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Le contentieux de la contrefaçon de brevet. Par François Campagnola, Juriste.
Parution : lundi 2 septembre 2019
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Tout en procédant du droit de la propriété, le bien intellectuel à caractère industriel bénéficie d’un régime de protection civile et d’un régime de protection pénale ad hoc. En raison de leur immatérialité et hors cas d’abus de confiance, nombre de règles portant sur les biens corporels ne s’y appliquent en effet pas.
Le droit qui s’applique au domaine du contentieux de la contrefaçon de brevet et du savoir-faire est donc un droit largement spécifique.
Dans un premier temps seront dégagées les formes juridiques de la contrefaçon de brevet, puis dans un second temps sera abordé le règlement des litiges relatifs à la contrefaçon de brevet.

Dans ce cadre, nous nous attacherons dans une première partie à dégager les formes juridiques de la contrefaçon de brevet en distinguant ce qui revient à l’étendue de son champ d’application de ce qui revient aux moyens judiciaires de la brevetabilité mis en œuvre.
Nous centrerons ensuite la seconde partie sur le règlement des litiges relatifs à la contrefaçon de brevet en distinguant aspects procéduraux et mécanismes de réparation.

I) La sanction judiciaire de la contrefaçon dans le domaine de l’innovation technologique.

La sanction judiciaire de la contrefaçon technologique est très largement assise sur la contrefaçon de brevet et du savoir-faire qui obéit à des règles spécifiques tant en ce qui concerne le champ de la responsabilité qui lui est attaché qu’en ce qui concerne le rattachement judiciaire et procédural qui lui est associé.

A) L’étendue du champ d’application de la contrefaçon en droit de l’innovation technologique.

La contrefaçon est la principale infraction touchant un droit de la propriété industriel. Dans ce cadre, la contrefaçon de brevet et du savoir-faire obéit à des règles particulières qui sont à vocation respectivement coercitive, réparatrice et corrective et engage la responsabilité tant délictuelle que contractuelle de son auteur. En amont le régime de la saisie-contrefaçon a pour objet la recherche et l’établissement des preuves auxquelles peuvent être associées des mesures d’astreinte et d’interdiction.

1) Contrefaçon de brevet et sanction judiciaire du savoir-faire.

La contrefaçon se définit comme une atteinte au droit de la propriété intellectuelle qui prend des formes variées. Cette atteinte tient dans la reproduction intégrale ou partielle, l’usage ou la détention d’un bien intellectuel en vue de son utilisation sans l’autorisation de son propriétaire attitré.
Le traitement de ces formes est également variable selon la branche du droit de la propriété intellectuelle concernée. Ainsi, son traitement en droit d’auteur est visé par l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.
En droit des marques, l’article L. 716-1 dispose que constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 713-4.

Au-delà de la reproduction et de l’usage sans autorisation, ces articles traitent également des domaines de l’apposition et de l’imitation étendent l’illicéité à l’usage d’une marque déjà reproduite, imitée ou encore altérée.

En droit des brevets, l’article L. 615-1 renvoie aux articles L. 613-3 à L. 613-6. L’article L. 613-3 liste les domaines couverts par la contrefaçon de brevets qui concerne tant le produit du brevet que le procédé faisant l’objet du brevet. Les opérations concernées sont la fabrication, l’utilisation, la détention, l’offre, la mise dans le commerce ainsi que l’importation, l’exportation et le transbordement du bien. L’article L. 613-4 y ajoute la livraison.

Sur ces bases, les articles L. 613-4 à L. 613-6 déclinent une série d’exceptions. Ne sont ainsi pas concernés les produits qui se trouvent couramment dans le commerce ainsi que ceux faisant l’objet d’une préparation en officine sur ordonnance du médecin. De même ne sont pas concernés les actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non-commerciales ou encore accomplis à titre expérimental.
Des dispositions spéciales couvrent également la commercialisation du matériel de reproduction végétale ou animale. Ainsi, la matière des obtentions végétales est largement couverte par les articles L. 623-24-1 et L. 623-44.

Du non-respect de ces règles découle un certain nombre de conséquences légales dont les unes sont coercitives et les autres à vocation réparatrices. En-deçà du recours au droit pénal, plusieurs instruments tirés du droit civil coexistent.
Le premier de ces instruments est l’interdiction provisoire d’exploitation qui s’obtient soit au moyen de la procédure contradictoire du référé soit en recourant à la procédure non-contradictoire de l’ordonnance sur requête. Dans tous les cas, il s’agit d’une procédure avant dire droit qui ne se prononce donc pas sur le fond du titre de propriété intellectuelle ou industrielle. Elle vient compléter la procédure de l’injonction qui existait avant la transposition de la Directive européenne par la loi du 29 octobre 2007 respectivement aux articles L. 613-3 et L. 613-4 en matière de brevets, L. 713-2 et L. 713-3 en matière de marques et L. 623-4 en matière d’obtention végétale. On retrouve par ailleurs des dispositifs similaires dans les différents droits européens. Il s’agit notamment de la Cessation des droits belge et luxembourgeois des brevets, de l’Unterlassunganspruch allemand et de la Permanent ou final injonctions britannique.

Dans tous les cas de figure, l’interdiction ne peut être prononcée que si le droit de propriété industriel est toujours en vigueur à la date de la saisine du juge et intervient après condamnation du contrefacteur au fond. Il s’agit pour le juge de prévenir la poursuite d’actes de contrefaçon ayant déjà fait l’objet d’une condamnation.

Une différence existe toutefois entre les droits français et britannique ou allemand. En principe, le juge ne peut refuser de prononcer l’interdiction dans le cas français alors qu’elle n’est pas de droit dans les autres cas.
En droit allemand, la mesure d’interdiction doit ainsi répondre à un risque réel de réitération.
En droit français, le juge est néanmoins tenu, tant en matière de brevets que d’obtention végétale, par le principe de proportionnalité de la décision à la gravité de l’atteinte aux droits de propriété intellectuelle.
Enfin, comme en droit européen, des raisons particulières existent ici qui écartent la mise en œuvre de l’interdiction mais dont l’interprétation est relativement stricte. Ainsi en est-il sauf en cas d’usage de patronyme en droit des marques et dès lors qu’il n’y a ni fraude ni préjudice pour le titulaire de la marque.

Pour ce qui le concerne, le savoir-faire est un bien protégé par le droit du secret. La notion juridique de secret ne renvoie pas ici au secret absolu détenu par une seule et unique personne et destiné à être sauvegardé.

