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Les interpellations violentes à l’épreuve de la déontologie policière. Par Jocelyn Ziegler et Ibrahim Shalabi, Elèves-avocats.
Parution : mardi 1er octobre 2019
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Le mercredi 11 septembre 2019, est filmée une violente interpellation en Seine-Saint-Denis durant laquelle on aperçoit un policier qui, après un vif échange avec un individu, tente de le plaquer, avant qu’un échange de coups ait lieu entre les deux.

Une plainte a été déposée par l’individu interpellé et le parquet de Bobigny a confié la tenue de l’enquête interne à l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) afin de déterminer s’il n’y a pas eu de violences commises par personne dépositaire de l’autorité publique.

A l’aune des images filmées, se pose nécessairement la question de la conformité du comportement du policier vis-à-vis des obligations déontologiques auxquelles les forces de l’ordre sont soumises.

En effet, les règles déontologiques constituent l’ensemble des règles destinées à encadrer l’exercice de certaines professions et activités, dans les relations des professionnels entre eux, mais aussi entre les professionnels et les tiers à cette profession.

S’agissant des policiers et des gendarmes, la déontologie revêt une importance toute particulière puisqu’ils disposent, avec d’autres, du monopole de la violence légitime.

C’est de l’exercice de ces pouvoirs régaliens que naît la justification de leur encadrement, notamment au travers de la déontologie.

A. La déontologie : une réponse à l’amélioration des relations entre la société et la police.

L’une des missions des règles déontologiques de cette profession est d’être une synthèse moderne et englobante de l’ensemble des comportements attendus, mais aussi d’être le rappel d’un certain nombre de valeurs fondamentales qui doivent guider, en l’occurrence les policiers, dans leur attitude, au-devant desquelles on trouve notamment les principes de dignité, de courtoisie et de discernement.

1. Les principes de dignité et de courtoisie : socle de l’image de l’administration.

L’article R434-14 du Code de la sécurité intérieure dispose que le policier ou le gendarme est au service de la population. L’article précise, par ailleurs, que sa relation avec la population doit être empreinte de courtoisie [1].

On trouve également dans cet article la mention d’un autre principe, celui du respect de la dignité de la personne, rendu effectif par l’égard du policier ou du gendarme à son propre comportement et à l’image qu’il renvoie, censée être, en toute circonstance, exemplaire et propre à inspirer en retour respect et considération.

Cette obligation est destinée à protéger « l’image » et la réputation du service. Elle est désormais inscrite dans le titre I du statut général [2].

Par un communiqué de presse du Conseil des ministres du 17 juin 2015, la ministre de la Décentralisation et de la Fonction publique a présenté une lettre rectificative au projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, dans laquelle elle entendait “renforcer l’exemplarité de la Fonction publique, porteuse de valeurs républicaines, afin de renforcer le lien qui unit les usagers au Service public”.

Un premier pan de ce principe protège donc l’image des forces de l’ordre, en interdisant tout outrage dont ils pourraient faire l’objet.

Le deuxième pan de ce principe est une obligation à la charge des policiers ou de la gendarmerie afin qu’ils ne ternissent pas l’image de l’administration qui les emploie [3].

Ces obligations semblent avoir été transgressées lors de l’interpellation filmée du 11 septembre 2019. Cette vidéo a suscité une vague d’indignation sur les réseaux sociaux qui s’inscrit dans un contexte houleux dans lequel d’autres interpellations violentes ont été révélées.

En effet, cette affaire intervient après la mort de Steve Maia Caniço, jeune homme retrouvé mort après l’intervention de la police durant la Fête de la musique à Nantes.

Dans ce contexte, cette interpellation semble avoir terni l’image et la réputation du service mais également brisé la relation de confiance entre la police et le public. Les actes du policier déshonorent non pas la seule police, mais l’administration judiciaire toute entière. Un seul acte déplacé, et c’est l’image de l’État qui est écornée.

2. Le principe de discernement : protection contre les violences illégitimes.

L’article R434-10 du Code de la sécurité intérieure consacre le principe de discernement et dispose que : ”Le policier ou le gendarme fait, dans l’exercice de ses fonctions, preuve de discernement. Il tient compte en toutes circonstances de la nature des risques et menaces de chaque situation à laquelle il est confronté et des délais qu’il a pour agir, pour choisir la meilleure réponse légale à lui apporter”.

Le principe déontologique de discernement est le principe consistant donc pour un membre des forces de l’ordre, à savoir apprécier avec justesse une situation ou des faits. Autrement dit, ce principe suppose que le policier saura user des moyens proportionnés et strictement nécessaires à ce que la situation exige.

La jurisprudence a pu en effet considérer que l’agent de police qui a usé de « bien plus de force que nécessaire » pour maîtriser un délinquant peut commettre cumulativement une faute pénale et une faute disciplinaire [4].

Cette capacité est d’autant plus importante pour les membres des forces de l’ordre qu’ils sont, d’une part, soumis régulièrement à des situations d’urgence ou de stress intense, et d’autre part, du fait du monopole de la violence légitime qu’ils détiennent.

