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Études financières et contentieux de la défiscalisation immobilière. Par Richard Jonemann, Avocat.
Parution : lundi 16 septembre 2019
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Dans la majorité des cas, et préalablement à la signature du contrat préliminaire de réservation, les personnes démarchées pour réaliser une opération de défiscalisation immobilière se voient, parmi d’autres documents d’information (brochure relative à la résidence notamment), remettre une étude ou projection financière qui a pour objet annoncé d’exposer de manière chiffrée les perspectives de rentabilité de l’investissement proposé.

Fréquemment, la remise de cette étude ou projection financière intervient quelques jours voire parfois quelques semaines suivant un relevé d’informations concernant la situation fiscale, patrimoniale et personnelle de la personne démarchée de sorte qu’in fine l’étude ou la projection financière apparaît au prospect comme personnalisée et l’aboutissement d’un véritable travail de conseil.

Cette impression est aidée ou renforcée par divers éléments au rang desquels notamment on peut citer le discours parfaitement rôdé des démarcheurs et les mentions figurant sur leurs cartes de visite qui font apparaître, selon les cas, les qualités rassurantes de conseiller en patrimoine, conseiller fiscal, conseiller en ingénierie financière, etc.

Malheureusement, et sous couvert d’une méthode singeant les process et le travail des véritables conseillers en gestion de patrimoine, trop nombreux sont encore les "conseillers" en défiscalisation immobilière qui, bien que débiteurs en leur qualité de professionnels de l’immobilier de placement d’une obligation d’information et d’un devoir de conseil (Cass., 1ère civ., 2 octobre 2013, n° pourvoi 12-20504), n’agissent à l’endroit des personnes démarchées que comme de simples vendeurs chargés de placer un produit particulier.

Et la qualité des études financières fournies aux investisseurs par ces conseillers s’en ressent fortement.

Au rang des turpitudes les plus fréquentes relevées dans nos dossiers, on notera :
- l’emploi (objectivement rare) dans l’étude des termes "revenus garantis" ou "capital garanti" pour désigner respectivement les loyers et la valeur du bien,
- la circonstance (quasi systématique) que l’étude ou la projection financière ne retienne qu’un scenario optimiste éludant la possibilité de remise en cause de l’avantage fiscal et faisant état d’une hausse constante du montant du loyer et de la valeur du bien,
- le caractère (quasiment toujours) purement théorique des informations transmises concernant la rentabilité locative, la valeur du bien et leurs perspectives d’évolution.

Sur la matérialité du caractère théorique de nombreuses simulations on relèvera notamment que beaucoup d’entre-elles font état s’agissant de la valeur du bien d’un montant équivalent au prix d’acquisition tel que fixé par le promoteur ce qui n’a guère de sens dès lors que sur le plan des principes le prix d’acquisition (prix de transaction) ne correspond pas nécessairement à la valeur vénale du bien (prix de marché) et qu’en pratique, au cas des opérations de défiscalisation immobilière dites clés en mains, le prix d’acquisition est très souvent (toujours) supérieur aux prix de marché.

La question du caractère purement théorique des informations transmises concernant la rentabilité locative, la valeur du bien et leurs perspectives d’évolution mérite qu’on s’y intéresse particulièrement puisque selon nous, et des manquements précités, il est le plus grave et, par voie de conséquent, le plus à même de faire prospérer une action en responsabilité à l’encontre d’un conseiller indélicat.

Si l’emploi des vocables "revenus garanti" ou "capital garanti" pour désigner les loyers ou la valeur du bien est évidemment à proscrire et si faire exclusivement état d’une augmentation constante des loyers et de la valeur du bien n’est assurément pas vertueux, ces éléments, ne sauraient cependant à eux seuls faire prospérer une action en responsabilité du conseiller fondée sur un manquement à son obligation d’information et à son devoir de conseil.

Il peut en effet être raisonnablement présumé que l’investisseur lambda sait qu’un investissement immobilier est sujet aux fluctuations du marché immobilier et ce tant à la hausse qu’à la baisse.

La question du caractère purement théorique des informations transmises concernant la rentabilité locative, la valeur du bien et leurs perspectives d’évolution est quant à elle singulièrement différente.

Le simple fait pour un intermédiaire professionnel en opérations de défiscalisation immobilière de communiquer dans son étude financière des informations purement théoriques concernant la rentabilité locative, la valeur du bien et leurs perspectives d’évolution devrait en effet, toutes autres conditions de mise en cause de la responsabilité étant par ailleurs réunies (préjudice et lien de causalité), permettre à l’investisseur de faire prospérer une action en responsabilité à l’encontre de son conseiller.

Si on garde à l’esprit que la majorité des opérations de défiscalisation immobilière est financée intégralement par emprunt, que le remboursement de ce financement doit être opéré via les loyers, l’avantage fiscal et en complément un effort d’épargne et que la majorité des opérations de défiscalisation immobilières est vendue comme permettant, suivant la revente du bien au terme de la période de défiscalisation, la réalisation d’un capital supérieur à l’effort d’épargne fourni et donc la constitution d’un capital, alors il faut nécessairement considérer que les paramètres économiques que sont le montant du loyer, la valeur du bien et leurs perspectives d’évolution sont des éléments essentiels de l’opération financière proposée.

