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GPA : commentaire de l’arrêt de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation du 4 octobre 2019. Par Noémie Houchet-Tran et Claire Roussel, Avocats.
Parution : jeudi 10 octobre 2019
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La gestation pour autrui (GPA), plus vulgairement appelée convention de mère porteuse, consiste à porter un enfant pour un autre couple.

La mère porteuse abandonne tout droit sur l’enfant au profit du « père d’intention » et de la « mère d’intention » et ce en application du droit applicable sur le territoire où l’enfant naîtra.

Toujours interdite en France, cette pratique connaît néanmoins un succès certain auprès des couples français qui ne peuvent avoir d’enfants naturellement.

Avec l’affaire Mennesson et depuis maintenant 15 ans, la Cour de cassation n’a eu de cesse de faire évoluer sa jurisprudence en la matière. Dans son arrêt rendu le 4 octobre 2019, l’intérêt de l’enfant et de ses parents semble être la première considération de la Cour.

Un grand progrès !

1° Rappel de la procédure et de ses enjeux.

La procédure Mennesson.

Les deux filles Mennesson sont nées en 2000 de convention de mère porteuse en Californie aux États-Unis.

Leurs actes de naissance américains faisaient apparaitre leur père biologique et leur mère d’intention.

Le ministère public a d’abord fait transcrire intégralement ces actes de naissance par le consulat général de France à Los Angeles (Californie).

Puis, à la suite d’une procédure judiciaire intentée par le Procureur de la République, cette transcription a finalement été annulée pour fraude à la loi.

Les parents ont ainsi saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui, par un arrêt du 26 juin 2014, a condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention : l’absence de transcription portait ainsi attente à la vie privée des deux fillettes.
Ceci est aisé à comprendre : sans acte de naissance français, pas de passeport français ni de carte d’identité française. Concrètement les fillettes devaient vivre avec leur unique nationalité américaine, ce qui paraît très étrange avec deux parents français et pose donc beaucoup de questions autour d’elles.

La Cour de cassation a donc dû réexaminer l’affaire et a d’abord demandé un avis à la Cour européenne des droits de l’Homme, lequel a été rendu le 10 avril 2019.

Le même jour, les deux enfants, désormais majeures, ont indiqué qu’elles entendaient reprendre la procédure initiée par leurs parents.

Bref rappel de la jurisprudence en matière de gestation pour autrui en France, à l’aune de l’affaire Mennesson.

Dans un premier temps, la Cour de cassation avait admis une transcription partielle pour le père si un lien biologique existait avec l’enfant mais refusait toute transcription pour la mère qui n’avait pas accouché de l’enfant, une telle transcription se heurtant à notre ordre public international.

La Cour a ensuite durci sa jurisprudence en indiquant que les deux parents avaient commis une fraude à la loi française en allant conclure une telle convention à l’étranger et que partant aucune transcription ne pouvait s’effectuer.

Cette jurisprudence était totalement contraire à l’intérêt de ces enfants (certains se retrouvant par exemple apatrides en pratique).

C’est ce qui a valu la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme le 26 juin 2014 dans ses arrêts Mennesson et Labassée. La Cour avait estimé que ce refus de transcription était contraire à l’article 8 garantissant le respect à la vie privée et familiale des enfants.

D’autres condamnations ont suivi. La Cour ne s’est en revanche jamais prononcée sur une éventuelle légalisation de la GPA en France.

Quand la France est condamnée, la Cour de cassation doit réexaminer les affaires.

En suite de cela, il y eut beaucoup d’évolutions du côté français.

Il est désormais acquis que les enfants issus de GPA doivent recevoir la nationalité française. La transcription doit également être opérée pour le père d’intention pourvu qu’un lien biologique existe, sans d’ailleurs que ce lien soit vérifié.

Pour la mère d’intention ou le second papa, la Cour de cassation exigeait de recourir à l’adoption de l’enfant du conjoint et tendait à refuser une transcription directe des actes de naissance étrangers pour les deux parents d’intention.

Avant le réexamen des dossiers Mennesson et Labassée, des assouplissements ont été notés dans la position du Tribunal de Grande Instance de Nantes et du Parquet. On commençait ainsi à voir des transcriptions intégrales d’actes de naissance (pour le père biologique mais également pour le second parent), sans passer par la case adoption.

Fin 2018, lors du réexamen des dossiers Mennesson et Labassée, la Cour de cassation a adressé à la Cour européenne des droits de l’Homme une demande d’avis consultatif afin de savoir si le refus de transcrire un acte étranger en ce qu’il désigne comme étant la mère légale la mère d’intention était contraire à l’article 8 de la Convention (respect de la vie privée et familiale). Elle lui a également demandé s’il y avait lieu de distinguer mère d’intention avec lien biologique ou sans lien biologique. Elle lui a enfin demandé si le passage par l’adoption permettait de répondre aux exigences de l’article 8.

Bien évidemment, le même raisonnement s’applique pour les seconds papas.

Dans son avis rendu le 10 avril 2019, la Cour européenne a répondu que la filiation entre l’enfant et la mère d’intention non biologique (ce qui est quasiment toujours le cas en pratique) doit être établie mais que les États sont libres de choisir le moyen légal d’y parvenir, de sorte que l’adoption est une solution possible.