Du point de vue juridique, le secret est une information partagée sous réserve d’en garantir la confidentialité. En pratique, il n’y a donc pas de secret juridiquement protégé qui soit aisément accessible.
Au plan juridique, l’obligation de confidentialité est la marque de fabrique du savoir-faire qui se décline en un certain nombre de règles relatives à la responsabilité des personnes en cas de divulgation.
Ici, deux régimes de responsabilité se superposent : un régime de responsabilité délictuelle et un régime de responsabilité contractuelle. Au plan délictuel, le régime de la responsabilité pour divulgation de secret protégé met en œuvre le régime de la responsabilité de droit commun. Ainsi en est-il à l’exception des situations mettant aux prises des concurrents qui sont soumis au régime de la responsabilité pour concurrence déloyale ou parasitaire.
Par extension, le secret protégé l’est non seulement de l’action de divulgation mais également du non-respect des règles élémentaires de confidentialité. Il en résulte, dans les deux cas, une soumission de la procédure de l’action pour violation du secret de savoir-faire au triptyque faute-préjudice-lien de causalité.

Dans le champ contractuel, la protection du savoir-faire se trouve augmentée des clauses respectivement de confidentialité et de non-concurrence liant le détenteur du savoir-faire.

En pratique, la question se pose principalement des rapports contractuels entre l’entreprise détentrice d’un savoir-faire et ses salariés.
Deux cas de figure peuvent alors se présenter susceptibles de déboucher sur une mise en cause des responsabilités contractuelles dans le respect des règles des droits du travail et de la concurrence par ailleurs également applicables.
Dans le premier cas, une clause de confidentialité est insérée dans le contrat de travail qui impose une obligation spécifique de non-divulgation du savoir-faire.
Dans le second cas, la clause de non-concurrence portant sur le savoir-faire vise à garantir à son détenteur l’exclusivité de son utilisation pendant une période donnée.

L’objet n’est donc pas tant ici de protéger le secret du savoir-faire que d’en interdire, au moyen d’une obligation de non-exploitation, l’utilisation par un tiers. Viennent s’y ajouter les clauses de confidentialité insérées dans les divers précontrats et contrats de commerce. Ainsi en est-il souvent en matière de sous-traitance, de coopération technique et de transferts de technologie. De même peut-il en être à l’occasion d’un contrat de licence ou encore d’un contrat de recherche. Dans le cadre de l’activité salariale, il existe enfin une obligation générale de fidélité pesant sur les salariés qui couvre les obligations de confidentialité et qui peut être complétées par des clauses contractuelles spécifiques. Rien n’empêche enfin que ces obligations soient insérées dans les règlements intérieurs des entreprises.

2) Les conditions de mise en œuvre du droit des contrefaçons de brevet et de savoir-faire.

En matière de brevet, les mesures dites correctives de l’article 10 de la Directive 2004/48/CE du 29 avril visent à assurer l’efficacité de la procédure de l’interdiction. Il s’agit ensuite de l’astreinte qui peut accompagner ces dernières mesures. Davantage en amont, il s’agit enfin de la saisie-contrefaçon. Dans le premier cas, des mesures correctives viennent donc en appui de la procédure de l’interdiction en ce qu’elles ne sont prononcées que pour assurer l’efficacité de l’interdiction. Elles visent à remettre à la victime de la contrefaçon les marchandises contrefaites ainsi que les instruments ayant permis leur fabrication. Dans le premier cas, il s’agit des produits couverts par le brevet ou obtenus par la mise en œuvre du procédé breveté. Lorsque le produit est l’élément d’un ensemble indivisible, la mesure porte alors sur l’ensemble. Par extension, la mesure porte sur les instruments et matériaux servant à sa fabrication ainsi que sur tout document publicitaire, administratif ou commercial du produit en question.
Enfin, depuis la Directive européenne, la mesure porte sur les produits en question en quelques mains qu’il soit et donc, également, sur ceux déjà insérés dans les circuits commerciaux et appartenant à des tiers. Il peut alors être exigé du contrefacteur que ces produits soient, à ses frais, rappelés et retirés des circuits commerciaux.

Pour ce qui est du contrefacteur, il s’agit d’une mesure visant à lui retirer les moyens lui permettant de poursuive son activité illicite. Pour la victime, ces mesures présentent l’aspect de mesures restitutives par équivalent encore qu’elles peuvent être prononcées en l’absence de préjudice et qu’elles ne sauraient être assimilées à l’octroi de dommages et intérêts. Tel en a décidé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 17 juin 2003 dont il résulte que la mesure corrective n’est donc pas une mesure réparatrice. Elle peut être décidée même en cas d’octroi de dommages et intérêts. Laissée à l’appréciation souveraine du juge qui doit en juger dans le respect du principe de proportionnalité, la mesure corrective n’est enfin pas de droit pour la victime de la contrefaçon. D’ailleurs, le juge peut également ordonner de détruire purement et simplement les produits contrefaits. Dans tous les cas, l’article 10 (1) de la Directive dispose que le contrefacteur n’a ici droit à aucun dédommagement d’aucune sorte.

En pratique, la lutte contre la contrefaçon requiert informations et éléments de preuve. En France, leur obtention prit longtemps la forme de la saisie-contrefaçon qui est une procédure de recueil par tous moyens des preuves de la contrefaçon. Il s’agit d’une procédure non-contradictoire sur requête avant toute défense au fond. Elle est diligentée par le Président du TGI pour ce qui est du brevet, du droit d’auteur et de l’obtention végétale et par le juge compétent au fond pour les marques et les modèles.
A la suite de cette action, le saisissant dispose d’un délai de vingt jours ouvrables pour se pourvoir au fond sous peine de voir la saisie annulée sur demande non motivée du saisi.

Ce dispositif classique est aujourd’hui consolidé par la directive 2004/48 sur le droit d’information qui fut transposée par la loi du 29 octobre 2007 ainsi que par la Directive Marchés publics du 28 mars 2014. L’article 8 de la Directive de 2004 engage ainsi les Etats membres à ce que des informations sur l’origine et les réseaux de distribution des marchandises ou des services qui portent atteinte à un droit de propriété intellectuelle soient fournies par le contrevenant et/ou toute autre personne.

Dans sa transposition en droit interne français, le législateur de 2007 ne s’est enfin tout d’abord pas limité au caractère restrictif de la Directive qui s’en tient effectivement, en matière de contrefaçon, aux seuls actes illicites perpétrés en vue d’obtenir un avantage économique ou commercial direct ou indirect dont sont exclus les consommateurs finaux.

A l’option européenne du préalable de la demande (d’informations) justifiée et proportionnée du requérant, le législateur français a en effet préféré limiter son encadrement à l’absence requise d’empêchement légitime au sein du périmètre de la notion de secret des affaires. Le législateur français entend ainsi par information tout document permettant de révéler l’infraction et étend aux tiers à l’instance le pouvoir d’information du juge.
Enfin, dans tous ces domaines, l’action du juge peut être assortie d’une astreinte accessoire à l’action principale qui est une mesure distincte de celle accordant des dommages et intérêts. Ceux-ci réparent en effet un préjudice alors que l’astreinte accompagne une injonction en cas d’inexécution ou de retard dans l’exécution. Dès lors, les deux montants peuvent se cumuler. Dans ce cadre, l’astreinte est prononcée à la demande d’une partie ou d’office par le juge qui en fixe les modalités de façon souveraine mais non-discrétionnaire. Elle n’est opposable qu’au contrefacteur et non au tiers et son recouvrement n’intervient qu’après sa liquidation.

