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Comptes bancaires non déclarés, régularisation et accentuation de la lutte contre la fraude fiscale. Par Clotilde Cattier-de La Chauvinière, Avocat.
Parution : vendredi 27 septembre 2019
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Face à l’accroissement de l’échange d’informations fiscales entre États et au renforcement des moyens de lutte contre la fraude fiscale, quels sont les risques encourus par les contribuables ayant omis de déclarer un compte bancaire ouvert à l’étranger ? De quels pouvoirs dispose l’Administration fiscale ? Un contribuable peut-il encore régulariser sa situation ?

Au cours de ces dernières années, l’échange d’informations entre les états s’est considérablement accru. Que ce soit sur une base spontanée ou dans le cadre d’une demande d’information en application des conventions fiscales internationales ou de l’échange automatique d’informations, des données relatives aux contribuables circulent entre les états.

Parmi les données échangées l’on trouve tout particulièrement celles relatives aux comptes bancaires détenus hors de l’état de résidence des contribuables concernés.

Si ces comptes bancaires sont officiellement déclarés auprès des autorités fiscales de l’état de résidence, la France en ce qui nous concerne, aucune conséquence ne découle de cet échange.

En revanche, si des informations relatives à un compte non officiellement déclaré parviennent auprès de l’Administration fiscale française, celle-ci fera le nécessaire pour appréhender l’impôt éludé en ce qui concerne ledit compte…

Comme l’on s’en doute, les conséquences d’une telle situation peuvent s’avérer très délicates à gérer.

Cette note présente fait le point, sous forme de « questions-réponses », sur la question des comptes bancaires non déclarés, leur possible régularisation et les incidences pénales associées.

1. Si l’Administration fiscale identifie un compte non déclaré ouvert à l’étranger, que se passe-t-il ?

Le plus couramment, l’Administration fiscale se manifeste par l’envoi d’une demande de renseignements.

Dans cette demande, l’Administration fiscale informe le contribuable qu’elle a reçu l’information selon laquelle il serait titulaire d’un compte bancaire ouvert dans telle banque située à l’étranger et que, à sa connaissance, ce compte n’aurait pas été déclaré. Elle précise également le vecteur par lequel elle a reçu l’information (l’échange automatique d’informations, la directive 2011/16/UE du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, etc.) et invite le contribuable à la contacter et/ou à déposer un certain nombre d’éléments (déclarations rectificatives, justificatifs sur l’origine des avoirs, relevés bancaires, etc.).

Naturellement, il est vivement recommandé de contacter l’Administration fiscale le plus rapidement possible et de prendre les dispositions nécessaires pour être en mesure de communiquer les éléments demandés.

A défaut de retour à bref délai, l’Administration fiscale française dispose d’un arsenal répressif très efficace, dont notamment :
- La possibilité, sur le fondement des conventions fiscales internationales, de mettre en œuvre la procédure d’assistance administrative auprès des autorités de l’état dans lequel le compte bancaire objet de l’attention de l’Administration fiscale française est ouvert. En vertu de cette procédure, l’Administration fiscale peut demander directement à l’état étranger de lui fournir la confirmation de la détention du compte bancaire, ainsi qu’un certain nombre de données chiffrées relatives aux avoirs placés sur le compte ;

- La procédure visée à l’article L 23C C du Livre des Procédures Fiscales (LPF), qui consiste au départ en une demande de fournir des justifications très précises relatives à l’origine des avoirs déposés sur le compte, dans un délai de soixante jours. A défaut de réponse dans le délai ou en cas de réponse jugée insuffisante dans le délai (éventuellement prolongé de trente jours supplémentaires), l’Administration fiscale est autorisée à considérer que les avoirs placés sur le compte bancaire non déclaré constituent un patrimoine acquis à titre gratuit devant être taxé d’office aux droits de mutation à titre gratuit. Les droits sont calculés sur la valeur la plus élevée connue de l’administration des avoirs figurant sur le compte au cours des dix années précédant l’envoi de la demande d’information ou de justification, diminuées de la valeur des avoirs dont l’origine et les modalités d’acquisition ont été justifiées. Ils sont perçus au taux de 60% (articles L 71 du LPF, 755 et 777 du Code Général des Impôts (CGI)).

2. En dehors de toute sollicitation de l’Administration fiscale, est-il possible de régulariser spontanément sa situation ?

Un contribuable personne physique ayant omis de déclarer les comptes bancaires étrangers dont il est titulaire peut tout à fait décider de régulariser spontanément sa situation auprès de l’Administration fiscale.

