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La Cour d’appel de Reims envisage la possibilité d’écarter le barème Macron. Par Xavier Berjot, Avocat.
Parution : mercredi 25 septembre 2019
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Après les deux avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019 (n°15012 et n°15013) favorables au barème Macron (encadrant l’indemnisation du licenciement abusif), la Cour d’appel de Reims vient de juger qu’il peut être écarté dans certains cas.

1/ Rappels sur les avis de la Cour de cassation.

Le 8 juillet 2019, la formation plénière de la Cour de cassation s’est réunie pour examiner deux demandes d’avis, au sujet de la conformité du barème aux conventions internationales.

La Cour de cassation a considéré, à cette occasion, que :

« Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui prévoient notamment, pour un salarié ayant une année complète d’ancienneté dans une entreprise employant au moins onze salariés, une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un montant minimal d’un mois de salaire brut et un montant maximal de deux mois de salaire brut, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Les dispositions précitées de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail. »

Ainsi, pour la haute juridiction, les planchers et les plafonds prévus par la loi pour indemniser le licenciement sans cause réelle et sérieuse doivent recevoir effet (cf. notre précédent article sur le sujet : la Cour de cassation valide le "barème Macron".).

Les avis de la Cour de cassation ne sont pas obligatoires car ils n’emportent pas autorité de la chose jugée : « l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande » (Code de l’organisation judiciaire, art. L. 441-3).

Toutefois, il est évident qu’ils constituent une référence importante en droit positif.

2/ Résistance de certains Conseils de prud’hommes.

Certains Conseils de prud’hommes (ci-après « CPH ») n’ont pas tenu compte des deux avis de la Cour de cassation.

Dans un jugement du 22 juillet 2019 (n°18/00267), le CPH de Grenoble les a écartés quelques jours après, retenant notamment les arguments suivants :
- L’avis de la Cour de cassation ne constitue pas une décision au fond ;
- L’article 10 de la Convention 158 de l’OIT (d’effet direct) prévoit que l’indemnité pour licenciement abusif doit être « adéquate. »

Ce jugement du CPH de Grenoble a été d’autant plus commenté qu’il s’agissait d’une décision de départage, rendue par un magistrat professionnel.

Une semaine après, le CPH de Troyes (CPH Troyes, 29/07/2019, n° 18/00169), ici aussi présidé par un juge départiteur, a adopté une analyse similaire, comme l’illustrent ces quelques extraits :
- Si le barème permet d’indemniser de manière adéquate la plupart des salariés dans le cadre de licenciement sans cause réelle et sérieuse, force est de constater qu’il limite fortement la marge de manœuvre du juge ;
- Se pose aussi la question du caractère dissuasif de l’indemnité. En effet, de la même manière que les circonstances peuvent grandement diverger d’un salarié à l’autre, les employeurs ne connaissent pas tous la même situation, et le caractère abusif d’un licenciement connaît des degrés qu’une « barémisation » ne permet pas toujours de restituer ;
- Dès lors, ce barème ne permet pas aux juridictions prud’homales d’indemniser de manière adéquate un salarié licencié de manière particulièrement abusive et fautive, enlevant ainsi au juge la possibilité de faire du cas par cas. Le caractère dissuasif de l’indemnité doit donc être considéré comme insuffisant en l’état des montants maximaux prévus.

Le CPH de Nevers (CPH Nevers 26-07-2019, n°18/00050) a écarté à son tour le barème Macron, y voyant une mesure inéquitable « sécurisant davantage les fautifs que les victimes » et « privilégiant l’avantage économique de l’employeur. »

3/ Position de la Cour d’appel de Reims.

Dans son arrêt du 25 septembre 2019, la Cour d’appel de Reims (n°19/00003) prévoit que, selon les situations, le barème Macron peut être écarté (contrairement à ce que certains journalistes écrivent).

Au soutien de sa décision, la Cour d’appel de Reims retient notamment les motifs suivants :
- Les articles 10 de la Convention n° 158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne révisée, qui sont tous deux rédigés de façon très proche, bénéficient d’un effet direct en droit interne.
- L’article L. 1235-3 du Code du travail prévoit des plafonds d’indemnisation faibles pour les salariés de peu d’ancienneté. En outre, la progression des plafonds n’est pas linéaire. Il en résulte une potentielle inadéquation de l’indemnité plafonnée, voire une possible forme de différence de traitement en raison de l’ancienneté.
- Enserré entre un plancher et un plafond, le juge prud’homal ne dispose pas de toute la latitude pour individualiser le préjudice de perte d’emploi et sanctionner l’employeur.
- Il s’en déduit que le dispositif est de nature à affecter les conditions d’exercice des droits concernés par ces textes.

Dans son arrêt, la cour d’appel de Reims n’écarte certes pas le barème Macron en l’espèce .

Elle juge, en effet, que la salariée concernée n’a sollicité qu’un contrôle de conventionnalité « in abstracto » et non « in concreto », c’est-à-dire sans justifier des raisons pour lesquelles le barème aurait dû être écarté en l’espèce.

La porte est cependant clairement « ouverte » par la Cour d’appel de Reims, en attendant le prochain arrêt de la Cour d’appel de Paris et, évidemment, celui de la Cour de cassation soumise à une pression juridique qui devient de plus en plus forte.

Xavier Berjot Avocat Associé SANCY Avocats [->xberjot@sancy-avocats.com] [->https://bit.ly/sancy-avocats] Twitter : https://twitter.com/XBerjot Facebook : https://www.facebook.com/SancyAvocats LinkedIn : https://fr.linkedin.com/in/xavier-berjot-a254283b