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Quelles actions et quelle procédure mener face à un bien manifestement abandonné ? Par Benjamin Vincens-Bouguereau, Avocat.
Parution : mardi 8 octobre 2019
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Bien immobilier abandonnée, absence manifeste d’entretien et propriétaires inconnus ou défaillants, une procédure pour état manifeste d’abandon d’un bien peut être engagée par la Commune sur le territoire de laquelle le bien en cause se situe. Une telle procédure suppose toutefois une grande rigueur, pour chacune de ses étapes, sauf à risquer de devoir recommencer à zéro.

Les conditions d’engagement d’une procédure pour abandon manifeste de bien.

La procédure en abandon manifeste de terrain est précisément prévue aux articles L.2243-1 et suivants du Code Général des Collectivités Territoriales, l’article L.2243-1 de ce code disposant que :

« Lorsque, dans une commune, des immeubles, parties d’immeubles, voies privées assorties d’une servitude de passage public, installations et terrains sans occupant à titre habituel ne sont manifestement plus entretenus, le maire engage la procédure de déclaration de la parcelle concernée en état d’abandon manifeste.
La procédure de déclaration en état d’abandon manifeste ne peut être mise en œuvre qu’à l’intérieur du périmètre d’agglomération de la commune.
 »

La première condition de cette procédure consiste en la présence ou non d’un occupant à titre habituel dans un bien immobilier dont la Commune considère qu’il est en état d’abandon manifeste.

Ainsi, si cet immeuble n’est effectivement pas occupé de manière habituelle et s’il n’est manifestement pas entretenu, une telle procédure en état d’abandon manifeste peut alors être envisagée conformément aux dispositions précitées du Code Général des Collectivités Territoriales.

La procédure de bien en état d’abandon manifeste.

1. Une première phase de constatation de l’état d’abandon définitif.

Cette première phase se décline de la manière suivante :

Le Maire constate, par procès-verbal provisoire, l’abandon manifeste du bien, après qu’il a été procédé à la détermination de celui-ci et à la recherche des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés : ce procès-verbal doit, en outre, déterminer la nature des travaux nécessaires pour faire cesser l’état d’abandon.

Alinéa 1 de l’article L.2243-2 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« Le maire constate, par procès-verbal provisoire, l’abandon manifeste d’une parcelle, après qu’il a été procédé à la détermination de celle-ci ainsi qu’à la recherche dans le fichier immobilier ou au livre foncier des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés. Ce procès-verbal indique la nature des désordres affectant le bien auxquels il convient de remédier pour faire cesser l’état d’abandon manifeste. »

Lorsque les propriétaires de l’immeuble ne se sont pas fait connaître ou lorsque leurs adresses sont inconnues, les services de la Commune doivent faire toutes diligences utiles pour les rechercher :
- Le procès-verbal provisoire est notifié aux propriétaires, aux titulaires de droits réels et aux autres intéressés. Il est ici précisé que si l’un des propriétaires ou titulaires de droits réels n’est pas identifié ou si son domicile n’est pas connu, la notification peut être valablement faite en Mairie. Cette notification doit reproduire intégralement les termes des articles L. 2243-1 à L. 2243-4 du Code Général des Collectivités Territoriales ;
- Le procès-verbal doit être affiché pendant trois mois à la mairie et sur l’immeuble en cause ;
- Le procès-verbal doit également faire l’objet d’une publication dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département.

Alinéa 2 de l’article L.2243-2 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« Le procès-verbal provisoire d’abandon manifeste est affiché pendant trois mois à la mairie et sur les lieux concernés ; il fait l’objet d’une insertion dans deux journaux régionaux ou locaux diffusés dans le département. En outre, le procès-verbal provisoire d’abandon manifeste est notifié aux propriétaires, aux titulaires de droits réels et aux autres intéressés ; à peine de nullité, cette notification reproduit intégralement les termes des articles L. 2243-1 à L. 2243-4. Si l’un des propriétaires, titulaires de droits réels ou autres intéressés n’a pu être identifié ou si son domicile n’est pas connu, la notification le concernant est valablement faite à la mairie. »

L’état d’abandon définitif de la parcelle est constaté par procès-verbal définitif à l’issue d’un délai désormais de trois mois (et non plus de six mois depuis la Loi n°2014-366 du 24 mars 2014, dite loi ALUR) à compter de l’exécution des mesures de publicité et des notifications.

Le procès-verbal d’abandon définitif, acte essentiel de la procédure, doit viser l’ensemble des actes de la procédure, reprendre le formalisme du procès-verbal initial, notamment s’agissant de la caractérisation de l’abandon manifeste et des travaux à effectuer.