Ce principe de discernement a été par exemple violé lors de l’arrestation de la collégienne kosovare Leonarda Dibrani, élève de 3ème en situation irrégulière, interpellée le jour d’une sortie scolaire. Le rapport d’enquête de l’Inspection générale de l’administration (IGA) du 19 octobre 2013 ayant conclu à un manque de discernement des forces de l’ordre.

De la même manière, lors de l’interpellation du 11 septembre, le policier semble avoir manqué de justesse et de discernement. En effet, ni le plaquage, ni les coups de poing, ni l’utilisation du taser ne peuvent s’apparenter à une intervention évaluée. Face à un individu seul, qui a priori ne semblait pas être dangereux, l’utilisation de cette violence n’était ni nécessaire, ni proportionnée.

B. La répartition des sanctions disciplinaires pour manquement déontologiques.

Les principes déontologiques sont, pour les forces de l’ordre, une protection mais également une contrainte dont l’irrespect ou la violation est susceptible d’entraîner des sanctions.

La sanction administrative est le mode traditionnel de sanction aux manquements à la réglementation déontologique. C’est ce qui ressort notamment des dispositions de l’article R434-27 du Code de la sécurité intérieure affirmant que “tout manquement du policier ou du gendarme aux règles déontologiques l’expose à une sanction disciplinaire”.

Avant de déclencher les poursuites, l’autorité peut, si la gravité des faits le justifie, prononcer à l’encontre du fonctionnaire une mesure conservatoire (suspension provisoire), sans que celle-ci ne préjuge de la suite de la procédure.

S’agissant des sanctions elles-mêmes, la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ainsi que la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions relatives à la fonction publique territoriale, prévoient quatre groupes de sanctions selon la gravité de la faute commise :
- 1er groupe  : le blâme et l’avertissement ;
- 2e groupe : Déplacement d’office - Exclusion temporaire (pour une durée maximale de 15 jours) - Abaissement d’échelon - Radiation du tableau d’avancement ;
- 3° groupe : L’exclusion temporaire de trois mois à deux ans variable - La rétrogradation ;
- 4° groupe  : La révocation et la mise à la retraite d’office.

Parmi les sanctions du premier groupe, le blâme et l’exclusion temporaire de fonction sont inscrits au dossier de l’agent. Ils sont effacés automatiquement du dossier au bout de trois ans si aucune sanction n’est intervenue durant cette période.

L’agent ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire des deuxièmes ou troisièmes groupes peut, après dix années de services effectifs à compter de la date de la sanction disciplinaire, introduire auprès de l’autorité investie du pouvoir disciplinaire dont il relève, une demande tendant à la suppression de toute mention de la sanction prononcée dans son dossier.

L’exclusion temporaire de fonction, qui est privative de toute rémunération, peut être assortie d’un sursis total ou partiel. Celui-ci ne peut avoir pour effet, dans le cas de l’exclusion temporaire de fonctions du troisième groupe, de ramener la durée de cette exclusion à moins d’un mois.

Dans cette affaire, une enquête de l’IGPN est actuellement en cours et devra révéler si un manquement déontologique est constaté et pourrait mener au prononcé par le Préfet de police de l’une des sanctions prévues. Celle-ci devra être “proportionnée à la gravité de ces fautes” [5].

C. La déontologie une arme “de droit” au service d’un État de droit.

Au service des institutions républicaines et de la population, policiers et gendarmes exercent leur fonction avec loyauté, sens de l’honneur et dévouement. Ils ont pour mission d’assurer, entre autres, la défense des institutions et des intérêts nationaux, mais aussi le respect des lois, le maintien de la paix et de l’ordre public.

Les règles déontologiques sont en effet une des composantes primordiales dans un État de droit. C’est une “situation résultant pour une société de sa soumission à un ordre juridique excluant l’anarchie et la justice privée. En un sens plus restreint, c’est un nom que seul mérite un ordre juridique dans lequel le respect du droit est réellement garanti au sujet de droit contre l’arbitraire [6].

C’est à cet égard que les violences policières sont un danger dans un État de droit, dans la mesure où les forces de l’ordre représentent la main de la justice, dans laquelle la population est censée être placée sous leur première protection. Ces règles, comme d’autres doivent, normalement, nous prémunir contre la crainte et l’appréhension de l’exercice d’une violence contre laquelle la réponse n’est ni possible, ni tolérée.

La déontologie est donc l’une des protections de la société contre son propre pouvoir. En cela, elle fixe la règle et la mesure du comportement que doit avoir toute personne disposant de l’utilisation de la violence régalienne.

C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser [7].

En cela, la déontologie est une arme de droit, au service du droit.

Jocelyn ZIEGLER Avocat Associé https://www.ziegler-associes.com/

[1CAA Douai, 19 févr. 2009, n° 08DA01126.

[2L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 25. – L. n° 2016-483, 20 avr. 2016, art. 1er.

[3CAA Paris, 31 déc. 2004, n° 00PA03919, X c/ min. Défense.

[4Cass. crim., 10 févr. 2009, n° 08-84.339, X

[5Conseil d’État, Assemblée, 13/11/2013, 347704, Publié au recueil Lebon.

[6Vocabulaire juridique de Gérard Cornu.

[7Montesquieu, Esprit des lois.