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Les travaux supplémentaires nécessaires à la réalisation de l’ouvrage relèvent du forfait. Par Julie Raignault, Avocat.
Parution : jeudi 3 octobre 2019
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Par arrêt du 18 avril 2019, la Cour de cassation a statué dans une affaire dans laquelle de lourds travaux non prévus avaient été nécessaires pour réaliser l’ouvrage commandé et rendre le lieu accessible aux handicapés.
La Cour rappelle dans cette décision que les travaux supplémentaires nécessaires à la réalisation de l’ouvrage relèvent du forfait.

Dans un arrêt du 18 avril 2019 (n°18-18.801), la Cour de cassation est revenue sur la question des travaux supplémentaires dans le cadre d’un marché à forfait. C’est un sujet qui occupe régulièrement les magistrats de la 3ème chambre civile de la Cour qui détermine petit à petit ce qui relève ou non du forfait.

La jurisprudence est abondante, et même si l’espèce étudiée n’a rien de très original, et que la solution adoptée par la Cour de cassation ne l’est pas davantage, la Cour a souhaité publier largement ce rappel au principe du forfait.

Le contexte de l’affaire.

Dans le cadre d’une rénovation, une entreprise s’est vue confier le lot gros œuvre-démolition par un établissement bancaire pour un prix forfaitaire global. Des travaux bien plus lourds que prévus ont été nécessaires après démolition du plancher existant. Il a, en effet, fallu fragmenter la roche granitique sous la dalle existante, pour abaisser celle à venir et permettre le respect de la réglementation d’accessibilité aux personnes handicapées.

L’entrepreneur a réclamé le paiement de ces travaux supplémentaires au maître de l’ouvrage, qui a refusé de le régler en arguant du caractère forfaitaire du prix.

Quelle solution a été donnée par les juges du fond puis la Cour de cassation ?

La Cour d’appel de Rennes a statué en faveur de l’entrepreneur et condamné le maître de l’ouvrage à payer les travaux supplémentaires. La Cour a estimé que le devis quantitatif ne visait que la démolition du plancher en béton et n’envisageait pas la nécessité de dérocter.

Le maître de l’ouvrage s’est évidemment pourvu en cassation, la Cour de cassation, au visa de l’article 1793 du Code civil, ayant sans grande surprise cassé l’arrêt de la Cour de Rennes et rappelé de manière péremptoire qu’ « en cas de marché à forfait, les travaux supplémentaires relèvent du forfait s’ils sont nécessaires à la réalisation de l’ouvrage ».

La règle semble sévère, mais c’est effectivement l’entrepreneur qui, par principe, supporte les risques de l’exécution de l’ouvrage en cas de forfait, même si des travaux qui s’avèrent finalement nécessaires ont été « oubliés » ou n’ont pu être envisagés au stade de l’établissement des plans et autres documents contractuels.

Quelle problématique pose cette jurisprudence ?

Cet arrêt s’inscrit dans la jurisprudence habituelle de la Cour. Les magistrats de la troisième chambre appliquent strictement le principe du forfait au visa de l’article 1793 du Code civil, mais acceptent dans certains cas spécifiques, toujours en vertu de cette disposition, des hypothèses de sortie du forfait lorsque les conditions sont réunies. L’arrêt du 21 mars 2019 (n° 17-31.540) est à cet égard assez éclairant : les hypothèses de sortie du forfait sont rares.

La jurisprudence protège le maître de l’ouvrage et le met à l’abri de l’entrepreneur peu scrupuleux ou de celui qui n’a pas mesuré l’ampleur du chantier dans lequel il s’engage au moment où il établi son devis.

Certains auteurs trouvent le système très dur, voire « dévastateur », pour les entreprises. L’aide du législateur serait selon eux la bienvenue… Cependant, la récente réforme du droit des obligations n’a pas aidé les entrepreneurs, puisque la théorie de l’imprévision enfin consacrée à l’article 1195 du Code civil ne s’applique pas au forfait.

Et la future réforme du droit des contrats spéciaux ne les aidera pas davantage, puisqu’elle prévoit pour le moment la codification du droit positif concernant le non-paiement des travaux supplémentaires nécessaires à la réalisation de l’ouvrage. Il est même prévu d’élargir le champ d’application de l’article 1793, qui s’appliquerait à la réalisation d’un ouvrage et d’une partie d’ouvrage, et d’exclure l’application du nouvel article 1221 au marché à forfait.

Julie RAIGNAULT Avocat associée Barreau de Paris GRAMOND & ASSOCIES www.gramond-associes.com
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