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Libres propos sur l’accès à la profession d’Avocat au Gabon. Par Renaud Fernand, Elève-avocat.
Parution : jeudi 29 août 2019
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La volonté assumée de circonscrire, limiter voire verrouiller complètement, ou du moins pendant une petite décennie, l’accès à la profession d’avocat au Gabon a motivé l’adoption d’une loi singulière, la Loi n°013/2014 du 07 janvier 2015 fixant le cadre d’exercice de la profession d’avocat au Gabon qui comprend insidieusement des dispositions inapplicables dont l’exigence du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA).
Contrairement à ce qui a pu être soutenu ou entendu ci et là, c’est bien la loi de 2008 qui reste en vigueur s’agissant des conditions d’accès au barreau. Celle-ci ne disparaîtra effectivement de l’ordonnancement juridique national que lorsque la nouvelle loi de 2015 aura fait l’objet de mesures d’application qu’elle appelle.

1. Un an après la fin du feuilleton relatif contentieux électoral sur le renouvellement des organes représentatifs de l’ordre des avocats du Gabon, une préoccupation majeure de l’organisation de cette profession demeure, celle de ses conditions d’accès. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la Loi n°013/2014 du 07 janvier 2015 fixant le cadre d’exercice de la profession d’avocat au Gabon, l’accès à la profession est fermé. Et pour cause, la loi dont s’agit comprend insidieusement des dispositions inapplicables dont l’exigence du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA). Situation d’autant plus curieuse qu’il est prétendu que la loi nouvelle s’appliquerait aux collèges des stagiaires dont la postulation lui est pourtant antérieure.

2. Qu’on ne s’y trompe pas, la question juridique de l’application immédiate ou différée de la loi nouvelle n’est, en réalité, que l’épiphénomène d’une problématique sociopolitique plus profonde. Sinon, comment expliquer la récurrence d’un même contentieux sur les trois ou quatre générations d’avocats qui composent le barreau gabonais ?
Comment expliquer, le silence ou l’inaction de certains de ceux qui sont devenus les « ténors du barreau gabonais », membres du Conseil de l’ordre ou du Gouvernement et qui se souviennent n’avoir pu prêter serment que grâce à leur témérité devant la Cour de cassation ?
Comment expliquer que jamais aucune promotion de postulants n’a prêté serment sans que quelques uns de ceux qui étaient en droit d’être reçus n’aient été obligés d’en arriver à « un bras de fer » judiciaire ?

Dans le milieu des professionnels du droit, nombre d’Universitaires, Notaires, Juristes d’entreprise ou Conseils agrées, Magistrats et Huissiers de justice ont dû renoncer à leurs ambitions pour le Barreau en raison de la nature arbitrairement variable du nombre d’années de postulation ou de stage. Et la majorité de ceux qui ont renoncé voulait surtout éviter un affront judiciaire, dont l’issue était toujours incertaine face aux organes représentatifs de l’ordre.

Certes, la Cour de cassation, saisie des questions d’admission en stage ou d’inscription au Grand Tableau, s’est parfois illustrée par des décisions encourageantes. La Cour a ainsi pu ordonner l’inscription au Grand Tableau d’avocats stagiaires dont la durée du stage avait fait l’objet d’une décision de prolongation. La haute juridiction a également eu à enjoindre le Bâtonnier et/ou le Conseil d’accomplir, dans un délai déterminé, les diligences nécessaires à la prestation de serment de certains postulants. Mais la jurisprudence de cette Cour, souvent inaccessible sur cette question, n’a jamais permis d’éclairer objectivement le droit positif quant à la lecture qu’il convenait d’avoir sur la nature discrétionnaire ou non des pouvoirs du Bâtonnier dans l’administration du Tableau.

Les incertitudes sont donc demeurées et la loi 2015 n’est pas pour les dissiper, bien au contraire. Le contentieux de l’admission en stage devient administratif avec tout ce que cela induit, notamment en termes de célérité.