Cette régularisation prend la forme du dépôt d’un dossier complet contenant notamment :
- Des déclarations rectificatives de revenus incluant les dividendes, intérêts et plus ou moins-values afférents aux avoirs étrangers non déclarés ;
- Le cas échéant, des déclarations rectificatives d’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) incluant le montant des avoirs étrangers non déclarés. Compte tenu du remplacement de l’ISF par l’impôt sur la fortune immobilière (qui couvre uniquement le patrimoine immobilier), aucune imposition sur la fortune ne sera due, à compter du 1er janvier 2018, à raison des comptes bancaires non déclarés ;
- Le cas échéant, une ou plusieurs déclarations rectificatives de succession, si une ou plusieurs successions sont intervenues au cours de la période non prescrite ;
- Le cas échéant, si des dons manuels de tout ou partie des avoirs étrangers ont été réalisés par le passé, des formulaires de dons manuels ;
- Des explications et justificatifs très précis et exhaustifs afférents à l’origine des avoirs ;
- Les documents d’ouverture de compte et les relevés bancaires ayant permis d’établir l’ensemble des déclarations rectificatives précitées ;
- Le cas échéant, le paiement des droits en principal de l’ISF, des droits de succession et de donation (le solde du coût de la régularisation étant dû à l’issue du traitement par l’Administration fiscale).

Pour mémoire, s’agissant des avoirs bancaires étrangers non déclarés, le délai de prescription est porté à dix ans (articles L 169, 4ème alinéa, s’agissant de l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux et L 181-0 A du LPF s’agissant de l’ISF, les droits de succession et de donation). Autrement dit, tout dossier déposé en 2019 doit être contenir les déclarations rectificatives précitées au titre de la période 2009 – 2018.

En l’absence de service spécifique relatif à leur traitement, les dossiers de régularisation spontanée doivent être adressés auprès du Centre des impôts dont dépend géographiquement contribuable. Il n’est toutefois pas exclu que ledit service ne s’estime pas compétent pour traiter le dossier et le transmettre à un service central de l’Administration fiscale.

3. Quels sont les coûts afférents à la régularisation forcée ou spontanée de la situation du contribuable ?

Jusqu’à la fin de l’année 2017, les contribuables personnes physiques résidentes fiscales françaises ont pu bénéficier d’une procédure favorable de régularisation, dans le cadre de la circulaire dite « Cazeneuve » du 21 juin 2013, modifiée à plusieurs reprises.

Depuis le 1er janvier 2018, les dispositions de cette circulaire ne sont plus applicables. Les contribuables personnes physiques souhaitant régulariser leur situation sont donc aujourd’hui soumis au droit commun, sans qu’aucun régime favorable dérogatoire ne puisse être invoqué.

Ainsi, le dépôt d’un dossier de régularisation entraîne les impacts fiscaux suivants :
- L’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux afférents aux revenus du ou des comptes régularisés, au titre de la période non prescrite (i.e. 2009 à 2018, pour un dossier déposé en 2019) ;
- L’ISF afférent aux avoirs bancaires régularisés, au titre de la période non prescrite (i.e. 2009 à 2017, pour un dossier déposé en 2019) ;
- Les droits de succession relatifs aux avoirs bancaires régularisés inclus dans les successions intervenues au cours de la période non prescrite ;
- Les droits de donation relatifs aux dons manuels réalisés jusqu’à la date de dépôt du dossier et portant sur les avoirs régularisés ;
- L’intérêt de retard au taux de 0,4% par mois de retard jusqu’au 31 décembre 2017, réduit à 0,2% par mois de retard à compter du 1er janvier 2018 ;
- Pour les déclarations antérieures à l’année 2016, une amende d’un montant de 1’500€ par compte non déclaré (amende portée à 10’000€ lorsque le compte est ouvert dans un État n’ayant pas conclu d’accord d’échange de renseignements bancaires avec la France), due au titre des quatre dernières années et l’année en cours, le cas échéant (article 1736, IV du CGI). L’amende est de 20’000€ lorsque les avoirs sont détenus par l’intermédiaire d’un trust ou assimilé (article 1746, IV bis du CGI). En outre, une majoration de 40% pouvant être portée à 80% est applicable ;
- A compter des déclarations de l’année 2016, une majoration unique et globale de 80%, à l’exclusion de toute autre majoration ou amende forfaitaire (cette majoration ne pouvant être inférieure aux amendes de 1.500€/10.000€ précitées) (article 1729-0 A du CGI).

