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Que devient la notion de cessation des paiements ? Par Assia Medrouni, Avocate.
Parution : mercredi 18 septembre 2019
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La notion de cessation des paiements, qui représentait le pivot central des procédures collectives et préventives avant la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, est désormais d’application plus souple afin d’inciter les dirigeants d’entreprises en difficulté à recourir au plus tôt aux différents dispositifs du livre 6 du code de commerce.

Le délai de quinze jours dont disposaient les dirigeants d’entreprises pour déclarer la cessation de paiement est passé à 45 jours depuis cette loi de sauvegarde, sous réserve qu’ils ne recourent pas à une procédure préventive de conciliation dans ce délai.

Dans ce même esprit, la faillite personnelle, sanction du défaut de régularisation de la déclaration de cessation de paiements dans le délai de 15 jours, a été remplacée par une possible interdiction de gérer.

Cette notion qui n’a guère changé dans sa définition, (1) a évolué dans son application ; d’impérative, elle est devenue au fil des réformes indicative du choix de la procédure adaptée de prévention ou de traitement des difficultés (2).

(1) La définition de l’état de cessation des paiements n’a guère évolué depuis un arrêt de principe de la Cour de cassation du 10 juillet 1978 consacré par la loi du 25 janvier 1985.

Elle a toujours été définie comme l’impossibilité pour tout débiteur de faire face au passif exigible avec son actif disponible.
Toutefois, la jurisprudence l’a complétée dans un premier temps en ajoutant à la notion de passif exigible la notion de passif exigé au motif que si les créanciers ne réclamaient pas leur dû, l’état de cessation des paiements n’était pas avéré (Cass. Com 28 avril 1998 96-10.253).
Cet ajout a été abandonné par la Cour de cassation qui s’est référée par la suite à la seule notion de passif exigible sans référence à cette notion de passif exigé.
La loi de sauvegarde de 2005 a conservé cette définition.
A l’appréciation du caractère exigé ou pas du passif exigible, la jurisprudence a substitué les notions de réserves de crédits disponibles et de moratoires accordés par les créanciers.
L’ordonnance du 18 décembre 2008 consacre cette évolution jurisprudentielle. Ainsi, l’article L631-1 du Code de commerce définit l’état de cessation des paiements comme suit : « Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L631-2 ou L631-3 qui, dans l’impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. »
La notion de moratoires est une « proche parente » de la notion de « passif exigé » car elle revient en réalité pour un créancier à ne pas exiger explicitement le paiement intégral de sa créance exigible.
La jurisprudence va plus loin en considérant que le défaut de respect du moratoire convenu avec les organismes sociaux n’est pas de nature à caractériser à lui seul l’état de cessation des paiements de l’entreprise débitrice, la juridiction devant établir son impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible (Cass com 14 janvier 2004, 01-02.877).
Une entreprise qui bénéficie d’une réserve de crédit au titre d’apports en compte courant de ses associés, personnes physiques ou morales, ne se trouvera pas en état de cessation des paiements (Cass com 12 mai 2009, 08-13.741, Cass com 29 novembre 2016, 15-19.474).
En précisant que le remboursement de ces avances de trésorerie n’a pas été demandé par les associés, la Cour de cassation fait renaître implicitement la notion de passif exigible mais non exigé.
Ces avances de trésorerie, y compris celles consenties par des sociétés du même groupe, sont assimilables à des réserves de crédit au même titre que celles que pourraient consentir un organisme financier ou un fournisseur.
La Cour de cassation consacre le principe d’autonomie des personnes morales sous l’angle de la cessation des paiements.
Dans un groupe de sociétés, l’état de cessation des paiements doit s’apprécier entité par entité sans que soient prises en considération les capacités financières du groupe (Cass com 26 juin 2007, 06-20.820, Cass com 15 novembre 2017, 16-19690).

(2) Le législateur en instituant la loi de sauvegarde de 2005 a entendu rendre plus accessibles les procédures collectives et préventives ; il permet à une entreprise en cessation des paiements de bénéficier de la procédure préventive de conciliation et lui permet de recourir à la procédure collective de sauvegarde en l’absence de cessation des paiements.

Les frontières entre procédure préventive et procédure collective au regard de cette notion de cessation des paiements sont brouillées pour plus d’efficacité économique.
En pratique, les trois principaux critères de choix de la procédure adaptée dépendront du caractère passager ou pas des difficultés, de la nature de l’activité imposant ou pas une stricte confidentialité, de la structure des dettes et de l’échelle temps de leur apurement, sur quelques mois ou sur quelques années.

Qu’en est-il du mandat ad hoc dont le texte est muet sur cette notion de cessation des paiements ?

Une partie de la doctrine conteste la possibilité de recourir au mandat ad hoc lorsque l’état de cessation des paiements est avéré, tandis que l’autre partie considère que le recours au mandat ad hoc est possible par analogie avec la conciliation dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements.
On pourrait considérer que le recours au mandat ad hoc puisse être permis aux entreprises en cessation des paiements sous réserve des mêmes critères énoncés ci-avant et le fait que cette procédure amiable confidentielle mette fin aux difficultés.
A noter toutefois que contrairement à la conciliation, le mandat ad hoc ne protège pas l’entreprise des assignations en redressement ou liquidation judiciaire.

En conclusion, le dirigeant d’une entreprise qui se trouve en état de cessation des paiements depuis moins de 45 jours pourrait recourir à toutes les procédures préventives et collectives du livre 6 dans les conditions ci-avant exposées, à l’exception de la procédure de sauvegarde.
Le recours à cette dernière procédure est exclusif de l’état de cessation des paiements quoiqu’une entreprise qui a pu être en état de cessation des paiements et qui bénéficie de moratoires de règlement auprès de ses créanciers puisse en bénéficier.

Ainsi, la pratique devra pousser l’analyse au-delà de cette notion de cessation des paiements et examiner la situation plus largement au regard notamment du triptyque de critères décrit ci-avant pour déterminer le choix de la procédure préventive ou collective appropriée.

Assia MEDROUNI Avocate [->a.medrouni@avocaffaires.fr] 167, avenue Victor Hugo 75116 PARIS