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La responsabilité du dirigeant d’entreprise. Par Romain Daubié, Avocat.
Parution : lundi 14 octobre 2019
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Quels sont les contours de la responsabilité du dirigeant d’entreprise ?
Qu’elle est la responsabilité civile, pénale et légale du dirigeant d’entreprise ?
Comment peut-elle être engagée ?
Voici les principales questions pratiques que devraient se poser un chef d’entreprise.

1/ Quelle responsabilité pour le dirigeant ?

La responsabilité des dirigeants sociaux de personnes morales à l’égard de la société, des associés et des tiers est très étendue et multiple. D’un point vue purement juridique, elle est par principe de nature délictuelle.

Il suffira donc pour de prouver une faute du dirigeant, un préjudice, et un lien de causalité entre ces deux éléments (article 1240 du Code civil) pour engager la responsabilité du dirigeant.

La typologie des fautes pouvant entraîner la responsabilité du dirigeant est très diverse.

Concernant les sociétés qui ne disposent pas de la personnalité morale, telles les sociétés en participation, la responsabilité du dirigeant sera de nature contractuelle car il est alors son mandataire. Il faudra alors prouver une inexécution ou une mauvaise exécution par le dirigeant de ses obligations (article 1231-1 du Code civil).

La responsabilité légale ne s’applique qu’aux dirigeants de droit et non aux dirigeants de fait. Ces derniers ne sont pas pour autant exonérés de toute responsabilité, ils seront soumis au régime de la responsabilité de Droit commun (responsabilité délictuelle ou contractuelle).

2/ Fautes commises lors de la formation de la société.

Les personnes qui ont agi au nom d’une société en formation sont tenues solidairement et indéfiniment des actes ainsi accomplis, sauf reprise desdits actes par la société une fois constituée et immatriculée (Article L. 210-6 du Code de commerce).

3/ Fautes constatées après la cessation des fonctions du dirigeant.

Le dirigeant social reste responsable des actes antérieurs à la cessation de ses fonctions.

Par exception, le quitus, met obstacle à l’action sociale dans les sociétés en nom collectif, en commandite simple et civiles.

Pour les actes postérieurs à la cessation des fonctions, l’irresponsabilité du dirigeant social est de principe.

4/ La responsabilité civile des dirigeants sociaux.

En tout état de cause, et ce quel que soit le moment où la responsabilité du dirigeant est recherchée, il faut prouver qu’il a commis une faute et que de cette faute a découlé un préjudice pour la société ou les associés.

La responsabilité civile des dirigeants sociaux est engagée envers la société et les actionnaires éventuels dans les cas suivants :
- Violation des statuts ;
- Infraction aux dispositions applicables aux sociétés ;
- Faute commise dans la gestion.

Les membres du conseil de surveillance sont responsables des fautes personnelles commises dans l’exécution de leur mandat, mais pas des actes de gestion de la société.

Lorsque la décision litigieuse émane du conseil d’administration ou du directoire d’une société anonyme, le juge doit constater la faute personnelle de chaque administrateur qui, par son action ou son abstention, a participé à la prise d’une décision fautive de cet organe. Il existe une présomption simple de faute, mais celle-ci pourra être renversée par chacun des membres en prouvant qu’il s’est comporté de façon prudente et diligente.

Les fautes de gestion des dirigeants peuvent consister, notamment, en :
- Une mauvaise surveillance de la direction (Cass. Com. 14 décembre 1993, n°91-20.839) ;
- Des imprudences ou négligences (Cass. Com. 28 mai 1991, n°89-21.116) ;
- Un manque de loyauté envers la société ou les associés (Cass. Com. 12 mai 2004, n°00-15.618).

Enfin, toute victime d’une infraction pénale commise par un dirigeant, peut déposer une plainte et se constituer partie civile.

5/ L’action ut singuli.

Lorsque l’agissement de l’organe a causé un dommage à la société, ses représentants peuvent agir en son nom par l’action sociale appelée aussi action ut universi.

Si les dirigeants sociaux n’agissent pas, les actionnaires peuvent combattre cette inertie et intenter eux-mêmes cette action, cela s’appellera alors l’action ut singuli.