4. Quelles sont les implications pénales ?

Le défaut de déclaration des avoirs et revenus afférents à un compte bancaire à l’étranger est, dans la plupart des situations, constitutif du délit de fraude fiscale.
Selon l’article 1741 du CGI, un contribuable est reconnu coupable du délit de fraude fiscale :
(i) lorsqu’il s’est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement de l’impôt. La nature du procédé utilisé importe peu : omission de dépôt déclaration dans les délais prescrits, dissimulation de sommes sujettes à l’impôt, organisation d’insolvabilité, autres manœuvres mettant obstacle au recouvrement de l’impôt, etc. (élément matériel), et
(ii) que l’infraction présente un caractère frauduleux, ce qui implique que son auteur ait été animé par une volonté délibérée de frauder (élément intentionnel).

Indépendamment des sanctions fiscales, le délit de fraude fiscale est sanctionné par une amende de 500.000€ (dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction) et une peine d’emprisonnement de cinq ans. En cas de fraude aggravée, l’amende atteint 3.000.000€ (dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction) et la peine d’emprisonnement sept ans.

Jusqu’au mois d’octobre 2018, l’initiative des poursuites pour fraude fiscale appartenait toujours à l’Administration fiscale, qui pouvait donc décider ou non de déposer plainte.

Suite à l’adoption de la loi du 23 octobre 2018 sur la fraude, l’Administration fiscale a désormais l’obligation de transmettre au parquet certains manquements, sans pour autant être privée du droit de porter plainte pour les situations ne constituant pas un cas de transfert obligatoire.

En conséquence :

1/ Les manquements suivants seront obligatoirement transmis au parquet par l’Administration fiscale, l’opportunité de poursuivre ou non revenant ainsi à ce dernier :

- Lorsque les rappels de droits notifiés au contribuable suite à rectification « forcée » de sa situation fiscale atteignent 100.000€ et sont assortis d’une majoration de 100% ou 80% ;
- Lorsque les rappels de droits notifiés au contribuable, suite à une rectification « forcée » de sa situation atteignent 100.000€ et sont assortis d’une majoration de 40%, lorsqu’au cours des six années civiles précédant son application, le contribuable a déjà fait l’objet, lors d’un précédant contrôle, de l’application de majorations de 100%, 80% ou 40% ou d’une plainte de l’administration.

2/ En l’absence de transmission obligatoire au parquet, l’Administration fiscale pourra prendre l’initiative des poursuites en déposant une plainte pour fraude fiscale, dans les situations suivantes :
- Lorsque les rappels de droits notifiés au contribuable, suite à une rectification « forcée » sont inférieurs à 100.000€, quel que soit le taux des majorations appliquées ;
- Lorsque les rappels de droits notifiés au contribuable, suite à une rectification « forcée » de sa situation, seront assortis d’une majoration de 40%, en l’absence de réitération, quel que soit le montant des droits rappelés.

En cas de dépôt d’un dossier de régularisation (contenant des déclarations rectificatives) de manière spontanée par le contribuable. Ainsi, le fait de déposer spontanément un dossier de régularisation empêche le transfert automatique des manquements au parquet mais n’empêche pas l’Administration fiscale de porter plainte, de sa propre initiative. Il convient de garder à l’esprit que toute information transmise à l’Administration fiscale dans le cadre d’un dossier de régularisation pourra, en cas de plainte déposée par l’Administration fiscale, être utilisée par le parquet pour apprécier si les éléments constitutifs du délit de fraude fiscale sont réunis.

En conclusion, l’étau se resserre autour des contribuables n’ayant pas officialisé l’existence de comptes bancaires ouverts à l’étranger. En pratique, cette situation devrait être aujourd’hui plutôt rare, dans la mesure où la très grande majorité des établissements bancaires étrangers conditionnent l’ouverture ou le maintien de l’existence d’un compte au respect des obligations fiscales dans l’état de résidence.

Finalement, les contribuables qui pourraient être concernées sont principalement ceux disposant de comptes ouverts dans des états ne participant pas à l’échange automatique d’informations et ceux ayant clôturé leurs comptes ouverts à l’étranger au cours des dix dernières années, sans avoir au préalable régularisé leur situation.

Clotilde Cattier-de La Chauvinière Avocat au Barreau de Paris / Inscrite au tableau des avocats étrangers autorisés à exercer à titre permanent dans le canton de Vaud (Suisse)