Pour ce qui la concerne, la matière de la confidentialité du savoir-faire est couverte par l’institution juridique spécifique du secret de fabrique dont la portée est délictuelle. Pour ce qui est de la France, l’institution renvoie aux articles L. 621-1 du code de la propriété intellectuelle, L. 152-7 du code du travail et, éventuellement, 131-26 du code pénal. Elle est définie par une jurisprudence ancienne de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 29 mars 1935 comme tout procédé de fabrication, offrant un intérêt pratique ou commercial, mis en œuvre par un industriel et gardé secret à l’égard de ses concurrents. Par ailleurs, il y faut un lien de subordination et, comme dans tout délit, un élément matériel et un élément intentionnel. Dans le premier cas, il suffit qu’il y ait divulgation à un tiers non-couvert par l’obligation de confidentialité. En outre, cette dernière lie le salarié au-delà de son attachement à l’entreprise et donc de sa période vécue au sein de l’entreprise.

Dans le second cas, il y faut également une intention de nuire qui dédouane l’inadvertance, la légèreté ou l’absence de conscience de la détention d’un secret. En la matière, la preuve peut être apportée par tous moyens, notamment en mettant au jour des manœuvres frauduleuses.
Dans le prolongement, la tentative et la complicité de divulgation valent divulgation tandis que la qualification de recel peut aussi être retenue dans les conditions du droit commun.
Les peines encourues vont jusqu’à deux ans de prison et 30.000 euros d’amende auxquelles peut s’ajouter une interdiction provisoire de droits civiques.
Enfin, le même délit peut s’accompagner de qualifications complémentaires. Il s’agit, d’une part, des corruptions active ou passive dont la peine peut aller jusqu’à 200.000 euros. Il s’agit, d’autre part, des atteintes au secret de la défense nationale, de l’espionnage et de la trahison qui sont couverts par l’article 411-6 du code pénal.

B) Les moyens judiciaires de protection de la brevetabilité.

La protection civile de la propriété intellectuelle est tout d’abord l’affaire du Tribunal de grande instance (TGI). Dans le cadre de la spécialisation des Cours, le domaine de la protection de la brevetabilité tout comme ceux des certificats d’utilité et de la topographie des semi-conducteurs, échoient au TGI de Paris et à la Cour d’appel qui lui est associée et obéissent à des standards spécifiques. Au-delà, le domaine de l’incrimination pénale est rarement mise en œuvre en pratique mais n’en structure pas moins l’ensemble.

1) L’étendue de la protection judiciaire et la compétence judiciaire française du TGI.

En matière de contrefaçon, sauf lorsque s’y insère une question de facilités essentielles relevant du droit de la concurrence, la protection civile de la propriété intellectuelle relève de la compétence matérielle d’attribution du TGI comme le précise l’article L. 211-10 du code de l’organisation judiciaire. Il en est ainsi au principal comme pour les questions connexes de concurrence déloyale attachée à la cause. Depuis l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 21 mai 2008, Il en est de même pour les litiges entre salarié et employeur relatifs à la cause et, depuis la décision du 2 mai 2011 du Tribunal des conflits, lorsqu’une personne publique est en cause sauf contentieux des agents publics.

Dans ce cadre, sept TGI sont spécifiquement désignés pour les contrefaçons d’obtentions végétales et neuf TGI en droits respectivement d’auteur, voisins, des marques et des producteurs de base de données. Par contre, seul le TGI de Paris est compétent en droits respectivement des brevets, des certificats d’utilité et complémentaires de protection ainsi qu’en matière de topographies des semi-conducteurs. En complément, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient, dans son arrêt du 7 juin 2011, la compétence du tribunal de commerce en matière d’indemnisation pour violation d’une clause de non-divulgation de savoir-faire brevetable pour autant qu’il n’y ait pas contrefaçon de brevet. Quant à l’appel, il est interjeté auprès des Cours d’appel des TGI matériellement compétents.

A ces compétences judiciaires viennent se greffer les procédures de certains modes alternatifs de règlement des litiges que sont l’arbitrage et la transaction. Les deux sont possibles dans la seule sphère contractuelle du droit de propriété intellectuelle pour autant qu’il n’y ait pas interférence avec des questions d’ordre public ou d’autorité publique. Ainsi, ces deux modes alternatifs ne peuvent-ils être envisagés pour les titres de propriété intellectuelle parce que ceux-ci délivrés par une autorité publique. Un arrêt du 28 février 2008 de la Cour d’appel de Paris disposa toutefois que la validité d’un brevet peut faire l’objet d’un arbitrage à condition qu’il en soit ainsi de manière incidente et dès lors qu’il n’en résulte par d’effet à l’égard des tiers. Ceci étant, la matière se caractérise par le nombre limité des recours à l’arbitrage. Ceci tient notamment à la préférence pour les juridictions d’Etat qui offrent une possibilité d’appel en lieu et place du recours en annulation et parce que les actifs financiers en litige y sont souvent non négligeables.

Pour ce qui les concerne, les règles de procédure applicables au contentieux de la propriété intellectuelle sont celles du droit commun. C’est le cas pour le droit d’ester en justice, l’intérêt à agir en contrefaçon et les mécanismes de représentation en justice. En matière de contrefaçon de marques comme de brevets, l’objet du litige doit par ailleurs être très clairement et très précisément présenté et la preuve susceptible d’emporter la conviction du juge. En aval, deux types de sanctions civiles sont susceptibles d’exister en matière de propriété intellectuelle. Il s’agit, d’une part, de la réparation en nature avec rappel ou destruction des biens contrefaits voire de leurs supports matériels. Il s’agit, d’autre part, de la réparation pécuniaire sous forme notamment de dommages-intérêts.

Dans le cadre de la compétence du TGI, les pouvoirs du juge sont enfin particulièrement étendus en contrefaçon et s’ajoutent à ceux qu’il tient de son pouvoir de licence obligatoire dérivé du droit de la concurrence. En matière d’évaluation des préjudices, le juge décide tout d’abord, à la demande des parties, de la méthode d’évaluation à prendre en considération. Celle-ci renvoie alternativement à la présentation des éléments de preuve des préjudices subis ou à la détermination d’une somme forfaitaire qu’il revient au juge de fixer.

