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Développer son cabinet : la sollicitation personnalisée, une solution adaptée ?
Parution : jeudi 3 octobre 2019
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Nombreux sont les avocats collaborateurs libéraux qui souhaiteraient se lancer en s’installant à leur compte. Une partie ose, d’autres se sentent non armés pour faire face à la concurrence et se distinguer des 30.000 confrères exerçant à Paris.
Leur crainte se fonde sur une problématique essentielle : comment se faire connaitre auprès de clients ? Nonobstant les qualités techniques et humaines de l’avocat ; le succès à court et long terme d’un cabinet dépend des clients.
Par Dan Keinan et Mounia Belkacem, Avocats.

Aussi, en dépit du caractère désintéressé de notre profession, il en va de notre survie d’adopter une attitude pragmatique et en adéquation avec notre époque – et ce tant afin d’exister individuellement, que de subsister collectivement.

D’autant que notre profession apparaît aujourd’hui fragilisée, face à l’émergence d’acteurs étrangers à l’avocature, qui « commercent » du droit sans être astreints aux mêmes obligations que les nôtres.

En effet, des barrières existent, normatives d’une part - dans la mesure ou la communication de l’avocat est rigoureusement encadrée - culturelles d’autre part, prenant source dans des tabous profondément ancrés.

Ces barrières peuvent à juste titre constituer des garde-fous, et nous prémunir contre un certain abaissement de notre fonction. Elles sont par nature le pendant de notre dignité.

Toutefois et à notre sens, l’esprit critique dont doit faire preuve l’avocat, doit inciter à nous questionner sur le bien-fondé de ces barrières.

Nous considérons que nous gagnerions à agir de manière responsable tout autant que décomplexée – et que cela ne s’oppose en rien à notre éthique ou notre dignité.

Pour cause, considérant un réel besoin et une demande croissante, nos instances ont, sous l’impulsion européenne, depuis plusieurs années fait le choix – courageux bien que timide - de desserrer l’étau, et de quelque peu libéraliser notre communication.

Au nombre de ces outils figure le courrier de sollicitation personnalisé.

Bien qu’imparfait, ce procédé relativement peu usité, peut s’avérer particulièrement efficace lorsqu’il s’adresse aux bonnes personnes, et qu’il propose de répondre à un besoin réel.

Cet outil cependant doit être manié avec prudence.

Nous nous sommes pour notre part saisi de ce droit, et avons utilisé cet outil.

Nous dresserons de manière non exhaustive les contours de ce qu’il est concrètement permis ou interdit de faire (I).

Dans un second temps, nous exposerons les avantages indéniables d’un tel procédé, tout en vous aiguillant sur les erreurs à ne pas commettre. (II)

I. Le courrier de sollicitation personnalisé : un droit particulièrement encadré.

Le cadre légal :

Le législateur a introduit l’article 14 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014. Ce texte autorise l’avocat à recourir à la publicité et à la sollicitation personnalisée.

Le décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014 en précise les contours.

L’article 10 du RIN définit ainsi la sollicitation personnalisée comme :
« (…) un mode de publicité personnelle, s’entend de toute forme de communication directe ou indirecte, dépassant la simple information, destinée à promouvoir les services d’un avocat à l’attention d’une personne physique ou morale déterminée. (…) ».

Quelle application pratique ?

Nous conseillons en premier lieu à l’avocat qui souhaite rédiger un courrier de sollicitation personnalisée, de prendre appui sur le Vademecum de la communication des avocats – 1ere édition édité par le CNB.

Sur le fond du courrier :

La sollicitation doit en premier lieu, c’est une évidence que la loi prend le soin de rappeler, mentionner les éléments suivants :
La qualité d’avocat, le barreau dans lequel celui-ci exerce, son adresse professionnelle, sa structure d’exercice (le cas échéant son numéro SIRET), ses coordonnées.

Est prohibée :
- toute publicité mensongère ou trompeuse ;
- toute mention comparative ou dénigrante ;
- toute mention susceptible de créer dans l’esprit du public l’apparence d’une structure d’exercice inexistante et/ou d’une qualification professionnelle non reconnue ;
- toute référence à des fonctions ou activités sans lien avec l’exercice de la profession d’avocat ainsi que toute référence à des fonctions juridictionnelles.

