CPCE) .

Mais, si à ce moment la vente n’a pas eu lieu et que le juge fixe alors une date pour la vente forcée, tout n’est pas perdu :

L’article 14 – 3° de la loi de programmation pour la justice du 23 mars 2019 a modifié l’article L 322 – 1 du code des procédures civiles d’exécution en permettant la vente de gré à gré du bien saisi tant que les enchères ne sont pas ouvertes, à la condition que toutes les parties en soient d’accord : débiteur saisi, créancier poursuivant, créanciers inscrits.

Avant cette nouvelle disposition, le jugement ordonnant la vente forcée tombait comme un couperet : plus de vente amiable possible.

C’est ce que la 2ème chambre de la Cour de Cassation a jugé dans un arrêt du 9 avril 2015 par une formule particulièrement lapidaire :
"Mais attendu que le jugement d’orientation qui ordonne la vente forcée de l’immeuble saisi interdit de procéder à la vente du bien selon une autre modalité que celle qu’il a prévue". [1]

Dans cette affaire, après qu’un jugement d’orientation avait ordonné la vente forcée, la SCI, propriétaire et débiteur saisi, signait une promesse synallagmatique de vente, sous condition suspensive de mainlevée des hypothèques et inscriptions grevant le bien et de radiation du commandement valant saisie immobilière

L’arrêt attaqué avait jugé nulle la promesse, ce que la Cour de cassation a ainsi confirmé.

Désormais, « afin de préserver les intérêts de toutes les parties et de garantir que la vente du bien s’effectue à un juste prix », la vente de gré à gré est possible, à la condition d’un accord entre le débiteur et ses créanciers. [2]

Une question mérite d’être posée : s’il semble évident qu’une vente de gré à gré est, a priori, de l’intérêt de toutes les parties, car elle garantit le meilleur prix, pourquoi les créanciers s’y opposeraient-ils ?

Car ils le peuvent, cette vente étant conditionnée à un accord qui reste à leur discrétion.

Un tel refus ne serait-il pas abusif, constitutif d’une faute génératrice d’un préjudice pour le débiteur saisi, qui aura obtenu aux enchères un prix moindre que celui proposé par un acquéreur contractuel ?

La question n’est pas théorique : il a pu se voir dans certaines procédures l’opposition d’un créancier bancaire à un accord hors procédure, une de ses filiales immobilières rachetant ensuite le bien à la barre à un prix inférieur.

La poursuite d’un tel intérêt personnel ne pourrait il être considéré comme fautif ?

Le surendettement.

Il existe encore une autre possibilité : le débiteur débordé par ses dettes à la ressource de saisir la commission de surendettement.

Celle-ci va agréger l’ensemble de ce qu’il doit à ses différents créanciers et proposer quand c’est possible un plan permettant de les payer par mensualités sur plusieurs années.

La saisine de la commission a un effet direct sur la procédure de saisie immobilière, à la condition que le débiteur agisse suffisamment tôt s’il veut avoir des chances de s’en sortir.

Après qu’il aura déposé son dossier en justifiant de l’ensemble de ses dettes, la commission va se prononcer sur la recevabilité de sa demande.

Si la demande est jugée recevable par la commission, cette décision « emporte suspension et interdiction des procédures d’exécution diligentées à l’encontre des biens du débiteur » (article L 722 – 2 du code de la consommation), c’est-à-dire en l’occurrence sur la saisie immobilière.

Cette suspension est provisoire et ne peut excéder 2 ans (article L 722-3) ; si entre-temps le plan de surendettement est respecté, de report en report, le débiteur propriétaire peut espérer sauver son bien.

Si la vente a été ordonnée à l’audience d’orientation, avant que la commission ait déclaré la demande recevable, tout devient plus compliqué, car il n’y a plus de suspension automatique.

Le débiteur ne peut même pas demander le report de l’audience de vente : seule la commission le peut, en saisissant le juge de l’exécution :
"En cas de saisie immobilière, lorsque la vente forcée a été ordonnée, le report de la date d’adjudication ne peut résulter que d’une décision du juge chargé de la saisie immobilière, saisi à cette fin par la commission pour causes graves et dûment justifiées." [3]

Ce principe a été confirmé par la Cour de cassation dans une décision du 07 janvier 2016.

Dans cette espèce, après que la vente forcée de l’immeuble avait été ordonnée, le débiteur avait demandé le report de la date d’adjudication, prorogation acceptée par la Cour d’appel, mais invalidée par la Cour de cassation : seule la commission de surendettement a le pouvoir de saisir le juge de l’ exécution et de demander le report de l’adjudication :
Attendu que pour constater que le sursis à la vente forcée, demandé par Mme X..., est prorogé, jusqu’à la date limite du 26 septembre 2014, la cour d’appel retient que la suspension de cette procédure découle de la décision de recevabilité par application de l’article L. 331-3-1 du code de la consommation ;
Qu’en statuant comme elle l’a fait, alors que la vente forcée ayant été ordonnée avant que la commission de surendettement ait déclaré recevable la demande que Mme X...avait formée en vue du traitement de sa situation financière, seule la commission de surendettement pouvait saisir le juge de la saisie immobilière d’une demande de report de l’adjudication pour causes graves et dûment justifiées, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
 ; [4]

Nombre de débiteurs qui ne peuvent s’en sortir, même avec un plan de surendettement, demandent la vente amiable.

A tout prendre, la vente amiable est un moindre mal qui permet au débiteur de « limiter la casse » : lors d’une vente aux enchères, il n’a plus aucun contrôle sur le cours des événements : le prix de vente devient aléatoire ; il peut être inférieur de 20 % ou plus à celui du marché.

Si de surcroît au moment de l’adjudication le débiteur occupant n’a pu organiser son relogement, la valeur de son bien s’en trouvera encore amoindrie en raison des incertitudes sur le bon déroulement de l’éventuelle procédure d’expulsion que devra poursuivre l’adjudicataire, sur l’état du bien lorsqu’il sera libéré….

De plus, le prix sera grevé des frais de poursuite et de publicité qui sont importants : de l’ordre de 3.500 € environ au stade de l’audience d’orientation, ils sont fréquemment de 8.000 € voire bien davantage lors de l’adjudication.

Il faudra ensuite attendre la consignation du prix, la procédure de distribution, avant que le débiteur puisse espérer percevoir un solde, s’il y en a.

Il reste consternant de relever que, aux audiences d’orientation, les parties qui se présentent seules, sans avocat, ne sont pas rares.

Des solutions existent, mais la procédure reste complexe ; l’assistance d’un avocat n’est pas superflue.

Patrick HEFTMAN Avocat - mandataire en transactions immobilières

[1Pourvoi N° 14-16878.

[2Circulaire de présentation des entrées en vigueur des dispositions civiles de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, Annexe 3, Amélioration de la procédure de saisie immobilière.

[3Article L722-4 du code de la consommation.

[4Cour de cassation , chambre civile 2, 7 janvier 2016, N° de pourvoi : 14-26908.