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L’incompétence des maires dans la réglementation de l’utilisation des pesticides. Par Alexandre Guillois, Avocat.
Parution : mardi 17 septembre 2019
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Par une ordonnance parfaitement motivée rendue le 27 août 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes, a fait droit à la demande de suspension du caractère exécutoire de l’arrêté par lequel le maire de Langouët a réglementé les modalités d’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de sa commune.

Alors que les arrêtés anti-pesticides continuent d’abonder, le juge administratif a déjà parfaitement relevé l’incompétence manifeste des maires pour édicter une telle mesure de police.

S’agissant du concours des polices administratives générale et spéciale, un maire ne peut s’ingérer dans une réglementation attribuée à une autorité spécifique qu’en l’absence d’action de cette autorité détentrice (en cas de carence) ou pour prendre des mesures plus rigoureuses destinées à maintenir l’ordre public si elles sont justifiées par des circonstances locales particulières (Conseil d’Etat, Section, du 18 décembre 1959, 36385 36428, publié au recueil Lebon, société Les Films Lutétia).

En l’espèce, le Maire de Langouët soutient palier à la carence des ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation.

En ce sens, le Maire de Langouët invoque une mauvaise transposition de l’article 12 de la directive n° 2009/128/CE du 21 octobre 2009 relatif à la réduction de l’utilisation des pesticides ou des risques dans des zones spécifiques, la violation des dispositions de l’article 3 du règlement (ce) n° 1107/2009 du parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques qui définit les groupes vulnérables et du principe de précaution.

Sur ce moyen, le juge des référés rappelle que le principe de précaution ne permet pas à une autorité publique d’excéder son champ de compétence.

Cette question a déjà été bien éculée dans les débats sur les OGM et les antennes relais de téléphonie mobile (CE 26 octobre 2011 n° 326492, commune de Saint-Denis, CE 24 septembre 2012 n° 342990, commune de Valence).

Enfin, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes élude la question de la violation du droit européen en retenant que la carence de l’autorité ministérielle dans la prise des mesures nécessaires à l’application de cette règlementation n’est pas encore effective et établie.

En effet, le Conseil d’Etat en annulant l’arrêté interministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur ce fondement a accordé un délai de six mois à ces autorités pour ce faire, en application de son pouvoir de modulation des effets de l’annulation d’un acte administratif.

Cet arrêt a été rendu le 26 juin 2019 (6ème et 5ème chambres réunies n° 415426), les ministres concernés ont donc jusqu’au 27 décembre 2019 pour compléter la réglementation relative à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et prendre les mesures nécessaires à l’application de la règlementation européenne en la matière.

A l’expiration de cette échéance, les maires ne pourraient, en tout état de cause, pas les substituer.

Le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes rappelle en ce sens, à titre surabondant, que l’Etat membre est seul responsable de l’application effective du droit de l’Union Européenne sur son territoire.

En conséquence, une collectivité n’a aucun pouvoir pour substituer l’Etat dans la transposition interne d’une directive ou pour assurer l’application effective d’un règlement.

En revanche, la règlementation et les objectifs des directives dont le délai de transposition est dépassé ont un effet direct, et peuvent être directement invoqués par tout justiciable à l’occasion d’un litige porté devant les juridictions nationales.

Dans ces conditions, les intéressés des groupes vulnérables pourraient directement s’en prévaloir pour demander à ce que l’utilisation de pesticides soit restreinte ou interdite à proximité des zones qu’ils utilisent.

Ordonnance du 27 août 2019, Juge des référés du Tribunal administratif de Rennes.

Alexandre Guillois Avocat 34 Rue de Paris BP 301 22003 Saint-Brieuc Cedex 1