En outre, la preuve des éléments constitutifs du préjudice subi est purement factuelle et se trouve donc relever du pouvoir discrétionnaire du juge. La saisie-contrefaçon visant notamment à réunir des éléments de preuve donne également au juge le pouvoir de se prononcer en dehors tout débat contradictoire. Le juge peut enfin ordonner, sur requête des parties ou d’office, toutes les mesures d’information et d’instruction supplémentaires légalement admissibles. La principale réserve en la matière réside dans l’obligation de préservation du secret des affaires que le juge a également à apprécier.

En matière de contrefaçon de brevet, le juge dispose en outre d’un pouvoir d’interdiction provisoire d’exploiter au moyen d’une procédure avant dire droit qui ne peut néanmoins porter sur la validité du titre de propriété.

Dans ce cas, le demandeur est tenu de constituer une provision permettant d’indemniser son éventuel contrefacteur si ce dernier s’avérait ne pas l’être.
Pour ce faire, il dispose de deux voies procédurales :
- 1) la procédure contradictoire du référé de droit commun des articles 484 à 492 du code de procédure civile,
- 2) la procédure non contradictoire d’ordonnance sur requête de l’article 812 CPC.

Dans les deux cas, le juge prend sa décision sur le fondement respectivement de l’évidence du caractère illicite des faits incriminés et du caractère substantiel sinon irréparable du préjudice subi ou à venir. Il peut ordonner l’interdiction d’exploiter, la saisie des biens considérés, la saisie conservatoire de tout autre bien ou encore la poursuite de l’activité avec constitution de garanties en vue de l’indemnisation éventuelle du demandeur. Une réforme de 2007 autorise enfin le juge à satisfaire une demande forfaitaire de dommages-intérêts sur le fondement du mécanisme de la licence de brevet dont le calcul est validé par lui et ne peut être inférieure au montant des redevances qui auraient été dues par le contrefacteur.

Dans ce dernier cas, l’objet de la preuve diffère enfin. Il ne s’agit en effet plus de la preuve des préjudices subis qui est recherchée mais la preuve du montant des redevances qu’aurait dû le contrefacteur s’il avait eu à les payer. Ce montant est déterminé à partir des usages du secteur économique ou du milieu d’affaires en question et à partir des recueils de pratiques publiés dont il convient d’apporter la preuve. Concernant enfin le domaine de la charge de la preuve, celle-ci pèse en droit civil sur le demandeur que cela soit pour l’évaluation des préjudices subis ou pour l’évaluation des droits de licence à faire valoir. Un aménagement indirect est toutefois apporté à ce régime lorsqu’il s’agit d’évaluer les gains du contrefacteur. En effet, le moyen de la preuve réside ici, dans une large mesure, dans la capacité d’accéder aux informations commerciales et financières du contrefacteur. Il dépend donc de la volonté de collaboration du contrefacteur ainsi que de la diligence du juge à permettre l’accès à cette documentation.

S’agissant de la preuve d’un fait, elle est tout d’abord libre. Par ailleurs, au-delà du seul constat de l’atteinte à la propriété du bien intellectuel en question, il appartient au demandeur de chiffrer son préjudice au risque de dévoiler, notamment à la concurrence, les gains attendus de ce bien. Ce préjudice est économique et financier mais peut être également moral en cas d’atteinte au nom ou à la renommée du plaignant qu’il revient au juge d’apprécier. Font parties du premier cas les pertes subies ainsi que le manque à gagner. Le droit de la propriété intellectuelle y ajoute aujourd’hui le montant des gains du contrefacteur. Il peut enfin en résulter un mode de calcul du préjudice subi par un mécanisme de preuve centré sur le fait négatif que sont les bénéfices réalisés par le contrefacteur.

2) Le poids de l’incrimination pénale.

Bien que la pratique juridique montre que les actions au pénal sont assez rares dans les litiges relatifs au domaine de la propriété intellectuelle, il n’en existe pas moins un droit pénal spécifique de la contrefaçon de biens immatériels tant au niveau des incriminations que des procédures et des sanctions.
Le droit de l’Union européenne s’est ainsi engagé, sans pour autant pleinement aboutir, dans un processus de convergence des régimes de répression pénale de la contrefaçon des biens intellectuels en tant qu’elle est un obstacle au bon fonctionnement du marché intérieur européen. Le droit européen applicable prévoit ainsi de sanctionner toutes les personnes physiques ou morales violant intentionnellement un droit de propriété intellectuelle en vue d’en tirer un bénéfice économique et commercial. Des tentatives non abouties se sont par ailleurs plus spécifiquement attachées aux domaines de la contrefaçon de médicaments et de biens industriels. Un dispositif européen datant de 2009 prévoie enfin des sanctions spécifiques contre la contrefaçon en bande organisée.

En l’absence d’aboutissement de l’œuvre européenne d’harmonisation, la spécificité des droits nationaux continue donc en Europe à dominer la matière. En droit des brevets, la faiblesse des recours pénaux incita en juillet 1978 le législateur à supprimer la sanction pénale de la contrefaçon de brevets créée par la loi du 2 janvier 1968 avant de la rétablir par la loi du 26 novembre 1990. Le dispositif existant sanctionne la contrefaçon de brevets commis en France aussi bien par les personnes physiques que par les personnes morales. Dans le premier cas, la sanction est de 3 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. Elle peut être aggravée si des éléments de preuve distincts sont apportés. La sanction double en cas de récidive et passe à 5 ans et à 500.000 en cas d’infraction en bande organisée. La responsabilité des personnes morales est par ailleurs régie par l’article L. 615-14-3 du Code de la propriété intellectuelle qui renvoie aux peines de l’article 131-8 du Code pénal. Au-delà de celles prévues à l’article 131-10 du code pénal, des peines complémentaires spécifiques existent en droit des brevets ordonnant le retrait et la destruction des produits illicites tout comme la publicité des décisions de justice afférentes.
Enfin, l’infraction pénale est considérée comme instantanée dans le cas des contrefaçons de brevets de produit mais comme continue dans les cas de contrefaçons de brevets de procédé. Dans ce cas, la prescription ne court depuis une décision du 7 juillet 1971 du TGI de Paris qu’à compter du jour où l’utilisation a cessé.

Dans ce cadre, les articles L. 613-3 à L. 613-6 du Code français de la propriété intellectuelle précisent les droits des propriétaires de brevets susceptibles de faire l’objet d’une contrefaçon de brevet. L’incrimination pénale relève, quant à elle, des articles L. 615-12 à 615-16 du code de la propriété intellectuelle. D’une part, il en résulte un conditionnement de toute action à l’existence d’un élément moral d’intentionnalité de la personne incriminée. En la matière, la seule connaissance de l’existence du brevet ne suffit donc pas à l’incrimination. Il y faut une connaissance de cause qui est la connaissance effective du caractère contrefaisant de l’objet litigieux et de la matérialité de la contrefaçon. Cette connaissance peut néanmoins être présumée si des indices visibles y incitent. Ainsi en est-il, par exemple, de la violation des règles de compétences des offices de demande de brevet des articles 615-15 et 615-16 ou encore de la confidentialité du dépôt avant publication des articles L 615-13 et 615-15. Pour que la procédure pénale prospère enfin, il faut enfin que le titre de propriété du brevet soit valable, en vigueur et opposable et son usage légitime au jour de l’action en justice.
Dans le prolongement de la sanction de contrefaçon, l’article L. 615-12 du Code de la propriété industrielle sanctionne d’une amende de 7.500 euros toute personne se prévalant indûment de la qualité de propriétaire d’un brevet ou d’une demande de brevet. Outre la récidive et l’action en bande organisée, il y a par ailleurs aggravation de la contrefaçon en cas de risque pour la santé et la sécurité de l’homme et de l’animal.

