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Les clauses de non concurrence et de mobilité sont elles (in)compatibles ? Par Alain Hervieu, Docteur en droit.
Parution : lundi 16 septembre 2019
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Une clause du contrat de travail peut-elle avoir pour effet de principe, d’en neutraliser une autre et de la rendre nulle ? La question s’est posée à propos de la coexistence des clauses de non concurrence et de mobilité.

Tout le monde connaît aujourd’hui, ces deux clauses devenues classiques dans le contrat de travail que sont la clause de mobilité et la clause de non concurrence.

La première permet à l’employeur de modifier le lieu de travail et d’affectation du salarié, ce qui a priori pourrait constituer une modification de son contrat de travail que celui-ci serait en droit de refuser, sans avoir ici à obtenir son accord puisque en acceptant la clause, le salarié a, par anticipation, accepté les mutations futures pouvant en résulter.

La seconde, est d’un usage plus limité puisqu’elle ne s’adresse qu’à des salariés susceptibles de concurrencer leur employeur plus facilement que les autres, parce qu’ils sont en contact avec la clientèle, et elle a donc pour objet d’interdire au salarié concerné, une concurrence normale et autorisée aux autres.

En l’absence en principe de réglementation légale de portée générale, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu de poser les règles applicables à ces clauses, tant au niveau de leur stipulation que de leur mise en œuvre.

Ainsi, la jurisprudence, a décidé que la clause de non concurrence, devait être précisément limitée dans le temps et l’espace en laissant au salarié la possibilité d’exercer sa profession, justifiée par la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, et depuis 2006, obligatoirement assortie d’une contrepartie financière. Le cumul de ces diverses conditions se justifie par le fait que cette clause apporte une restriction à la liberté du travail du salarié.

La clause de mobilité, plus fréquente puisqu’elle peut s’adresser potentiellement à tous les salariés, ne doit, par son objet, viser que la modification du lieu de travail ou d’affectation du salarié à l’exclusion de toute autre modification du contrat (notamment employeur, salaire ou horaires…)

Elle doit définir précisément sa zone géographique d’application qui peut aujourd’hui être le territoire national et elle ne peut pas laisser à l’employeur le droit de la modifier unilatéralement. Sa mise en œuvre ne doit pas porter une atteinte excessive au droit du salarié de mener une vie personnelle et familiale normale. Enfin, elle doit respecter un délai de prévenance laissant au salarié le temps de prendre ses dispositions et être mise en œuvre de bonne foi.

Ces conditions étant respectées, les clauses concernées sont en principe valables et doivent être exécutées.

Mais l’imagination des praticiens n’ayant pas de limites, aussi bien pour rédiger des clauses que pour les contester, la question s’est posée de savoir si la présence dans le contrat de travail d’un salarié d’une clause de mobilité, n’avait pas pour effet de rendre imprécise la clause de non concurrence, ce qui devrait entrainer la nullité de cette clause.

En d’autres termes, la présence d’une clause de mobilité dans le contrat, est-elle incompatible avec celle d’une clause de non concurrence sous peine de nullité de cette dernière ?

La question est importante puisque cette coexistence se rencontre fréquemment dans les contrats de travail notamment des commerciaux et qu’une incompatibilité aurait pour effet systématique d’abord de condamner les clauses de non concurrence coexistant actuellement dans les contrats de travail en cours ( comme l’exigence d’une contrepartie financière avait condamné nombre de clauses existantes après que la jurisprudence en ait fait une condition de validité ) et ensuite d’obliger pour les contrats à venir, l’employeur à un choix, ente la clause de non concurrence et la clause de mobilité.

La question a été posée récemment et on a pu penser qu’elle était tranchée en ce sens par un arrêt de la chambre sociale du 13 mars 2019, rejetant le pourvoi formé contre un arrêt de Cour d’appel (Aix-en-Provence 24 novembre 2016) qui avait annulé une clause de non concurrence coexistant avec une clause de mobilité au motif notamment selon le pourvoi, que « la seule présence d’une clause de mobilité par ailleurs stipulée au contrat, rendait mécaniquement illégale la clause de non concurrence dès lors qu’à la date de sa signature, le salarié était incapable d’anticiper le périmètre de sa zone d’exclusion ».

On a pu en déduire que la Cour de cassation adoptait en rejetant le pourvoi, la thèse de l’incompatibilité.

En réalité, la position de la cour de cassation est loin d’être aussi claire sur ce point.

Tout d’abord on peut penser que si elle avait voulu poser un principe d’interdiction, elle l’aurait formulé en des termes précis, comme elle l’avait fait à propos de la contrepartie financière.

