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Attention au point de départ de la prescription quinquennale. Par Cécile Plot, Avocat.
Parution : vendredi 18 octobre 2019
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Il était temps que les juges évoluent sur la question épineuse du point de départ de la prescription quinquennale dans le domaine des actions en responsabilité.

Il convient de rappeler que l’article 2224 du Code Civil, introduit par la loi du 23 juin 2008 vient préciser que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

Ce point de départ qualifié jusqu’alors de glissant par la doctrine est laissé à l’appréciation souveraine des juges du fond.
L’interprétation de ce texte, par certaines juridictions, conduisait à attendre qu’une décision de justice annule un acte rédigé par un officier ministériel ou signifié par un huissier de justice, pour caractériser le dommage et faire partir le point de départ de l’action à l’encontre de l’auteur de cet acte.
Or, l’esprit de ce nouveau texte est justement d’éviter la possibilité d’engager une action judiciaire pour des faits très anciens.

Le Tribunal de Grande instance de Paris par un jugement du 22 février 2017 puis la Cour d’Appel par un arrêt du 15 janvier 2019 l’ont bien compris dans ce dossier où les faits de la cause étaient les suivants :

« Par acte notarié du 15 octobre 1992, la SCI a acquis de M.X une parcelle de terrain cadastrée section C située sur la commune de Grimaud.
M.X a ensuite vendu la parcelle voisine à Mme C.
En 1999, Mme C a exercé une action contre la SCI G en revendiquant une partie de la parcelle C et celle-ci a appelé en garantie M.X devant le tribunal de grande instance de Draguignan qui, par jugement du 7 janvier 2004 ,a fait partiellement droit aux demandes de Mme C mais a débouté la SCI G des siennes contre M.X. La SCI a formé appel de ce jugement et par un arrêt rendu par défaut le 5 septembre 2007, M.X ayant été assigné selon les formalités de l’article 659 du code de procédure civile, la Cour d’Appel d’Aix en Provence a infirmé partiellement le jugement et condamné M.X à garantir la SCI des condamnations prononcées à son encontre au profit de Mme C… et à lui verser une provision de 20.000 € à valoir sur l’indemnisation de son préjudice.

La SCI a fait procéder, le 13 novembre 2008, à une saisie-attribution à l’encontre de M.X et celui-ci l’a fait assigner devant le juge de l’exécution afin d’obtenir la mainlevée le 18 décembre 2008.
Par un jugement du 8 avril 2010, le Juge de l’Exécution du Tribunal de grande instance de Nîmes a déclaré nul l’acte de signification en date du 20 février 2008 de l’arrêt du 5 septembre 2007 effectué par une étude d’huissiers et, constatant que ledit arrêt était non avenu, a déclaré nulle la saisie-attribution, en a ordonné la mainlevée et a condamné la SCI à payer à M.X la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Nîmes du 24 mai 2011.
Le 1 décembre 2014, la SCI a fait assigner en responsabilité l’étude d’huissiers.
 »

La SCI soutenait que le point de départ de la prescription courrait à compter du jour où le créancier a connu les faits lui permettant d’exercer ce droit et ce conformément à la jurisprudence ancienne.

Pour sa défense, l’étude d’huissiers a répondu qu’il n’était pas nécessaire d’attendre l’annulation d’un acte par une juridiction, pour avoir connaissance du droit d’assigner l’auteur de l’acte querellé, alors que dans le cas présent, la SCI était informée, de par la délivrance d’une assignation délivrée par le destinataire de l’acte querellé de cette contestation

La SCI a oublié de mettre en cause l’auteur de l’acte dans le cadre de cette instance alors que ses diligences accomplies pour se défendre, démontraient qu’elle avait parfaitement conscience de ce risque d’annulation.

Le droit à agir contre l’étude d’huissiers existait donc bien à compter de la délivrance de l’assignation devant le Juge de l’Exécution et, non à compter de la décision définitive annulant l’acte !

Les deux juridictions ont, à juste titre, estimé que le fait dommageable ou la manifestation du dommage provenait de la délivrance de l’assignation de Monsieur X en date du 18 décembre 2008, devant le Juge de l’Exécution du Tribunal de Grande Instance de Nimes, aux termes de laquelle il sollicitait la nullité de la signification du 20 février 2008 et, par voie de conséquence, la caducité de l’arrêt du 5 septembre 2007.

Reste à savoir si la Cour de Cassation, dans le cadre d’une autre instance, sera du même avis ou si celle-ci laissera cette question au pouvoir d’appréciation des juges du fond, ce qui conduira à des décisions très différentes et divergentes.

Il n’en reste pas moins que par cette décision, la Cour d’Appel invite les professionnels, à ne pas attendre une décision d’annulation, pour appeler en garantie l’auteur de l’acte et, ce afin de limiter le contentieux de la responsabilité à une seule procédure, et non une multitude.

Cécile PLOT Avocat au Barreau de Paris