Dans le prolongement, la contrefaçon de médicaments essentiels constitue une incrimination spéciale et autonome. En la matière, deux règlements européens du 26 mai 2003 et du 17 mai 2006 directement applicables dans les pays de l’Union font l’objet d’un article L. 613-17-2 qui prévoit l’incrimination supplémentaire de détournement vers les pays de l’UE. Il y a enfin aggravation de l’incrimination lorsque le contrefacteur est le contractant du propriétaire lésé. Dans ce cas, l’article L. 615-14-1 prévoit un doublement de la sanction auquel peut venir s’ajouter une sanction pour atteinte au droit contractuel. Il y a également circonstance aggravante dans le cas spécifique de la contrefaçon par internet qui vient se surajouter aux sanctions pénales relatives à l’usage illicite des réseaux de communication en ligne. En matière d’obtention végétale, l’article L. 623-32 du code de la propriété intellectuelle dispose également que toute atteinte aux droits en question est un délit puni d’une amende de 10.000 euros auxquels peut s’ajouter un emprisonnement de six mois en cas de commission en bande organisé ou de condamnation de même nature dans les cinq ans précédents.

II) Le règlement des litiges relatifs à la contrefaçon de brevet.

Le règlement des litiges relatifs à la contrefaçon de brevet met en scène des règles spécifiques en raison notamment de la complexité fréquente de la matière. Ceci est vrai au niveau de l’instance tout comme au niveau du régime de la réparation.

A) Les aspects procéduraux de l’action en contrefaçon de brevet.

L’action en contrefaçon de brevet renvoie à un dispositif procédural spécifique dans les domaines respectivement de l’introduction d’instance, de la charge probatoire, de l’office du juge et du dénouement de l’instance. Dans les deux premiers cas, la prescription est de cinq ans en matière de contrefaçon de brevet et la saisie-contrefaçon structure largement la matière probatoire. Compte tenu de la complexité fréquente des contrefaçons de brevet, le juge dispose par ailleurs de moyens étendus. L’enjeu du dénouement de l’action en justice porte enfin sur les mesures restitutives et réparatrices possibles avec possibilité d’appel auprès de la Cour d’appel de Paris.

1) Introduction d’instance et charge probatoire.

Le délai de prescription extinctive est la période de temps à l’issue de laquelle le titulaire de droits inactif n’est plus autorisé à agir. L’article L. 615-8 du Code de la propriété intellectuelle dispose que les actions en contrefaçon de brevet d’invention sont aujourd’hui prescrites par cinq ans à compter des faits en cause. Tant en matière civile qu’en matière pénale.
L’article 122 du Code de procédure civile précise que le moyen de défense tiré de la prescription constitue une fin de non-recevoir. Il s’agit d’un moyen d’ordre public qui peut être soulevé en tout état de cause. Le point de départ du délai de prescription est objectif en ce qu’il est fonction de la date des faits de contrefaçon mais peut varier en fonction de la qualification de ces mêmes faits. Dans le premier cas, il ne court donc pas à la date à laquelle le breveté a connaissance des faits de contrefaçon. En cas de contrefaçon successive, le délai court à compter du dernier acte ou du jour où la détention cesse. Dans le second cas, l’empêchement d’agir du fait de la loi, d’une convention ou de la force majeure emporte suspension de la prescription. Il en est ainsi dans le premier cas en cas de mesure d’instruction et de saisie-contrefaçon. Enfin, la prescription peut également être interrompue en cas de reconnaissance du droit par le contrefacteur, de demande en justice, de désistement et de péremption d’instance.

Le Code de la propriété intellectuelle ne contenant aucune disposition spécifique en matière d’assignation en contrefaçon de brevet, c’est donc le droit commun de l’article 56 du Code de la procédure civile qui s’applique. Il en résulte que l’assignation doit désigner le TGI de Paris qui est, depuis le 1er novembre 2009 la juridiction exclusivement compétente en matière de brevet d’invention. Elle doit par ailleurs préciser le fondement juridique de la demande inscrit aux articles L. 613-1 et suivants et L. 615-1 et suivants du code la propriété intellectuelle. Elle doit en outre faire état des références du brevet litigieux ainsi que des revendications de brevet contrefaites et expliquer en quoi il y a contrefaçon de sorte à ce que le prétendu contrefacteur sache précisément ce qui lui est reproché. Le défaut de ces éléments est la nullité de l’assignation s’analysant comme une exception de nullité pour vice de forme néanmoins susceptible d’être régularisée en cours d’instance.

La défense s’exerce sous deux formes qui sont les défenses procédurales, d’une part, et la défense au fond, d’autre part. Dans le premier cas, en l’absence de disposition du Code de la propriété intellectuelle, il s’agit des formes classiques du code de procédure civile que sont l’exception de procédure et la fin de non-recevoir. La première doit notamment être invoquée avant toute défense au fond. Elle regroupe plusieurs types d’exception qui sont les exceptions respectivement d’incompétence, de litispendance, de connexité, de nullité ainsi que les exceptions dilatoires. Concernant la seconde, l’article 32 du Code de procédure civile édicte qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir. Il s’agit du défaut de qualité, du défaut d’intérêt, de la prescription, du délai préfix et de la chose jugée. Dans ces cas, la prétention de défense peut être présentée en tout état de cause. La conséquence peut en être l’irrecevabilité de la demande en contrefaçon. Enfin, la défense au fond est le moyen par lequel le défendeur conteste directement la prétention substantielle du demandeur afin que le juge la dise mal fondée. Il en est notamment ainsi en cas de nullité du brevet ou en cas de possession personnelle antérieure de l’invention ou encore en cas de nullité du procès-verbal de saisie contrefaçon.

