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Contrat d’infogérance : condamnation à plus de 500.000 euros pour perte de données. Par Betty Sfez, Avocat.
Parution : mardi 3 septembre 2019
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Le Tribunal de commerce de Nanterre a condamné un prestataire d’infogérance en réparation du préjudice subi par son client : la perte de données informatiques. Suite à une expertise judiciaire, le Tribunal a décidé de limiter le montant des dommages et intérêts à la somme prévue par la clause limitative de responsabilité du contrat liant les parties, soit 500.000 euros environ. La société cliente réclamait pourtant au prestataire plus 7.700.000 euros de dommages et intérêts. (Aff. Haulotte Group vs Capgemini France.)

1. Synthèse des faits et de la procédure.

En 2006, la société Haulotte (constructeur français d’engins de travaux publics et de machines d’élévation de personnes et de charges) a conclu un contrat d’infogérance de ses sites industriels avec la société Euriware, spécialisée en conseil en systèmes et gestions informatiques (rachetée par Capgemini au cours de la procédure judiciaire). Les prestations d’euriware consistaient notamment en la mise en place de procédures de sauvegarde, de restauration des données et d’archivages informatiques.

En 2011, la société Haulotte a perdu près de 200 000 fichiers suite à un dysfonctionnement technique affectant l’un de ses serveurs, puis à la défaillance du programme de sauvegarde piloté par Euriware. La nature exacte des données perdues n’est pas précisée dans les décisions de justice associées à cette affaire. Toutefois, il ressort de leur lecture que les fichiers en cause étaient « considérés comme vitaux par l’entreprise pour maintenir l’activité, répondre aux demandes des clients et des tiers, des autorités diverses et préserver la sécurité des collaborateurs et la qualité des produits sans ralentissement de l’activité ».

A la suite de ces évènements, la société Haulotte résilie le contrat d’infogérance au tort d’Euriware et l’assigne en référé expertise devant le Tribunal de commerce de Lyon.

Mi-décembre 2012, le Tribunal rend une ordonnance désignant un expert judiciaire dont la mission consiste à établir la réalité, la nature et le volume des fichiers disparus et à évaluer le préjudice matériel subi. De plus, le Tribunal condamne Euriware à payer à la société Haulotte une somme provisionnelle s’élevant à 300 000 euros.

Début février 2014, la Cour d’appel de Lyon réforme l’ordonnance condamnant Euriware au paiement d’une somme provisionnelle ; seul le rapport d’expertise pouvait permettre d’évaluer le préjudice d’Haulotte et donc de fixer le montant des dommages et intérêts. Quelques semaines après, l’actionnaire unique Euriware cède ses parts à la société Capgemini France.

Puis, en octobre 2017, les opérations d’expertises étant terminées, le rapport de l’expert judiciaire est communiqué.

Enfin, en mars 2018, la société Haulotte assigne au fond Euriware, devenu Capgemini, devant le Tribunal de commerce de Nanterre. A travers cette action, elle réclame notamment la réparation intégrale de son préjudice, à savoir : 7.237.500 euros de dommages et intérêts pour préjudice matériel et 500.000 euros pour son préjudice immatériel.

2. La faute du prestataire d’infogérance et le quantum des dommages et intérêts.

Par une décision du 23 avril 2019, le Tribunal de commerce de Nanterre a constaté l’inexécution par la société Euriware (Capgemini) de ses obligations contractuelles, celle-ci n’ayant pas été en mesure de respecter son engagement contractuel de remise en état opérationnel des données suite à l’incident.

A ce titre, la société Haulotte soutenait que l’inexécution contractuelle commise par EURIWARE (Capgemini) été une faute lourde. En invoquant la faute lourde, Haulotte cherchait ainsi à exclure l’application de la clause contractuelle fixant un plafond d’indemnisation bien inférieur aux dommages et intérêts qu’elle réclamait. En effet, la règlementation prévoit que seule une faute d’une particulière gravité peut mettre en échec une limitation contractuelle de responsabilité.

Toutefois, le Tribunal a rejeté la qualification de faute lourde, jugeant que le comportement d’Euriware (Capgemini) démontrait une volonté de mettre fin au dysfonctionnement technique constaté et qu’aucun élément versé au débat ne traduisait une volonté de nuire à la société Haulotte.

En outre, la juridiction exclut la réparation intégrale considérant que les dommages et intérêts dus en raison de la faute de Euriware (Capgemini) doivent uniquement être évalués en considération de la reconstitution des fichiers nécessaires à la poursuite de l’activité de Haulotte.

Or, le rapport d’expertise judiciaire évaluait le préjudice matériel de la société Haulotte au coût de la vérification et de la reconstitution des fichiers de données, à savoir entre 500.000 et 1.400.000 euros selon le nombre de données nécessitant une telle reconstitution. Quant au contrat d’infogérance liant les deux parties, il prévoyait un plafond d’indemnisation correspondant au montant annuel du contrat, soit 537.896,04 euros.

Considérant que le montant d’indemnisation fixé contractuellement par les parties correspondait au préjudice matériel subi, le Tribunal a condamné Euriware (Capgemini) à payer la somme de 537.896,04 euros. La société Haulotte a, néanmoins, été déboutée de sa demande de paiement de 500.000 euros au titre du préjudice immatériel, à défaut d’avoir produit des preuves tangibles.

Betty SFEZ Avocat