Il doit être tenu à la disposition du public.

Alinéa 1 de l’article L.2243-3 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« A l’issue d’un délai de trois mois à compter de l’exécution des mesures de publicité et des notifications prévues à l’article L. 2243-2, le maire constate par un procès-verbal définitif l’état d’abandon manifeste de la parcelle ; ce procès-verbal est tenu à la disposition du public. (…).
Le Conseil Municipal, à la demande du Maire, se prononce sur la déclaration d’abandon manifeste et décide de poursuivre l’expropriation au profit de la Commune pour une destination qu’il détermine :
- La délibération doit être précise quant à la destination de l’opération, étant rappelé qu’elle peut viser la réhabilitation des logements, la réalisation d’une opération d’intérêt collectif liée à la restauration, la rénovation ou l’aménagement.
- Cette délibération doit mentionner les modalités de la mise à disposition au public du dossier de DUP simplifiée.
- Cette délibération doit être notifiée à chacun des propriétaires par courrier recommandé avec accusé de réception."

Alinéa 1 de l’article L.2243-3 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« (…). Le maire saisit le conseil municipal qui décide s’il y a lieu de déclarer la parcelle en état d’abandon manifeste et d’en poursuivre l’expropriation au profit de la commune, d’un organisme y ayant vocation ou d’un concessionnaire d’une opération d’aménagement visé à l’article L. 300-4 du code de l’urbanisme, en vue soit de la construction ou de la réhabilitation aux fins d’habitat, soit de tout objet d’intérêt collectif relevant d’une opération de restauration, de rénovation ou d’aménagement. »

Il est précisé que cette procédure ne peut être poursuivie si, pendant ce délai de 3 mois désormais, les propriétaires ont mis fin à l’état d’abandon manifeste soit en commençant des travaux, soit en s’engageant à les réaliser dans un délai fixé en accord avec le maire.

Alinéa 2 de l’article L.2243-3 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« La procédure tendant à la déclaration d’état d’abandon manifeste ne peut être poursuivie si, pendant le délai mentionné à l’alinéa précédent, les propriétaires ont mis fin à l’état d’abandon ou se sont engagés à effectuer les travaux propres à y mettre fin définis par convention avec le maire, dans un délai fixé par cette dernière. »

En revanche, cette procédure peut être valablement reprise si les travaux n’ont pas été réalisés dans le délai prévu : dans ce cas, et en application de l’article L.2243-3 alinéa 3, le procès-verbal définitif intervient soit à l’expiration de ce délai de 3 mois, soit, si elle est postérieure, dès la date à laquelle les travaux auraient dû être réalisés.

Alinéa 3 de l’article L.2243-3 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« La procédure tendant à la déclaration d’état d’abandon manifeste peut être reprise si les travaux n’ont pas été réalisés dans le délai prévu. Dans ce cas, le procès-verbal définitif d’abandon manifeste intervient soit à l’expiration du délai mentionné au premier alinéa, soit, à l’expiration du délai fixé par la convention mentionnée au deuxième alinéa. »

2. Une seconde phase d’expropriation simplifiée.

A l’issue de la première phase, la Commune peut engager la phase d’expropriation de l’immeuble concerné dans le cadre d’une procédure d’expropriation simplifiée sans enquête publique.

Au sens des dispositions de l’article L.2243-4 du Code Général des Collectivités Territoriales qui décrivent les étapes de cette procédure d’expropriation dérogatoire, cette procédure doit avoir pour but soit la construction ou la réhabilitation aux fins d’habitat, soit tout objet d’intérêt collectif relevant d’une opération de restauration, de rénovation ou d’aménagement.

Cette phase procédurale se décline de la façon suivante :

Un dossier simplifié est mis à disposition du public pendant une durée minimale d’un mois comprenant :
- Une évaluation sommaire de son coût avec évaluation par France Domaine de moins d’un an pour la valeur des acquisitions immobilières ainsi qu’un estimatif du coût des travaux ;
- L’identification précise du bien à exproprier comprenant le plan parcellaire des terrains et des bâtiments ;
- L’identité complète des propriétaires ou titulaires de droits réels.

Alinéa 2 de l’article L.2243-4 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« (…)Le maire constitue un dossier présentant le projet simplifié d’acquisition publique, ainsi que l’évaluation sommaire de son coût, qui est mis à la disposition du public, pendant une durée minimale d’un mois, appelé à formuler ses observations dans des conditions précisées par la délibération du conseil municipal. (…) »

Le Conseil Municipal doit alors fixer les modalités selon lesquelles le public peut formuler des observations et notamment la durée de la consultation, les lieux et horaires d’ouverture au public, ou encore l’ouverture d’un registre de consignation des observations.