L’avocat exerçant à titre individuel, et faisant le choix stylistique de l’emploi du pronom « nous » au sein de son courrier, pourrait par exemple créer dans l’esprit du public l’apparence d’une structure d’exercice inexistante.

L’avocat qui mettrait en avant des décisions satisfaisantes obtenues, devra également être en mesure de communiquer ces décisions, sans quoi le courrier pourrait revêtir la qualification de publicité mensongère ou trompeuse.

L’avocat qui souhaiterait se démarquer de ses confrères exerçant dans un domaine concurrentiel, ne pourra en aucune manière établir une comparaison avec ces premiers, par exemple basée sur le coût plus faible de ses honoraires.

N’ayant parfois aucune certitude quant au fait que le destinataire n’est pas déjà engagé auprès d’un confrère, il peut être particulièrement utile, lorsque le courrier de sollicitation s’adresse à un justiciable, dans le cadre d’un litige né ou à naître, d’ajouter la mention suivante « si toutefois vous n’êtes pas déjà engagé auprès d’un autre avocat dans le cadre de ce litige ».

Le courrier doit veiller au respect des principes essentiels de notre profession

De manière générale, les principes de dignité et de modération, doivent prévaloir au sein du courrier de sollicitation.

Ainsi, des expressions telles que « en tant qu’avocat engagé, je souhaite mener un combat dans tel domaine… » pourraient renvoyer à une forme d’agressivité contraire au principe de modération.

Nous considérons à titre personne- et cela relève d’une opinion - que la notion de combat est inscrite dans l’ADN de l’avocat, et que cet engagement pour les causes qui nous siéent participent de notre dignité.

Enfin il conviendra de veiller particulièrement au ton employé. Nous comprenons qu’il est souhaitable de privilégier un ton sobre, souvent neutre.

Prenant appui là encore sur le principe de modération ou de délicatesse, il pourrait être reproché à l’auteur du courrier le ton choquant ou sensationnel.

Une telle position cependant consisterait selon nous, à interpréter l’article 10, et irait même au-delà, puisque la loi dit seulement que l’information devra être « sincère » et respecter nos « principes déontologiques ». En outre, le caractère choquant d’un propos relève d’une appréciation éminemment subjective.

Les phrases « choc » ne sont-elles pas la marque des grandes plaidoiries ? Pour autant, vont-elles à l’encontre de notre dignité ? Là encore chacun pourra se faire son idée.

La détermination du coût des honoraires : comment évaluer une prestation avant d’avoir analysé le dossier ?

L’avocat doit encore préciser les modalités de détermination du coût de la prestation, laquelle fera l’objet d’une convention d’honoraires.

Il ne connaît cependant pas, par définition, le dossier susceptible de lui être confié. Certains avocats considèrent qu’il convient de proposer des honoraires compris dans une fourchette (par rapport à la prévisibilité des prestations).

Une telle démarche nous apparaît imprudente.

En effet, évaluer le coût d’une prestation dans une fourchette de prix requiert une vision d’ensemble du dossier, et donc de pouvoir estimer le volume de travail.

Autrement dit, en annonçant dès le stade du courrier de sollicitation, une fourchette de prix au prospect, l’avocat prend le risque :
- Que la fourchette soit tellement large, qu’elle en devienne imprécise : cela reviendrait à satisfaire l’obligation de faire figurer le montant des honoraires de manière superficielle, sans pour autant être loyal vis-à-vis du client qui ne pourrait à juste titre estimer le montant final proposé par l’avocat après découverte du dossier.

- Que la fourchette demeure précise, mais soit finalement en décalage avec la valeur réelle de la prestation à accomplir : l’avocat serait ainsi lésé, sauf à finalement proposer un honoraire plus élevé que celui figurant sur le courrier de sollicitation. On en revient au point précédent.

Cette mention du coût des honoraires sur le courrier de sollicitation doit donc être maniée avec beaucoup de prudence.

Nous estimons qu’indiquer un chiffre est dans une mesure certaine, engageant vis-à-vis du client, car c’est probablement sur cette base, que le client consent à rencontrer l’avocat.

Toutefois, il se pourrait que la loi prescrive un chiffrage, plutôt qu’une mention qui préciserait la modalité, telle « convention d’honoraire forfaitaire » qui serait trop imprécise.