3. La volonté, d’ailleurs assumée, de circonscrire, limiter voire verrouiller complètement, ou du moins pendant une petite décennie, l’accès à la profession d’avocat en a été le moteur. Paradoxalement, la pression démographique à laquelle la profession tente de résister en érigeant des digues légales s’accompagne d’un renforcement qualitatif des effectifs de la corporation.

De plus, les avocats gabonais reconnaissent eux mêmes que la « main d’œuvre bon marché » des aspirants ou postulants constitue un levier d’ajustement sur lequel s’appuie la plupart des grands cabinets. C’est pourquoi il y a plutôt lieu de trouver une alternative à la fermeture pure et simple ou au blocage qu’on croyait avoir transcrit dans la loi de 2015.

4. L’outil de comparaison. En France, le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat avait été institué sous le régime de Vichy. C’est en effet, sous l’occupation allemande que le gouvernement français de l’époque avait, dans le « second texte des Lois du 26 juin 1941 » , ajouté, en plus du diplôme de licence en droit, la condition du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat. L’examen du CAPA sanctionnait alors un enseignement dispensé aux étudiants de licence dans les facultés de droit. La formation ne portait que sur une seule année universitaire.

En 1965, le barreau de Paris, à l’initiative du Bâtonnier Albert Brunois, entreprit de créer l’Institut du barreau chargé d’organiser notamment des exercices pratiques pour les avocats stagiaires. Bien plus tard, la loi du 31 décembre 1971 créant la « nouvelle profession d’avocat », allait renforcer cette formation, la confiant aux centres professionnels (CFPA). Instituées auprès de chaque Cour d’Appel, les CFDA étaient alors chargés de participer à la préparation du CAPA et d’assurer la formation des stagiaires.
Puis, par une loi du 30 juin 1977, la licence était remplacée par une maîtrise en droit. Et trois ans après, le Décret du 02 avril 1980 instaurait une année d’études supplémentaires organisées par les CFPA auxquels on accédait après un examen d’entrée très sélectif. Le cursus restait sanctionné par un second examen au succès duquel s’obtenait le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat.

Depuis lors, l’exigence d’un stage de trois ans a été abrogée et la pratique de l’inscription préalable au « Petit Tableau » avant l’accès au « Grand tableau » abandonnée. Aujourd’hui, seule une formation initiale de dix huit mois sanctionnée par l’examen du CAPA est exigée aux postulants. La prestation de serment et l’accès au Tableau, peuvent intervenir moins de deux mois après la fin de la formation.

5. L’état du droit gabonais. Au Gabon, l’état du droit régissant l’exercice de la profession d’avocat n’a jamais été en ordre. Pourtant quelques quatre textes législatifs se sont succédés ces trois dernières décennies.

D’abord, le cadre d’exercice de la profession d’avocat a été régi, pendant une douzaine d’années, par la loi n°1/85 du 27 juin 1985 fixant les règles d’exercice de la profession d’avocat. Le diplôme d’accès à la profession était alors une licence en droit qui sanctionnait un cursus universitaire de quatre ans. La formation professionnelle était assurée par le cabinet d’accueil. Elle était d’une durée minimale de trois ans au terme de laquelle le postulant accédait au Petit tableau. Mais le suivi du stage n’était nullement encadré et celui-ci pouvait être prorogé indéfiniment. Il en était autant de l’accès au Grand Tableau.

La loi de 1985 sera complétée par l’ordonnance n°31/97 du 14 aout 1997 fixant les modalités de prestation de serment des postulants à la profession d’avocat. Ensuite, l’ensemble du dispositif va être revu par la loi n°025/2008 du 02 décembre 2008 fixant les conditions d’exercice de la profession d’avocat en république gabonaise. Et, enfin depuis le 07 janvier 2015, la loi n°013/2014 s’est ajoutée à cette nomenclature.