En matière probatoire, la charge de la preuve incombe aux parties à l’instance. En la matière, les parties à l’instance peuvent recourir aux modes de preuve précisés par l’article 1315-1 du Code civil que sont la preuve littérale, la preuve testimoniale, la présomption, l’aveu et le serment judiciaire. Notamment lorsque la preuve est complexe comme c’est souvent le cas en matière de brevet, les parties peuvent également solliciter du juge une mesure d’instruction sous forme d’expertise ou d’enquête. La saisie-contrefaçon a également un effet probatoire certain. Elle permet tout d’abord de prouver la matérialité de la contrefaçon qui est particulièrement difficile notamment en matière d’invention de procédé. Elle permet également de connaître l’identité du contrefacteur présumé ainsi que les dates des faits reprochés et d’apporter des éléments permettant d’apprécier le préjudice causé. En la matière, l’article L. 615-5 al. 2 prévoie enfin deux modes de preuve de la contrefaçon qui sont la saisie description avec possibilité de prélèvement d’échantillons et la saisie réelle. La première consiste dans le procès-verbal constatant de l’huissier qui peut se faire assister d’un expert. Dans ce cas, la valeur probante du procès-verbal diffère selon qu’il s’agit de la description d’huissier ou du témoignage de l’expert. Enfin, la valeur probante de la saisie réelle est entière en ce sens qu’elle apporte une garantie absolue d’authenticité. Compte-tenu de la difficulté probatoire de la contrefaçon de procédé, la loi organise en outre ici un renversement de la charge de la preuve au détriment du présumé contrefacteur.

2) L’office du juge du brevet.

En matière contentieuse, l’article 12, al 1 du code de procédure civile dispose que la fonction essentielle du juge est de trancher le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Dans ce cadre, l’alinéa 2 précise qu’il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée. Dans le contentieux des brevets, cette fonction requiert des moyens ad hoc compte tenu de la complexité fréquente des éléments de fait qu’il a à connaître. Pour ce faire, l’article 8 du code de procédure civile lui donne le pouvoir d’inviter les parties à lui fournir les explications de fait nécessaires et l’article 10 d’ordonner d’office toutes les mesures d’instruction légalement admissibles. Il s’agit principalement des mesures d’instruction exécutées par un technicien soumis au juge sans que ce dernier soit lié par ses conclusions. Dans ce cadre, le droit applicable procède du droit commun de l’expertise judiciaire auquel vient s’ajouter des règles spécifiques au droit des brevets relatives au choix de l’expert et au domaine de la protection des secrets notamment lorsqu’ils touchent la défense nationale. Les moyens en sont alors la technique de l’agrément et la faculté donnée aux conseils des parties tenus par le secret professionnel d’assister aux opérations d’expertise.

Au plan de la mise en œuvre du droit, l’article 12 du code de procédure civile dispose que le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables qui ne sont pas forcément celles que les parties lui ont présenté. Dans le même temps, il est tenu par le principe dispositif. Aussi, statue-t-il en droit dans les limites de l’objet du litige déterminé par les prétentions des parties et de la cause du litige constituée par les faits invoqués par les parties. Ceci étant, la complexité de la matière du brevet est génératrice de difficulté pour déterminer la réelle étendue des pouvoir du juge. La question est tout particulièrement celle du pouvoir du juge de relever d’office un moyen de droit modifiant la cause dont l’application procède de faits non versés au débat par les parties. En la matière, il ressort en effet du droit des brevets que le juge doit le plus souvent se livrer à une interprétation des revendications du brevet afin d’en mesurer l’étendue de la protection permettant la qualification des faits litigieux. Pour encadrer son action, un arrêt du 11 octobre 1990 de la Cour d’appel de Paris précise toutefois que l’interprétation doit conduire à dégager la substance de l’invention revendiquée sans pour autant apporter un élément que la revendication ne contenait ni ne suggérait de quelque manière que ce soit et que le juge qui doit se mettre, par la pensée, à la place de l’homme de métier ne doit chercher d’éléments d’interprétation que dans la description et les dessins. Dans ce cadre, si, malgré les ressemblances, tous les moyens essentiels de l’invention brevetée ne sont pas reproduits par l’acte incriminé, la qualification de contrefaçon doit être écartée.

3) Le dénouement de l’instance.

Le jugement est l’acte par lequel le juge tranche le litige qui lui est soumis et qui correspond au dénouement de l’instance. Le juge s’en trouve donc immédiatement dessaisi et la chose jugée inscrite dans le dispositif du jugement a l’autorité de la chose jugée et est donc susceptible d’exécution forcée en dehors de l’exercice des voies de recours. Il en résulte notamment que le demandeur en contrefaçon qui est ainsi jugé irrecevable en son action pour défaut de titre ne peut plus recommencer le même procès sauf recours en révision. L’autorité de la chose jugée ne joue toutefois pas contre le demandeur à l’action en contrefaçon lorsqu’il obtient la titularité du brevet postérieurement au jugement. Une autre instance est donc alors possible parce que la cause n’est pas la même dès lors qu’un événement postérieur au jugement modifie la situation antérieurement prise en compte par la justice. Dans le même temps, il appartient au demandeur à l’action en contrefaçon de disposer en première instance de tous les moyens en fait et en droit nécessaires au traitement de sa prétention. Il ne peut donc réitérer sa demande de jugement en invoquant simplement une preuve supplémentaire qui ne modifie pas la cause au jugement. Il en est enfin de même en cas d’annulation postérieure du brevet ainsi qu’en cas d’obtention postérieure du brevet.

En matière de contrefaçon de brevet et pour autant que je juge fais droit au demandeur, la force exécutoire du jugement porte essentiellement sur les mesures respectivement restitutives et réparatrices. Les premières assurent la réintégration du demandeur dans ses droits lorsqu’elles interdisent au défendeur, éventuellement sous astreinte, de poursuivre l’activité contrefaisante. Ces mesures ne valent toutefois plus lorsque le brevet arrive à expiration ou n’est déjà plus en vigueur au jour du jugement. Les mesures réparatrices tendent principalement à l’allocation de dommages-intérêts. Dans ce cadre, l’exécution forcée du jugement ne vaut toutefois que pour autant que le jugement a acquis la force de chose jugée. En la matière, l’article 500 du code de procédure civile précise que le jugement a force de chose jugée lorsqu’il est insusceptible de recours suspensif d’exécution. Le jugement en contrefaçon ne devient donc exécutoire que dès lors qu’il n’est plus susceptible d’appel ou d’opposition. Ceci étant, l’exécution obéit également à des conditions de forme. Enfin, une exécution provisoire est également possible. Elle requiert une disposition spéciale du juge au regard des circonstances de l’espèce et le défendeur peut s’y opposer. Elle peut également être assortie de garantie au cas où le jugement serait infirmé et est souvent assortie d’une peine d’astreinte. Enfin, en cas d’appel, l’arrêt de l’exécution provisoire peut être demandée au premier Président de la Cour d’appel statuant en référé.