Il est ici précisé que le Maire peut demander au Président de l’EPCI éventuellement compétent en matière d’habitat de constituer ce dossier, ou ce dernier peut en tout état de cause le faire si le Maire n’a pas engagé la procédure susvisée dans le délai de 6 mois à compter de la déclaration d’abandon manifeste. Il en va de même pour le Président du Conseil Départemental :

Alinéa 3 de l’article L.2243-4 du Code Général des Collectivités Territoriales :

« Sur demande du maire ou si celui-ci n’engage pas la procédure mentionnée au deuxième alinéa dans un délai de six mois à compter de la déclaration d’état d’abandon manifeste, le président de l’établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d’habitat ou du conseil départemental du lieu de situation du bien peut constituer un dossier présentant le projet simplifié d’acquisition publique, ainsi que l’évaluation sommaire de son coût, qui est mis à la disposition du public, pendant une durée minimale d’un mois, appelé à formuler ses observations dans des conditions précisées par la délibération de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale ou du département. »

Le Maire (ou à défaut, le Président de l’EPCI compétent en matière d’habitat ou le Président du Conseil départemental) adresse au préfet :
- Le procès-verbal définitif ;
- La délibération déclarant la parcelle en état d’abandon ;
- Le dossier simplifié ;
- L’évaluation sommaire ;
- Et le registre portant les observations du public.

Sur la base de ces éléments, le Préfet peut prendre un arrêté aux termes duquel il :

- Déclare l’utilité publique du projet mentionné au dossier simplifié :
On observera que le Préfet n’est nullement lié par le projet proposé et peut toujours refuser de prononcer une telle déclaration d’utilité publique.
- Détermine la liste des immeubles ou parties d’immeubles, des parcelles ou des droits réels immobiliers à exproprier, ainsi que l’identité des propriétaires ou titulaires de ces droits réels ;
- Déclare cessibles lesdites parcelles ;
- Indique la collectivité publique ou l’organisme au profit duquel est poursuivie l’expropriation ;
- Fixe le montant de l’indemnité provisionnelle allouée aux propriétaires ou titulaires de droits réels immobiliers, étant précisé que cette indemnité ne peut être inférieure à l’évaluation de France Domaine ;
- Fixe la date à laquelle il pourra être pris possession après paiement ou consignation de l’indemnité provisionnelle.

Cette date doit être postérieure d’au moins deux mois à la publication de l’arrêté préfectoral déclaratif d’utilité publique.

Cet arrêté est publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, affiché en mairie et notifié aux propriétaires et aux titulaires de droits réels immobiliers,

La commune s’acquitte alors du paiement ou consigne l’indemnité et prend possession à la date fixée par le Préfet.

Le Préfet transmet au Juge de l’expropriation le dossier pour prise d’une ordonnance d’expropriation qui sera publiée au service de la publicité foncière : l’ordonnance d’expropriation a pour effet de provoquer le transfert officiel de la propriété.

Dans le mois qui suit la prise de possession, l’autorité expropriante, c’est-à-dire la Commune, doit poursuivre la procédure d’expropriation dans les conditions prévues par le code de l’expropriation c’est-à-dire, pour ce qui la concerne, saisir le Juge de l’expropriation pour faire fixer de manière définitive le montant des indemnités d’expropriation

Si cette procédure d’expropriation donne lieu au versement d’une indemnité d’expropriation au propriétaire, si celui-ci n’a pas pu être identifié alors le Juge de l’expropriation fixera l’indemnité « pour le compte de qui il appartiendra » en application des dispositions de l’article L.321-2 alinéa 3 du Code de l’Expropriation pour cause d’utilité publique et cette indemnité fait alors l’objet d’une consignation et le paiement ou la consignation de cette somme autorise le bénéficiaire de l’expropriation à prendre alors possession du bien exproprié.

Une telle procédure d’abandon manifeste de bien suppose que les propriétaires n’aient pas pu être identifiés ou à tout le moins que ceux-ci ne se manifestent pas dans les délais susvisés après lancement de la procédure.

Cette procédure peut permettre à la Commune qui la mène à bien de faire cesser l’état d’abandon, soit en incitant par le lancement de cette procédure les propriétaires qui seraient identifiés à intervenir, soit en devenant propriétaire du bien après expropriation menée selon une procédure certes simplifiée mais néanmoins relativement longue et formaliste.

Benjamin VINCENS-BOUGUEREAU Avocat Associé - ATV AVOCATS ASSOCIES
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