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Quelles sanctions pour un manager ayant entretenu un jeu de séduction avec une subordonnée ? Par Annabelle Sevenet, Avocat.
Parution : vendredi 18 octobre 2019
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Quelles sanctions pour un manager ayant entretenu un jeu de séduction avec une subordonnée pendant plus de deux ans ? C’est la question qui était posée à la Cour de cassation le 25 septembre 2019, laquelle a répondu qu’il n’y avait pas de « harcèlement sexuel si, à la suite de l’envoi de SMS à connotation sexuelle, la destinataire y répond et adopte sur le lieu de travail une ’attitude très familière de séduction’, cette attitude ambigüe excluant la reconnaissance de ce harcèlement ».
Cass. Soc. 25.09.2019, n°17-31.171 S. c/ Sté Transdev Ile-de-France.

A l’heure du mouvement « me too » où le harcèlement sexuel en entreprise prend une nouvelle ampleur, la Cour de cassation vient rappeler ici que, sous l’angle du droit du travail dont l’approche – rappelons-le – est différente de l’analyse en droit pénal, l’attitude de la victime doit être prise en compte pour la caractérisation et la reconnaissance juridique du harcèlement sexuel.

En l’espèce, un responsable d’exploitation avait envoyé, de manière répétée et durable, entre 2011 et 2013, des SMS au contenu déplacé et pornographique, à l’une de ses collaboratrices qu’il était en charge d’encadrer.

La salariée affirmait avoir répondu aux SMS par jeu, plusieurs témoignages évoquaient par ailleurs l’attitude très familière et ambigüe de séduction adoptée par l’intéressée.

Néanmoins, l’entreprise sanctionne le salarié « harceleur » en le licenciant pour faute grave, décision immédiatement contestée par l’intéressé devant le conseil de prud’hommes.

La Cour d’appel suit en partie le raisonnement du salarié en excluant la reconnaissance des faits de harcèlement sexuel en s’appuyant sur l’attitude ambigüe de la salariée qui avait dénoncé le harcèlement sexuel.

Néanmoins, elle confirme le licenciement du salarié en retenant une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Saisie de l’affaire, la Cour de cassation confirme la validité du licenciement du manager en s’appuyant sur le fait que le salarié exerçant les fonctions de responsable d’exploitation d’une entreprise comptant plus de cent personnes, avait, depuis son téléphone professionnel, de manière répétée et pendant deux ans, adressé à une salariée dont il avait fait la connaissance sur son lieu de travail et dont il était le supérieur hiérarchique, des SMS au contenu déplacé et pornographique, adoptant ainsi un comportement lui faisant perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités.

En revanche, la Cour exclut la reconnaissance de harcèlement sexuel en mettant en avant plusieurs arguments :
- la salariée se plaignant de harcèlement sexuel avait répondu aux SMS du salarié ;
- sans que l’on sache lequel d’entre eux avait pris l’initiative d’adresser le premier message ni qu’il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi ;
- la salariée avait adopté sur le lieu de travail à l’égard du salarié une attitude très familière de séduction ;
- la salariée n’avait subi aucune pression grave ou situation intimidante, hostile ou offensante à son encontre.

Ainsi, alors qu’en matière pénale la tendance veut que l’attitude ambigüe d’une victime de harcèlement sexuel ne soit pas de nature à influencer la commission de l’infraction, elle reste largement prise en compte en matière sociale puisque la participation volontaire d’une salariée à un jeu de séduction réciproque exclut toute notion de harcèlement.

La notion de contrainte est donc ici fondamentale et permet tout autant de responsabiliser les salariés dans le cadre de leurs rapports entre eux puisque l’absence de pression ou d’intimidation, voire la participation à la situation dénoncée exclut purement et simplement le statut de victime.

Pourtant, la Cour de cassation avait retenu peu de temps auparavant une tout autre position en matière de harcèlement moral, affirmant que le juge ne pouvait limiter le montant de la réparation due à une victime d’agissements de harcèlement moral commis par l’employeur, au motif que celle-ci aurait contribué, par son propre comportement, à la dégradation de ses conditions de travail (Cass. Soc. 10 juillet 2019, n°18-14.317).

Il ressort également de cet arrêt que les managers ou salariés disposant de fonctions d’encadrement se doivent d’adopter une attitude en cohérence avec leur statut hiérarchique et peuvent être sanctionnés dès lors qu’un fait, pourtant tiré de la vie privée, se rattache à leur activité professionnelle et leur obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail.

La Cour de cassation met également à l’honneur les notions d’autorité et de crédibilité dont doivent faire preuve les managers, rappelant que la perte de ces qualités s’avère incompatible avec leurs fonctions, indépendamment de la reconnaissance d’un harcèlement sexuel.

Annabelle SEVENET- Avocate Associée - Droit Social www.jane-avocats.com