Surtout et en l’espèce, on doit relever que la clause de non concurrence litigieuse, cumulait les sujets à critique, puisque elle prévoyait une durée de 18 mois, durée jugée excessive par la Cour d’Aix et interdisait au salarié toute activité le mettant en contact non seulement avec la clientèle de l’employeur, mais aussi avec les simples « prospects en gestion active de la société », ce qui avait amené la Cour d’appel à considérer que « l’employeur aurait été en mesure de protéger suffisamment ses intérêts en interdisant seulement au salarié, de démarcher les seuls clients qu’il gérait quant il était son salarié ».

Si le pourvoi reprochait à la Cour d’appel d’avoir annulé la clause en s’appuyant distinctement sur ces 3 points, la Cour de cassation pour rejeter ce pourvoi constate simplement et sans autre précision que « la clause était imprécise et avait pour effet de mettre le salarié dans l’impossibilité d’exercer une activité normale conforme à son expérience professionnelle ».

Or, l’existence à côté d’une clause de non concurrence, d’une clause de mobilité n’a pas en soi, pour effet de rendre la première imprécise et encore moins d’interdire au salarié d’avoir une activité conforme à son expérience, de sorte que l’on peut penser que ce n’est pas cette coexistence qui a été décisive pour la Cour de cassation.

Affirmer une incompatibilité de principe résultant de cet arrêt serait donc aventureux, d’autant que quelques mois plus tôt, la cour de cassation a adopté une solution apparemment inverse, et ce, de façon beaucoup plus claire.

Dans un arrêt du 26 septembre 2018, la chambre sociale a eu à examiner un arrêt de la Cour d’appel de Douai du 17 février 2017, qui avait également annulé une clause de non concurrence au motif que « le salarié est tenu à une obligation de mobilité sur tout le territoire national, qui n’est pas en soi illicite, mais que la décision de muter le salarié dépend exclusivement du choix de l’employeur qui peut de par son pouvoir de direction l’affecter sur l’un quelconque des sites sur le territoire national, que cette situation a automatiquement pour effet d’étendre la clause de non concurrence sus visée sans qu’en aucun cas, le collaborateur puisse s’y opposer sans risquer la rupture de son contrat de travail ; qu’il s’en déduit que la clause de non concurrence revêt par l’effet de la mise en œuvre éventuelle de la clause de mobilité, un caractère purement potestatif, et est donc entachée de nullité ».

A cette motivation de principe, parfaitement claire, la Cour de cassation a répondu de façon tout aussi claire, en cassant l’arrêt au motif que « en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la clause de non concurrence était limitée dans le temps et dans l’espace, la Cour d’appel qui n’a pas caractérisé une atteinte excessive au libre exercice d’une activité professionnelle par le salarié, a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas ».

La Cour de cassation rejette ici clairement toute incompatibilité de principe entre clause de non concurrence et clause de mobilité, estimant que l’incompatibilité reviendrait à ajouter à la clause, une condition que la loi ne prévoit pas.

Ce faisant, elle ne valide pas non plus toute coexistence entre les deux clauses. En relevant que la Cour d’appel n’a pas caractérisé une atteinte excessive au libre exercice d’une activité professionnelle, la Chambre sociale semble indiquer que la solution contraire eût été possible, par exemple dans le cas où l’utilisation faite par l’employeur de la clause de mobilité aurait eu pour conséquence d’élargir excessivement le périmètre de la clause de non concurrence, portant ainsi une atteinte excessive au libre exercice de son activité professionnelle pour le salarié.

La Cour de Douai avait cru pouvoir dans l’hypothèse d’une mise en œuvre « éventuelle » de la clause de mobilité, s’appuyer pour annuler la clause de non concurrence, sur un principe que la Cour de cassation écarte. On peut penser que l’arrêt aurait échappé à la censure, si elle avait constaté que la mise en œuvre de la clause de mobilité avait porté une atteinte excessive à la liberté pour le salarié d’exercer son métier.

C’est sans doute ainsi qu’il faut entendre l’arrêt du 13 mars 2019, auquel cas il est en parfaite cohérence avec celui du 26 septembre 2018.

En conclusion, il n’y a pas actuellement de solution de principe en la matière. Tout est fonction des circonstances de chaque cas d’espèce. Si la clause de mobilité n’est pas en soi incompatible avec une clause de non concurrence, en revanche, une mise en œuvre excessive de la première peut conduire à considérer que la seconde porte une atteinte excessive à la liberté du salarié d’exercer sa profession, et en conséquence, à l’annuler.

Alain HERVIEU Docteur en droit, Avocat.