Sur l’obligation de communication à l’Ordre :

Enfin, il est une obligation à laquelle il est essentiel de se soumettre : l’avocat qui souhaite envoyer un courrier de sollicitation devra la « communiquer au Conseil de l’Ordre sans délai ».

Il n’est pas mentionné clairement au sein de la loi si la communication à l’Ordre se doit d’être antérieure à tout envoi au justiciable, ou bien si elle peut être concomitante.

A notre sens, il est évidement préférable de communiquer à l’Ordre le projet de courrier, et une fois celui-ci validé, de l’envoyer à ses prospects.

C’est précisément pour faire face aux questions soulevées précédemment, qu’une communication préalable du projet de courrier au Conseil de l’Ordre, est nécessaire et en définitive a pour effet de protéger l’auteur du courrier. Pour ce faire, il conviendra naturellement de suivre les conseils de l’Ordre.

Sur la forme du courrier :

- Le support requiert un envoi postal ou un courrier électronique, à l’exclusion des SMS, des MMS et des messages vocaux envoyés par le biais d’un automate d’appel.
- Le destinataire devra être une ou des personnes physiques ou morales déterminées, client ou non client, disposant d’une adresse postale et/ou électronique.
- Le contenu sera une offre de service qui répondra à un besoin particulier. Si le message contient une offre de service, il s’agira d’une sollicitation personnalisée. S’il n’en contient pas, il s’agira d’une publicité.

II. Un outil à notre portée dont nous gagnerions à nous emparer.

De l’aveu de certains, les dispositions de l’article 10 du RIN, manifestent le caractère « schizophrénique » de la position dans laquelle se trouve l’avocat.
Libre de pouvoir communiquer sur son activité, il ne peut pas faire état de propos laudatifs.

Comment proposer ses services sans pouvoir se vendre ?

Il convient, en tant que de besoin, de rappeler que le courrier de sollicitation en tant qu’offre de service, n’est pas une consultation juridique gratuite, mais bien un moyen de susciter chez le destinataire une volonté de recontacter l’avocat, et à travers le courrier, lui inspirer confiance.

L’avantage évident de la sollicitation personnalisée est qu’elle permet d’atteindre directement la personne que l’on souhaite toucher.

De manière à être efficace, il conviendra à notre sens de réfléchir particulièrement à la personne que l’on vise et à ce pourquoi on la vise.

En effet, le courrier de sollicitation doit être perçu par le destinataire comme une réponse à un problème. Par exemple informer un chef d’entreprise de ses droits et obligations, si une nouvelle législation vient d’entrer en vigueur - et ainsi pouvoir lui offrir des services dont il aura besoin.

Plutôt que le nombre de personnes visées, il est préférable de mettre l’accent sur la propension de la personne visée à avoir besoin de vos services.

La dignité reste essentielle, il faut parvenir à ne pas susciter la méfiance chez le justiciable peu habitué à recevoir ce type de courrier, et pouvant s’interroger sur les raisons du courrier.

Là encore, la prudence consiste à s’assurer de la licéité des modalités d’obtention des coordonnées du justiciable. Il faudra pouvoir en justifier devant l’Ordre, et surtout vis-à-vis du justiciable sollicité, qui ne souhaite peut-être pas l’être.

Enfin, la législation en matière de RGPD nous conduit à vous conseiller de tenir un registre manuscrit sur lequel seront répertoriés les personnes sollicitées.

La tenue de fichiers informatiques répond à des obligations rigoureuses, dont le non-respect est passible de sanctions.

En dépit de l’importance de de cette réglementation, de la relative imprécision de ces règles, du manque de recul en la matière (compte tenu du caractère récent de ce droit), le courrier de sollicitation personnalisée est à notre sens un excellent outil.

Cette innovation s’inscrit dans un mouvement de libéralisation, qu’illustre parfaitement le droit qu’a désormais l’avocat, d’exercer une activité commerciale connexe.

Cela peut heurter ou à tout le moins dérouter certains, c’est à nos yeux un progrès salutaire.

Plus de liberté implique plus de responsabilités, montrons-nous en dignes.

Dan KEINAN et Mounia BELKACEM - associés au sein du cabinet DKMB Avocats