Dans le contentieux des brevets d’invention et tout particulièrement dans le contentieux de la contrefaçon, l’appel est la principale des voies de recours. L’article 542 du code de procédure civile dispose que l’appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la Cour d’appel. Interjeté dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement du premier degré et pour des affaires dont le montant est supérieur à 4 000 euros, l’appel est porté devant la Cour d’appel du ressort géographique de la Cour en charge du jugement de première instance. Celle-ci étant le TGI de Paris en matière de brevet d’invention, la Cour d’appel est donc celle de Paris. Dans ce cadre, le moyen de droit sanctionnant l’appel mal interjeté est non pas l’exception d’incompétence mais la fin de non-recevoir. En principe, les parties ne peuvent par ailleurs soumettre à la Cour des demandes nouvelles. Du point de vue du droit de la contrefaçon, une demande fondée sur une revendication de brevet non invoquée en première instance constitue donc une demande nouvelle et est donc irrecevable. Néanmoins, le demandeur à l’action en contrefaçon est en droit de présenter en appel de nouvelles pièces, de nouvelles preuves et de nouvelles prétentions. Face à une demande reconventionnelle en annulation de brevet, le titulaire peut également procéder en appel à une réduction du brevet en question de sorte à échapper à l’annulation. Enfin, l’article 567 du code de procédure civile permet de soulever devant la Cour d’appel une nouvelle demande reconventionnelle dès lors qu’elle présente un lien suffisant avec la demande principale. En conséquence, est recevable une première demande en annulation du brevet faisant l’objet de l’action en contrefaçon.

B) La réparation de la contrefaçon de brevet.

Le régime de la réparation en matière de contrefaçon de brevet procède du droit général de la responsabilité civile augmenté de quelques particularités. Ainsi, le droit français limite-t-il le domaine de la responsabilité civile au seul fait dommageable sans prise en considération de l’élément d’intentionnalité. S’y ajoutent des règles particulières relatives à la mesure du dommage réparable. Cette mesure s’évalue respectivement en perte sècle et en perte de gains rapporté au produit de la licence d’exploitation et intègre les dimensions respectivement matérielle et morale du préjudice subi.

1) Un régime profondément ancré dans le droit de la responsabilité civile.

Au-delà des mesures de sauvegarde circonstanciées, la réparation est la principale réponse juridique civile à l’action de contrefaçon. En droit de la contrefaçon de brevets, le dispositif est ancien puisqu’il remonte à une loi du 5 juillet 1844. De même en était-il en droit des marques de l’ancien article L. 716-13 du code de la propriété intellectuelle. Aujourd’hui, l’article 15 de la Directive de 2004 applicable dont la teneur a été transposée dans la loi du 29 octobre 2007 régit la matière. L’article L. 722-7 al. 2 du même code dispose en outre qu’en cas de condamnation pour contrefaçon, à la demande de la partie lésée et aux frais du contrefacteur, la juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu’elle désigne, selon les modalités qu’elle précise. L’objectif en est double. Au plan subjectif, la publicité judiciaire permet, d’une part, de mettre un terme à la confusion que la contrefaçon est susceptible de produire dans l’esprit des consommateurs tout comme dans celui des concurrents. Elle n’est donc pas une mesure de réparation du lésé quand bien même elle en prendrait la forme.

Au plan objectif, l’opportunité comme les modalités de la publication en reviennent au pouvoir souverain du juge. En cas de publication abusive, le préjudice causé engage la responsabilité civile directe et indirecte de son auteur sur les fondements de la loi du 29 juillet 1881 et des articles 1382 et 1383 anciens du code civil. Les cas de dénigrement peuvent également donner lieu à des actions en concurrence déloyale lorsque, par exemple, le demandeur à l’action se sert de la mesure de publication judiciaire à des fins commerciales. Sur le fond, la publication est effectivement un acte de publicité. Dans la mesure où elle peut avoir un effet irréversible, elle doit obéir à des critères de véracité et de proportionnalité. Sur le fondement du principe de la publicité des décisions de justice, la question est en outre posée de la possibilité des publications judiciaires non requises voire refusées par le juge. Ainsi, dans un arrêt du 12 mai 2004, la chambre commerciale de la Cour de cassation a, en matière de brevets, considéré que constituait une faute la dénonciation n’ayant pas donné lieu à décision de justice.

Sur le fond, le régime de la réparation prise en tant que telle du préjudice subi par la victime de l’acte de contrefaçon s’inscrit de plein pied, tant en droit européen qu’en droit français, dans un droit de la responsabilité civile qui se décline par le triptyque : dommage - fait générateur - lien de causalité. Les deux droits français et européen convergent également dans leur refus commun de consacrer le principe de la sanction pécuniaire civile à caractère punitif. En cela, le droit en vigueur tranche avec la pratique française antérieure par laquelle, le brevet étant constitutif d’un monopole d’exploitation, l’intégralité des bénéfices tiré par le contrefacteur, à travers notamment le détournement de clientèle, doit être reversé au breveté parce que considérés comme une perte proportionnelle de gain. A cet égard, on rappellera également qu’il n’en est toutefois pas ainsi en droit des marques parce que ne conférant pas ce même monopole d’exploitation. Par contre, dans la catégorie du fait personnel opposé aux faits d’autrui ou des choses, les deux droits divergent sur la question de la prise en compte ou non de l’élément intentionnel dans la formation de la faute de l’auteur de l’acte de contrefaçon. Contrairement à l’option européenne et malgré sa transposition en droit national, la jurisprudence est, en matière de droit des brevets, constante à considérer que la responsabilité civile de l’auteur de l’acte est engagée par le seul fait dommageable sans qu’il y ait à rechercher l’existence ou non d’une mauvaise foi. A l’opposé, l’article 13 de la Directive de 2004 subordonne l’attribution de dommages au seul contrevenant qui s’est livré à une activité contrefaisante en le sachant ou en ayant des motifs raisonnables de le savoir.

Dans le premier cas, l’option apparaît en effet davantage profitable à la victime de la contrefaçon. Sa source réside, pour une part, dans la distinction qu’il y a entre un droit français de la responsabilité civile qui se veut exclusivement réparateur et un droit pénal de la responsabilité qui est essentiellement punitif. De ce point de vue, la responsabilité civile française s’attache strictement au seul préjudice indépendamment des éléments relatifs au fait dommageable ou à la personne de son auteur. Dans le second cas, on notera simplement le relatif manque de précision des termes de l’article 13 de la Directive. Enfin, on rappellera que le droit français de la responsabilité civile n’est pas totalement hermétique au principe de l’intentionnalité. L’article L. 615-1 al 3 du code de la propriété intellectuelle précise en effet que, dans certains cas, la responsabilité civile n’est engagée que si les faits ont été commis en connaissance de cause. Dans le prolongement, il résulte de la jurisprudence une présomption simple du contrefacteur professionnel. Ceci signifie, d’une part, que c’est la qualité de professionnel qui est en cause et non la simple connaissance factuelle des éléments constitutifs du brevet. Cela signifie, d’autre part, que cette présomption est renversable par la preuve contraire renvoyant à la question du périmètre de la catégorie de professionnel.

