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Des droits (insuffisants) dans nos prisons…Par Justine Bourgeois, Elève-avocat.
Parution : mardi 15 octobre 2019
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Alors que Jean-Paul Cere disait que « l’incarcération ne suspend pas la qualité d’être humain et n’enlève pas le bénéfice des droits universels et fondamentaux », les prisons françaises ont longtemps été tenues à l’écart du droit.

Le respect des droits des détenus a fait l’objet de nombreuses avancées, notamment grâce au juge administratif et au juge de la Cour européenne des droits de l’homme.

C’est d’abord en 1995 que le Conseil d’Etat a mis fin à l’irrecevabilité de principe des recours formés contre les décisions disciplinaires en détention, réduisant par ce biais le champ des mesures d’ordre intérieur (CE, 17 février 1995, Marie, n°97754).

Progressivement, le juge administratif a ainsi ouvert l’accès au droit aux détenus en reconnaissant ainsi que les décisions de placement à l’isolement (CE, 30 juillet 2003, Ministre de la Justice c. Remli, n°252712) puis les décisions d’affectation d’un détenu d’un établissement pénitentiaire à un autre (CE, 14 décembre 2007, Boussouar, n°290730) ou encore les décisions instituant un régime de détention spécifique (CE, 14 décembre 2007, Payet, n°306432) sont susceptibles de faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.

La Cour EDH est loin d’être étrangère à ce mouvement. La France a fait l’objet de multiples condamnations pour les conditions de détention existantes dans ses prisons, notamment en raison de la surpopulation carcérale caractérisant les établissements pénitentiaires français (CEDH, 25 avril 2013, Canali c. France, req. n°40119/09). Dès 1975, la Cour EDH considère que le droit d’accès à un tribunal au profit d’un détenu est un « élément inhérent » du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Toutefois, alors que la Cour EDH n’a cessé de s’ouvrir aux détenus, force est de constater que le juge européen semble avoir relevé le seuil de ses garanties considérant ainsi par exemple que « le seuil minimum de gravité nécessaire pour constituer un traitement inhumain » n’était pas atteint par l’isolement carcéral d’un détenu pendant plusieurs années (CEDH, 27 janvier 2005, Ramirez Sanchez c. France, req. n° 59450/00).

C’est enfin le législateur qui est intervenu. En effet, le Conseil constitutionnel a renvoyé au législateur la protection des droits fondamentaux énonçant ainsi, dans sa décision n°2009-593 DC relative à la loi pénitentiaire, « il appartient cependant au législateur de garantir les droits et les libertés dont ces personnes continuent de bénéficier dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention ».

Les avancées législatives demeurent faibles dès lors que la loi du 3 juin 2016 relative à la lutte contre le crime organisée a étendu le régime des fouilles des détenus alors même que la France avait été condamnée par la CEDH pour le régime des fouilles infligé à un détenu particulièrement surveillé (CEDH, 20 janvier 2011, El Shennawy c. France, req. n°51246/08). Il a fallu une circulaire du 14 octobre 2016 pour rappeler que les fouilles intégrales devaient être nécessaires, proportionnées et devaient intervenir de manière isolée.

Plus encore, l’article 9 de la loi du 21 juillet 2016, ayant à l’origine pour objet la prorogation de l’état d’urgence, a donné une base légale à la vidéosurveillance continue des cellules de certains détenus accusés de terrorisme par un amendement adopté pour les besoins de la cause. Le Conseil d’Etat avait alors considéré, quelques jours plus tard, que la vidéosurveillance permanente d’un détenu n’impliquait aucune atteinte manifestement illégale aux libertés (CE, 28 juillet 2016, n°401800).

Par ailleurs, si la loi pénitentiaire de 2009 a notamment introduit la possibilité pour les détenus de saisir le juge des référés notamment en son article 726-1 du Code de procédure pénale, le Conseil d’Etat s’est montré davantage réticent refusant ainsi, pendant de longues années, de voir la condition d’urgence remplie par principe par une décision de placement à l’isolement (CE, 1er février 2012, n°350899) ou une décision de maintien en quartier disciplinaire et ce malgré « la violence psychologique résultant d’un placement prolongé sous ce régime » (CE, 22 avril 2010, n°338662).

Après de longues années, le Conseil d’Etat est finalement revenu sur sa jurisprudence par une décision du 7 juin 2019 que les décisions plaçant d’office à l’isolement une personne détenue portent par principe une atteinte grave et immédiate à la situation de la personne détenue, reconnaissant ainsi désormais une présomption d’urgence (CE, 7 juin 2019, n°426772).

Cet arrêt marque une grande avancée pour la protection des droits des détenus, toutefois les conditions de détention en France demeurent intolérables, allant même jusqu’à un manque de nourriture dans certains établissements pénitentiaires dénoncé par l’OIP, et ce alors même que 71 828 personnes sont détenues dans les prisons françaises au 1er avril 2019 atteignant ainsi un triste record.

Justine Bourgeois Avocat à la Cour