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Le droit de réponse au titre de la protection fonctionnelle : la consécration d’un droit fantôme. Par Jocelyn Ziegler et Ibrahim Shalabi, Elèves-avocats.
Parution : mardi 10 septembre 2019
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Une décision importante a été rendue le 24 juillet 2019, par le Conseil d’état concernant une des formes que peut prendre la protection fonctionnelle.

I) La notion de protection fonctionnelle.

1. La protection fonctionnelle, un droit des agents publics.

La protection fonctionnelle est un droit prévu par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, prévoyant que l’Administration est soumise à une obligation de protection à l’égard de ses agents publics.

Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l’agent est exposé, mais aussi lui assurer une réparation adéquate des torts qu’il a subis.

Une telle protection n’est accordée que lorsque les agents publics subissent un dommage dans l’exercice de leur fonction ou à raison de leur fonction.

Une telle condition préalable relative à la qualité ne suppose pas pour autant que celle-ci perdure pour rendre pérenne la protection fonctionnelle. En effet, la circonstance que la personne qui en demande le bénéfice a perdu la qualité d’agent public postérieurement à l’attaque du fait de sa qualité ou durant ses fonctions est sans incidence sur l’obligation de protection qui incombe à l’Administration (CE, 26 juillet 2011, n°336114).

Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence du Conseil d’Etat que le champ des bénéficiaires de la protection fonctionnelle est assez large, comprenant par exemple les collaborateurs occasionnels du service public ou encore des agents grévistes...(CE 13 janvier 2017, n°386799 ; CE, 22 mai 2017, Commune de Sète).

2. La protection fonctionnelle, un choix de l’Administration.

En outre, la protection fonctionnelle est exclue lorsque l’agent public a commis une faute personnelle détachable de ses fonctions, entendue comme un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent dans le cadre du service.

La protection fonctionnelle peut également être refusée, lorsqu’un motif d’intérêt général s’y oppose (CAA Paris, 3 février 2015, n°14PA01512 ; CE, 14 février 1975, Teitgen).

L’obligation assortie à la protection fonctionnelle est une obligation de moyen à la charge de l’administration. Celle-ci ne garantit donc pas un résultat, mais de diligences effectuées au bénéfice de l’agent pour lui accorder une protection nécessaire et suffisante.

Dans la pratique, cette obligation peut se traduire par la prise en charge des frais d’avocat mais peut aussi, par exemple, se transposer d’autres manières, comme le déplacement de l’agent dans un autre service, laquelle obligation devant permettre d’assurer sa protection.

La question de la forme apportée à la protection fonctionnelle s’est par ailleurs posée dans un arrêt en date du 24 juillet 2019, où il fut demandé au Conseil d’État si le droit de réponse peut constituer une des formes de la protection fonctionnelle.

II) Le droit de réponse, un choix discrétionnaire de l’administration.

1. Le rappel du droit à la protection fonctionnelle par le Conseil d’État.

En l’espèce, un agent public mis en cause publiquement par un député dont les allégations ont été reprises par un journal, a demandé à sa hiérarchie, au titre de la protection fonctionnelle, de l’autoriser à adresser un droit de réponse sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 et, in fine, en valider le projet.

Du fait du silence gardé par l’administration durant deux mois, l’agent public s’est vu opposer une décision implicite de rejet. Il a donc demandé au juge des référés du Tribunal administratif de Paris de suspendre l’exécution de cette décision.

Le 17 avril 2019, le juge des référés dudit Tribunal en a suspendu l’exécution et a enjoint l’administration de procéder au réexamen de la demande de l’agent.

Le 29 avril 2019, l’administration se pourvoit en cassation de l’ordonnance rendue et a demandé au Conseil d’Etat d’annuler ladite ordonnance.

Tout d’abord, la juridiction rappelle le droit à tout agent public d’obtenir de son administration la protection fonctionnelle, pour ensuite relever que l’agent public qui subit des attaques par voie de diffamation doit être protégé.

Cette affirmation fait écho à une jurisprudence antérieure, dans laquelle le Conseil d’État a énoncé que l’autorité administrative n’était pas tenue d’engager des poursuites dans le cas d’injures et de diffamations envers des fonctionnaires, mais n’était pas dispensé, pour autant, de son devoir de protection par tous moyens approprié et notamment en assistant, le cas échéant, le fonctionnaire dans les poursuites judiciaires qu’il entreprendrait pour sa défense (CE, Section, 18 mars 1994, n°92410, publié au recueil Lebon).

2. Le droit de réponse, partie intégrante du droit à la protection fonctionnelle.

L’intérêt de cet arrêt est que le Conseil d’État précise que la protection fonctionnelle due par l’administration à son agent victime de diffamation par voie de presse peut prendre la forme de l’exercice d’un droit de réponse, adressé par l’administration au média en cause, ou par l’agent diffamé lui-même, dûment autorisé à cette fin par son administration.

Cependant, la juridiction précise qu’il appartient toujours à l’administration d’apprécier si l’exercice d’un tel droit de réponse est la modalité la plus appropriée pour assurer la protection de son agent.

En effet, le Conseil d’État se borne à apprécier, d’une part, la prise en considération de la demande de l’agent public par l’administration et, d’autre part, si l’administration a bien apprécié l’exercice de ce droit de réponse in concreto.

III) La mise en balance entre intérêt privé de l’agent et intérêt de l’administration.

Cette décision vient préciser à l’agent public qu’il dispose d’un droit de réponse, et que celle-ci fait partie intégrante de son droit à la protection fonctionnelle.

Cependant, celle-ci peut paraître paradoxale, ou à tout le moins étonnante, vu les différentes obligations auxquelles sont soumis les agents publics, au devant desquelles se trouvent :
• Le devoir de réserve ;
• L’obligation de discrétion professionnelle ;
• L’obligation de secret.

Le Conseil d’État semble mettre en balance des intérêts contradictoires : l’intérêt privé de l’agent face à l’intérêt supérieur de l’administration. Néanmoins, dans cet arrêt, l’intérêt privé de l’agent semble prendre le pas sur l’intérêt de l’administration.

Or, si l’intérêt privé de l’agent est touché, ce dernier n’a, en principe, pas le droit à la protection fonctionnelle. La protection fonctionnelle n’étant due, comme cela est rappelé, que lors d’une attaque du fait de sa qualité ou dans l’exercice de ses fonctions.

C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État affirme qu’il appartient toujours à l’administration d’apprécier si, compte-tenu du contexte, l’exercice du droit de réponse est la modalité la plus appropriée qu’elle doit à son agent.

Cette décision doit donc être tempérée. En effet, quand bien même le Conseil d’État viendrait préciser à l’agent public que le droit de réponse fait partie de la protection fonctionnelle due, celle-ci n’en est pas moins laissée à l’approbation de l’administration qui demeure, en la matière, seule décisionnaire.

Après tout, qui mieux que l’Administration est la mieux placée pour connaître son intérêt ?

Jocelyn ZIEGLER Avocat Associé https://www.ziegler-associes.com/