Cependant, dans le fond, très peu de choses ont réellement changé. Certes, l’heure n’est plus à l’exigence d’un agrément du Président de la République pour l’inscription d’un étranger au barreau national. Et l’avis du Bâtonnier, en vue d’une inscription au Grand Tableau, a également disparu. Quant aux voies de recours en matière d’admission en stage et d’inscription au Grand Tableau qui, depuis la disparition de la Cour suprême, ont toujours été judiciaires, elles alternent entre le Conseil d’Etat, pour l’admission en stage, et la Cour de cassation, pour l’accès au Grand Tableau et ce depuis la loi de 2015. Mais pour l’essentiel, le barreau gabonais reste encore constitué d’un « Petit » et d’un « Grand » Tableaux administrés par le Conseil de l’ordre et le Bâtonnier.

6. Analyse critique des conditions d’accès à la profession d’avocat. Tout postulant à la profession d’avocat doit remplir des conditions tenant d’abord à la nationalité, à la moralité, aux diplômes et à la formation. Ainsi doit-il être gabonais d’origine ou d’adoption. Mais dans ce dernier cas, la nationalité doit avoir été acquise depuis… au moins dix ans ! De même, l’article 18 de la loi de 2015 consacre-t-il le critère de bonne moralité qui ne se réduit pas à la simple production d’un extrait du casier judiciaire permettant de vérifier si le postulant a été condamné pour des délits autres que des délits d’imprudence. Sur les conditions de formation et diplôme, la nouvelle loi reprend l’exigence d’une licence ou d’une maîtrise « ancien régime », d’un master ou de tout autre diplôme jugé équivalent en droit.

7.1 Le stage de postulation. Condition déjà en vigueur dans les lois de 1985 et 2008, dans la loi de 2105 le stage de postulation ne peut plus excéder douze mois. Mais l’efficacité de cette limitation de la durée du stage de postulation sera éprouvée à l’aune de certaines pratiques bien ancrées dans la profession. Pourtant, comme l’a rappelé très justement le législateur lui-même, il s’agit d’un pré-stage distinct du stage de formation proprement dit dont la durée est en principe de trois ans.

7-1. En effet, le stage de postulation s’est souvent révélé être une source de contournement de la législation du travail. D’abord d’un point de vue formel, ce stage ne fait l’objet d’aucun écrit, ce qui s’est toujours traduit par des abus de toutes formes. Ensuite, aucune obligation, ne serait-ce que d’information du Bâtonnier, n’est imposée au cabinet d’accueil. Enfin et surtout, le pré-stage, censé s’inscrire dans une perspective conventionnée de formation initiale, se transforme très vite en un travail effectif susceptible de requalification en contrat de travail à durée indéterminée.

7-2.Cette situation est d’autant plus grave que la durée légale du stage de postulation n’est jamais respectée. A vrai dire, la postulation s’étale souvent sur plusieurs années et a parfois pu atteindre une décennie. Enfin, il faut relever qu’à l’issue du stage rien n’oblige le cabinet d’accueil à transmettre le dossier du postulant au Conseil de l’ordre ou au Bâtonnier. Mais surtout, rien ne prédispose de son issue s’il est transmis.

7-3. Le stage de formation initiale. Contrairement au stage de postulation, le stage de formation doit, en principe, faire l’objet d’une convention écrite transmise au Bâtonnier lors du dépôt du dossier de candidature. En effet, le stage de formation marque l’entrée du stagiaire dans la profession puisqu’il se traduit par son inscription au petit tableau et, accessoirement, par une cérémonie de prestation de serment.

Les conditions matérielles, financières et morales du déroulement du stage sont déterminées soit par la loi, soit par le règlement intérieur du Barreau. Cependant, le stage de formation à l’instar de la postulation, n’est pas moins enclin aux abus de toutes sortes. Outre le fait que le Barreau ne s’est jamais véritablement donné les moyens de contrôler l’effectivité du respect des exigences matérielles et financières de la formation, les abus les plus notables portent sur les ruptures unilatérales, souvent sans préavis, des conventions de stage qui peuvent mettre fin à la formation lorsque le stagiaire est incapable de trouver un autre cabinet d’accueil .