2) La mesure des dommages réparables.

La question de l’évaluation du dommage de contrefaçon en vue de sa réparation civile renvoie à deux séries de critères. Dans le passé, en l‘absence de dispositions spécifiques au droit de la propriété intellectuelle, l’ensemble de la question était régi par le droit commun des anciens articles 1382 et 1149 du code civil ainsi que par la jurisprudence qui y était attachée. Dans le premier cas, il en résulta une identité de périmètres à laquelle le juge est tenu entre le montant de l’indemnité compensatoire et le montant du préjudice subi. L’objectif est de rétablir le strict équilibre détruit par le dommage en vue de replacer la victime dans la situation antérieure au fait dommageable. Quant à ses effets, la réparation ne saurait être ni une cause d’appauvrissement ni une source de profit. Dans son fondement, la responsabilité civile française ne connaît pas de mécanismes d’exemption, d’aggravation ou d’atténuation de l’obligation de réparer. Pour la même raison, elle ne peut prendre en compte, pour l’évaluation des dommages et des intérêts dus, les situations financières respectives du contrefacteur et de sa victime.

Concernant la seconde série de critères, l’ancien article 1149 du code civil a dégagé deux critères d’évaluation du préjudice qui sont les pertes financières sèches de la victime, d’une part, et ses pertes de gain, d’autre part. Dans ce cadre, la victime d’une contrefaçon se voyait allouée une redevance indemnitaire correspondant au produit des licences d’exploitation qui aurait été perçu si le gain tiré de la contrefaçon avait procédé de l’octroi de licences. Aujourd’hui et pour l’avenir, la loi du 29 octobre 2007 de transposition du droit européen établit un système mixte de responsabilité civile en matière de contrefaçon. Il reprend, d’une part, les préjudices économiques antérieurement pris en considération s’analysant en pertes financières respectivement sèche et de gain qu’il élargit aux pertes de chance de gain et de marges bénéficiaires ainsi qu’aux montant des frais de justice engagés. Ce système mixte prend, d’autre part, en considération les bénéfices propres réalisés par le contrefacteur et introduit un mécanisme d’indemnisation forfaitaire.

La masse contrefaisante prise en considération correspond par ailleurs au périmètre de l’action en contrefaçon portée devant la justice dont il appartient au demandeur de fournir les éléments probants. En matière de brevets, le calcul des pertes prises en considération intègre, tout d’abord, les pertes d’investissements nécessaires à l’éclosion du brevet ainsi qu’à la promotion de son produit. S’y ajoutent les pertes de manque à gagner du cessionnaire dont le périmètre s’étend aux difficultés rencontrées pour trouver de nouveaux licenciés du fait de l’effet dissuasif des contrefaçons possibles. S’y ajoutent enfin les pertes tirées du préjudice commercial pris en tant que tel. Il s’agit notamment des pertes de marges bénéficiaires résultant de l’obligation qu’a souvent la victime de la contrefaçon d’aligner à la baisse ses prix de vente sur ceux du contrefacteur. Le plaignant devra, dans ce cas, apporter la preuve du lien de causalité entre la contrefaçon en question et la perte de marges bénéficiaires prétendues. Dans le prolongement, il peut aussi s’agir des pertes possibles dérivées d’une transformation de la structure des marchés sous l’effet du développement de la contrefaçon.

Enfin, par une inflexion du droit classique de la responsabilité civile sous la pression du droit communautaire et bien que la jurisprudence ne soit pas encore véritablement stabilisée en la matière, le calcul des pertes de la victime tend aujourd’hui à prendre également en considération les bénéfices nets voire bruts réalisés par le contrefacteur. Le surcroit de complexité qui en résulte amène alors fréquemment du juge à recourir à une expertise en évaluation des préjudices. Du point de vue jurisprudentiel, il ne peut toutefois en être ainsi que si le requérant est en mesure d’apporter un début de preuve. Sur cette base, il se dégage du droit immédiatement contemporain des modifications dans les méthodes de calcul forfaitaire. Celles-ci ont en effet longtemps pris assise sur la notion d’assiette de l’indemnité ou de masses contrefaisantes alors qu’elles prennent aujourd’hui la forme d’une redevance indemnitaire. Cette dernière méthode assimile le contrefacteur au licencié du titulaire de droits et prend pour assiette de la redevance le chiffre d’affaires de l’activité contrefaisante pour en tirer un taux de redevance indemnitaire. Lorsqu’il n’y a pas de licence d’exploitation et à défaut de recourt à l’expert, la pratique judiciaire se réfère souvent aux taux pratiqués dans la branche d’activité en question qu’elle lisse en prenant en compte la situation du marché au moment considéré ainsi que les degrés de technicité et d’intérêt commercial de l’invention litigieuse. Ensuite, le juge n’a plus qu’à appliquer le taux dégagé au chiffre d’affaires du contrefacteur.

Au-delà du préjudice matériel subi par la victime, le caractère public de la sanction civile pour contrefaçon prend enfin l’essentiel de sa source dans l’atteinte morale portée par la contrefaçon au droit de la propriété intellectuelle pris en tant que tel. En la matière, il est de jurisprudence constante de considérer que l’atteinte à un droit de propriété est en soi une faute génératrice de préjudice pouvant, de manière autonome, donner lieu à des dommages et intérêts quand bien même il y aurait absence de préjudice matériel. En pratique, notamment en droit des marques, les produits de grande notoriété en sont les principales victimes. Par ailleurs, dans la mesure où la matière relève de l’exercice du droit de propriété, le simple licencié d’un droit de propriété industrielle ne dispose donc pas ici, a priori, d’intérêt à agir parce qu’il n’est créancier que d’obligations et non de titres. Dans la mesure toutefois où la spécificité du droit de propriété industrielle réside dans son caractère exclusif, la valeur du droit pour laquelle le licencié s’est engagé peut indirectement être affectée par la contrefaçon.

Sur la base de l’ensemble de ces éléments, il appartient au requérant d’apporter la preuve de la réalité de l’affaiblissement du caractère exclusif du droit en question. En général, la preuve de sa matérialité est apportée par les indicateurs montrant la dégradation du caractère attractif du droit en raison de la contrefaçon. Quant à la preuve de l’étendue de cet affaiblissement, elle peut être notamment apportée par le volume des personnes sollicitées par la contrefaçon ou en ayant connaissance.
Ce périmètre peut donc être local, national ou international selon les cas et se trouve forcément démultiplié par le développement du commerce électronique. Pour bien évaluer la portée de l’affaiblissement de l’exclusivité du droit de propriété industrielle, il convient enfin que le juge fasse également, dans son analyse des responsabilités, la part entre ce qui revient à la contrefaçon à proprement parler et ce qui relève des évolutions naturelles des marchés.

François CAMPAGNOLA