C’est donc depuis officiel : le lien de filiation, complet, doit être établi pour les deux parents.

Mais la Cour laissant aux États toute latitude sur la façon d’y parvenir, elle n’imposait aucun changement dans la jurisprudence de la Cour de cassation.

L’arrêt de cette dernière dans l’affaire Mennesson était donc particulièrement attendu afin de savoir si elle allait changer sa jurisprudence ou maintenir sa position.

2° L’important avis du Procureur de la Cour de cassation avant le rendu de l’arrêt du 4 octobre 2019 sur la gestation pour autrui.

Avant le prononcé de sa décision, la Cour de Cassation recueille toujours l’avis du parquet, présent pour représenter la République française et ses valeurs.

Ici le Procureur nous livre une analyse très fine des enjeux, des problématiques judiciaires et des solutions possibles en matière de gestation pour autrui.

Si dans le cas d’espèce ce dernier optait davantage pour une reconnaissance de la filiation maternelle d’intention via l’acte de notoriété que pour la non-annulation de la transcription complète des actes de naissance finalement retenue, son analyse s’est portée de façon très intéressante sur la confusion qu’il y a eu jusqu’ici entre l’article 47 du Code civil et l’ordre public international et sur le fait qu’on ne peut considérer, comme jusqu’à présent, que l’acte étranger ne relate pas la réalité.

En effet, jusqu’ici les transcriptions intégrales étaient souvent refusées sur le fondement de l’article 47 du Code civil. Pour rappel, l’article 47 dispose que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

On peut lire dans ces décisions que les actes de naissance établis à l’étranger n’étaient ainsi pas conformes à la réalité car la mère d’intention ou le second papa ne pouvait être le parent car pour nous, la mère est toujours celle qui a accouché.

Mais c’est ici confondre un principe d’ordre public (mater semper certa est) challengeant le fond du droit étranger et une règle intéressant la preuve, donc la forme : pour prouver que les deux français sont bien les parents, on doit faire confiance à l’acte étranger. En gros l’acte de naissance étranger est en principe une preuve suffisante du lien de filiation, sauf à démontrer une falsification du document ou des erreurs matérielles grossières.

Or ici, cet acte étranger n’a pas été falsifié en ce qu’il répond aux exigences du droit local et relate bien une réalité conforme au droit local : les parents de l’enfant sont le père et la mère d’intention.

Le parquet semble ainsi bien exposer et on s’en réjouit que l’article 47 ne doit pas servir à « juger » le fond du droit étranger en matière d’établissement de la filiation.

3° L’apport de l’arrêt rendu le 4 octobre 2019.

Dans cet arrêt du 4 octobre, la transcription est admise pour les deux parents car les jumelles étant majeures, l’adoption plénière n’aurait pas été possible et la procédure aurait nécessité de surcroît encore un long délai d’attente tandis que l’affaire durait depuis plus de 15 ans, ce qui aurait encore violé leur droit au respect de leur vie privée et familiale.

Il convient néanmoins de noter que cette transcription pour les deux parents est ici prononcée à titre exceptionnel et in concreto.

En effet et comme rappelé, dans son avis consultatif du 10 avril 2019 la Cour Européenne des Droits de l’Homme a indiqué que les États étaient libres de choisir le mode d’établissement de la filiation entre un enfant né d’une gestation et la mère d’intention, du moment que tous les enfants issus de GPA jouissaient des mêmes droits que les enfants n’en étant pas issus.

Dans l’affaire Mennesson, en raison de la majorité des deux enfants, seule leur adoption simple par leur mère d’intention aurait été possible. Or l’adoption simple, dont les effets diffèrent de ceux de l’adoption plénière, n’offre pas tout à fait les mêmes droits aux enfants, notamment en terme successoral vis-à-vis des grands-parents et parce qu’elle n’est pas irrévocable.

C’est pourquoi dans cette affaire la Cour de cassation a finalement constaté la transcription intégrale des actes étrangers sur les registres d’état civil français et ce pour la première fois.

Il n’est pas dit que le recours à l’adoption ne soit plus requis pour le second parent dans l’avenir. Mais la Cour de cassation ouvre une brèche : le respect de la vie privée et familiale des enfants et des parents peut bel et bien remettre en cause notre principe jusqu’ici d’ordre public (le sera-t-il encore à l’avenir ?) selon lequel la mère est celle qui accouche.

Il s’agit indéniablement d’un grand pas en avant dans l’appréhension des gestations pour autrui.

Sources :
- L’arrêt de la Cour de cassation ;
- L’avis du Parquet ;
- Avis de la Cour Européenne du 10 avril 2019 des Droits de l’Homme relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention ;
- Article 47 du Code civil ;
- Arrêts Mennesson et Labassée du 26 juin 2014 [1].

Noémie HOUCHET-TRAN Avocat au Barreau de Paris nhtavocat.com Spécialiste en Droit de la famille, des personnes et de leur patrimoine Droit international de la famille

[1Décision à lire ici.