7-4. Bien qu’informelle car sans délivrance d’un diplôme, le stage d’avocat dont la durée légale est de trois années, avec une possibilité de prolongation d’une année, constitue une véritable « une formation initiale » assurée par un avocat sous la supervision du barreau. C’est d’ailleurs de cette façon qu’en 1965, le barreau de Paris assurait, avant la création d’un institut, la formation initiale des avocats stagiaires. En effet, comme en 1965 en France, l’article 35 de loi gabonaise de 2008 prescrivait un stage de formation. Celui-ci impliquait l’assiduité aux exercices organisés par le barreau, à l’enseignement des règles, traditions et usages de la profession et à la fréquentation des audiences.

7-5. D’ailleurs, comme dans la formation initiale de préparation au CAPA en France, les trois années de stage peuvent consister en deux années de stage effectué auprès d’un avocat inscrit au Grand Tableau au Gabon. Et, la troisième année de stage, peut être effectuée soit auprès d’un avocat inscrit à un barreau étranger, soit dans l’étude d’un Notaire, dans un cabinet ou une société de conseil juridique, d’expertise comptable, de commissaire aux comptes ou liquidateur judiciaire, ou encore auprès d’un organisme international ou dans les services juridiques et fiscaux d’une entreprise employant au moins trois juristes.

8. La suspension de la condition du CAPA : un aspect transitoire de la loi de 2015. L’article 18 de la loi n°013/2014 du 07 janvier 2015 fixant le cadre d’exercice de la profession d’avocat qui institue la condition du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat appelle plusieurs remarques.

D’abord, il faut relever qu’il s’agit d’un diplôme qui n’existe pas dans la nomenclature nationale. En effet, ni le Ministère de l’enseignement supérieur, ni celui de la justice ne l’avaient, jusqu’alors, institué formellement. Voilà une condition qu’aucun postulant gabonais ayant suivi ses études au Gabon ne pourra remplir. L’Etat gabonais exige aux impétrants à la profession d’avocat un diplôme qui n’existe pas, du moins, qu’il ne le délivre pas. D’un point de vue de juridique, il est permis de penser que cette exigence est inopposable à tout candidat jusqu’à l’adoption d’un texte transitoire en cette matière .

Plus techniquement, il faut relever qu’en l’état actuel du droit gabonais c’est le principe de sécurité juridique qui implique que le défaut d’un texte transitoire, défaut imputable à la puissance publique, ne soit opposable aux administrés pas plus qu’il ne peut leur être préjudiciable, qui rend inapplicable la condition du CAPA.

En effet, si les lois et les actes administratifs publiés au Journal officiel entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication, « l’entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures ». Ainsi, la loi ne produira ses effets que lorsque les décrets d’application qui sont nécessaires auront été eux-mêmes publiés. Autrement-dit, la loi de 2008 reste bien en vigueur s’agissant des conditions d’accès au barreau non contraires à la loi de 2015. Celle-ci ne disparaîtra effectivement de l’ordonnancement juridique national que lorsque la nouvelle loi aura fait l’objet de mesures d’application qu’elle appelle.

9. Dans le fond, l’exigence du CAPA apparaît comme un non sens compte tenu du maintien d’un stage de formation d’une durée minimale de trois ans. En effet, dans la loi de 2015, l’exigence du CAPA n’est pas une condition alternative au stage de trois ans. Les deux conditions sont plutôt cumulatives. Or ces conditions ont le même contenu. A dire vrai, il s’agit d’une seule et même condition, celle d’une initiation.

* Plus significativement, faut-il rappeler que le CAPA français sanctionne une formation initiale qui, jadis était assurée, comme c’est le cas au Gabon, de façon informelle par les barreaux français avant la création d’instituts puis d’écoles de formation. Autrement-exprimé, le CAPA n’est qu’une attestation constatant le suivi de cette formation initiale. Il ne s’agit pas d’un diplôme supplémentaire. D’ailleurs, cette formation initiale porte sur dix huit mois dont douze mois de stage. Au Gabon, la formation initiale des avocats stagiaires qui est de trois ans est essentiellement assurée par le cabinet d’accueil même si le Conseil de l’ordre organise des sessions de formation notamment sur les us et coutumes, les pratiques et règles déontologique de la profession.

Renaud Fernand
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