Toutefois, l’action ut singuli ne sera possible à certaines conditions :
- Elle n’est possible que si elle a été autorisée par un texte spécial (Cass. Civ. 1ère, 30 janvier 1980, n°78-14.577) ;
- L’action ut singuli ne peut être exercée qu’à l’encontre des gérants de SARL, des administrateurs ou du directeur général (Cass. Com. 19 mars 2013, n°12-14.213) mais pas contre un liquidateur (Cass. Com. 21 juin 2016, n°14-23.370) ;
- L’action ut singuli ne pourra être exercée lorsqu’une procédure collective a été ouverte contre l’entreprise.

L’action intentée par un actionnaire ne peut être individuelle qu’à la condition qu’elle tende à un préjudice personnel et distinct de celui de la société. Cela ne concerne pas l’action intentée contre une société en participation, cette dernière n’ayant pas de personnalité morale, un préjudice personnel ne peut exister.

6/ La responsabilité des dirigeants envers les tiers.

En cas de faute personnelle séparable de leur fonction, les associés et les dirigeants engagent leur responsabilité envers les tiers.

La faute personnelle et séparable des fonctions est définie de la façon suivante : une faute intentionnelle du dirigeant, d’une particulière gravité, incompatible avec l’exercice normal de ses fonctions sociales (Cass. Com. 20 mai 2003 n°99-17.092).

Une telle faute peut être constituée lorsque le dirigeant agit dans les limites de son attribution.

Une infraction pénale intentionnelle constitue en tout état de cause une telle faute (Cass. Civ. 3ème 10 mars 2016, n°14-15.326).

7/ Responsabilité du dirigeant en cas de procédure collective.

Ceci peut être le cas lorsqu’il y a une insuffisance d’actif social.

Lorsque la liquidation judiciaire fait apparaître une insuffisance d’actif social, consécutive à une faute de gestion, le tribunal peut décider que les dettes de la personne morale seront supportées, en tout ou partie, avec ou sans solidarité, par les dirigeants de droit ou de fait, rémunérés ou non ou par uniquement certains d’entre eux (Article L. 651-2 du Code de commerce).

Le dirigeant de fait est celui qui accomplit des actes de gestion ou de direction (Cass. Com. 27 juin 2006, n°04-15.831).

La faute de gestion se caractérise par la violation des obligations de compétence, de transparence et de diligence. Une telle faute sera constituée, notamment, en cas d’utilisation abusive des biens de la société (Cass. Com. 14 décembre 1993, n°91-21.362) ou en cas de poursuite volontaire et en connaissance de cause de l’activité déficitaire de la société (Cass. Com. 30 mars 1999, n°95-17.905).
Il faudra prouver une faute de gestion du dirigeant et un lien de causalité entre cette faute et l’insuffisance d’actif.

La faute en cause peut avoir été commise lors de la création de l’entreprise, ou lors de son exploitation, mais ne devra pas avoir été commise après le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire.

Le lien de causalité sera constitué dès lors que la faute de gestion a été l’un des éléments à l’origine de l’insuffisance d’actif et y a contribué.

Le préjudice est constitué par l’insuffisance d’actif au moment de l’ouverture de la procédure collective.

L’action se prescrit par trois ans à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire et ne peut être engagée que par les organes de la procédure collective (énumérés à l’article L. 651-3 du Code de commerce) et par la majorité des créanciers nommés contrôleurs dans le cas d’une inaction du mandataire de justice.

Tout ou partie de l’insuffisance d’actif pourra être mis à charge du dirigeant fautif, le tribunal ayant un large pouvoir d’appréciation en la matière. Il pourra être tenu compte, notamment, de la gravité de la faute commise.

Lorsqu’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte, le tribunal peut prononcer la faillite personnelle du dirigeant (L. 653-1 du Code de commerce) pour certains actes expressément énumérés à l’article L. 653-4 du Code de commerce. Cela pourra être le cas notamment en cas d’abus de biens sociaux.

La faillite personnelle pourra entraîner diverses sanctions pour le dirigeant, notamment l’interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler (directement ou indirectement) une société. En outre, le tribunal pourra également prononcer l’incapacité d’exercer une fonction publique élective. Ces sanctions seront prononcées pour une durée de 15 ans au plus.

Pour conclure, si les risques sont multiples et étendus, une étude préalable avec un avocat permettra d’anticiper bons nombres de difficultés.

Romain Daubié romain.daubie@avocat-conseil.fr [->https://avocat-lyon-daubie.com/]
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