Sur le caractère essentiel de ces paramètres économiques, on peut notamment citer les décisions suivantes :
"L’un des éléments essentiels du contrat de nature à persuader à contracter est l’importance de l’effort d’épargne mensuelle auquel l’acquéreur aura à faire face.
Aussi, le montant du loyer mensuel que procure l’investissement est à cet égard, un élément essentiel pour déterminer le consentement des personnes démarchées dès lors qu’elles auront à supporter la charge corrélative de remboursement des mensualités d’emprunt
" (Cour d’appel d’Angers, 19 décembre 2017, RG 16/01821)

"Qu’un tel placement qui ne s’inscrit pas dans une simple opération d’achat d’un bien locatif dont les aléas sont connus, constitue une opération plus complexe, impliquant pour l’acquéreur une sécurité nécessaire tant en termes de location pour garantir le maintien de l’avantage fiscal, qu’en termes de revenus pour faire face à la charge de l’emprunt et en termes de patrimoine, pour à l’issue de la période de défiscalisation, être en mesure de disposer d’un bien non déprécié par rapport au coût global de son placement initial" (TGI Montauban, 18 février 2014, RG 12/02353).

Dès lors que les paramètres économiques que sont le montant du loyer, la valeur du bien et leurs perspectives d’évolution sont des éléments essentiels de l’opération financière proposée, ils doivent, faire partie du périmètre de l’obligation d’information et du devoir de conseil de l’intermédiaire.

Pour mémoire l’article L. 111-1 du Code de la consommation dispose en effet que :

"Avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes : 1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné".

Ceci étant rappelé, et pour un conseiller dont il est en principe attendu qu’il se comporte en professionnel efficace, communiquer une étude financière contenant des informations purement théoriques concernant le montant du loyer, la valeur du bien et leurs perspectives d’évolution revient donc tout simplement à communiquer des informations inutiles sur des éléments essentiels de l’opération proposée.

Et pour les destinataires de ces informations (c’est-à-dire les investisseurs) à engager des montants plus que conséquents dans des opérations financières complexes au long cours et dont la réussite repose ainsi sur des données purement théoriques.

Pour un conseiller, communiquer une information purement théorique n’est pas seulement manquer à la finalité même de l’obligation d’information qui est de permettre à l’investisseur de prendre une décision éclairée, c’est aussi manquer à son devoir de conseil car comment peut-on objectivement vérifier que l’opération proposée est adéquate par rapport aux objectifs de l’investisseur (qui est l’un des objectifs du devoir de conseil) sans s’être préalablement renseigné sur les paramètres essentiels de cette opération ?

Ceci est bien entendu impossible mais comme en mentionné en préambule, l’objectif de certains intermédiaires en opération de défiscalisation immobilière n’est pas tant de conseiller ou d’informer mais bien de vendre.

Fort heureusement, la jurisprudence saisie depuis de nombreuses années déjà de la question des études ou simulations financières purement théoriques remises par les intermédiaires indélicats en opérations de défiscalisation immobilière sanctionne souvent cette pratique.

Parmi les décisions qui retiennent l’existence d’un manquement à l’obligation précontractuelle d’information on peut citer un arrêt du 9 février 2010 de la Cour d’appel de Bordeaux (RG 08/02262) confirmé par un arrêt du 18 octobre 2011 de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation (n° pourvoi 10-16182) ou encore un arrêt du 29 septembre 2016 de la Cour d’appel de Versailles (RG 14/05943) qui reprend de manière quasi littérale la formulation de l’arrêt susmentionné de la Cour d’appel de Bordeaux.

À la lecture de ces décisions, il apparaît qu’en substance est principalement sanctionné le fait pour le conseiller de ne pas avoir informé l’investisseur sur le caractère purement théorique des variables économiques, sur l’impossibilité de maîtriser lesdites variables purement théoriques et sur les risques pour lui à réaliser ainsi l’opération proposée dont la réussite reposait sur des données purement théoriques.

En droit cette solution se fonde sur le principe bien établi selon lequel l’information précontractuelle ne peut être réduite aux seules caractéristiques favorables mais doit aussi nécessairement comprendre une information sur celles moins favorables ainsi que sur les risques associés qui peuvent être le corollaire des avantages annoncés.

Pour une application de ce principe dans le cadre d’une opération de défiscalisation immobilière on peut citer un arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux du 5 juillet 2018 (RG 16/00182) :

"Ces deux sociétés devaient donc apporter aux personnes démarchées une information claire et exacte, leur permettant de comprendre non seulement les avantages espérés de l’opération, mais aussi les risques qu’elle comportait".

S’il est incontestable qu’une opération dont la réussite repose sur le fondement de données purement théoriques fait courir un risque à celui qui envisage de la réaliser et que ce risque doit lui être révélé avant qu’il ne prenne sa décision, il convient aussi de souligner que l’orthodoxie voudrait qu’un tel risque n’ait jamais à être révélé puisque justement l’efficacité attendue d’un professionnel de l’immobilier devrait commander que l’information communiquée ne soit jamais théorique mais toujours utile.

Richard Jonemann Avocat à la Cour [->https://www.jonemann-avocats.com]