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Attentat raté de Notre-Dame : nul ne peut être mis en accusation pour des faits pour lesquels il n’a pas été mis en examen. Par Naguin Zekkouti, Avocat.
Parution : vendredi 18 octobre 2019
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Si les protagonistes de cette affaire médiatique ont été condamnées le 14 octobre 2019 à des peines de 30 ans et 25 ans de réclusion criminelle par la cour d’assises spéciale de Paris, les précisions procédurales apportées en matière d’information judiciaire par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 10 avril 2019 n’en restent pas moins d’intérêt.

(Cass., crim. 10 avril 2019, 19-80.493, Inédit)

Si les protagonistes de cette affaire au fort retentissement médiatique ont été condamnées le 14 octobre 2019 à des peines de 30 ans et 25 ans de réclusion criminelle par la cour d’assises spéciale de Paris, les précisions procédurales apportées en matière d’instruction par un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation le 10 avril 2019 n’en restent pas moins d’intérêt.

C’est ainsi que dans la nuit du 4 au 5 septembre 2016, un véhicule piégé contenant des bonbonnes de gaz et imbibé d’essence était découvert à Paris, à proximité de la cathédrale Notre-Dame. Les investigations des enquêteurs aboutissaient à la mise en cause de plusieurs personnes, liées à la mouvance « Etat islamique ». Les mêmes enquêteurs opéraient un rapprochement avec l’agression au couteau du chauffeur d’une camionnette commise le 8 septembre 2016 à Boussy-Saint-Antoine en région parisienne, cette agression ayant pour objet de voler le véhicule pour prendre la fuite.

Dans le cadre d’une information ouverte au pôle anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris, l’une des personnes mises en cause – Madame T. – était mise en examen des chefs de participation à une association de malfaiteurs à caractère terroriste et de tentative d’assassinat du chauffeur de la camionnette, en relation avec une entreprise terroriste.

Une autre personne mise en cause – Madame Y. – était mise en examen du chef de non-dénonciation d’un crime à caractère terroriste, en l’espèce la participation de Madame T. à une association de malfaiteurs visant à la commission d’un attentat.

Toutefois, à l’issue de l’information judiciaire, les juges d’instruction co-saisis modifiaient dans l’ordonnance de règlement la qualification retenue lors de la mise en examen concernant Madame Y. En effet, au terme de la procédure d’instruction :

  1. Mme T. était mise en accusation des chefs de participation à une association de malfaiteurs à caractère terroriste au sens de l’article 421-2-1 du Code pénal et de tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste ;
  2. M. Y., quant à elle, était mise en accusation du chef de non-dénonciation d’un crime à caractère terroriste, à savoir la commission d’un attentat par Mme T. Une telle formulation visant alors la tentative d’assassinat du chauffeur de la camionnette.

Or, ainsi que le relèvent les magistrats du Quai de l’Horloge, M. Y. n’avait jamais été mise en examen du chef de non-dénonciation de la tentative d’assassinat imputée à Mme T.

Autrement dit, M. Y., qui était uniquement mise en examen pour n’avoir pas dénoncé la participation de Madame X. à une association de malfaiteurs à caractère terroriste (au sens de l’article 421-2-1), n’a jamais été mise en examen, ni à titre initial ni à titre supplétif, du chef de non-dénonciation de la tentative d’assassinat du chauffeur de la camionnette par Mme X.

Il est pourtant clair que la participation à une association de malfaiteurs à caractère terroriste est une infraction de nature différente de la tentative d’assassinat, fût-elle à caractère terroriste. La non-dénonciation de l’une ne pouvant alors être assimilée à la non-dénonciation de l’autre.

A la faveur de tels éléments, l’ordonnance de mise en accusation et l’arrêt de la chambre de l’instruction de Paris du 15 janvier 2019 ne pouvaient qu’être censurées par les Hauts magistrats. Au visa de l’article 116 du Code de procédure pénale, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rappelle en effet « qu’une personne mise en examen ne peut être renvoyée devant la juridiction de jugement pour des faits dont le juge d’instruction ne lui a pas fait connaître expressément, lors de la première comparution ou d’une mise en examen supplétive, la nature et la qualification juridique ».

« Une personne mise en examen ne peut être renvoyée devant la juridiction de jugement pour des faits dont le juge d’instruction ne lui a pas fait connaître expressément, lors de la première comparution ou d’une mise en examen supplétive, la nature et la qualification juridique ».

En résumé, il s’évince de cet arrêt du 10 avril 2019 que nul ne peut être mis en accusation pour des faits pour lesquels il n’a pas été mis en examen.

Un tel raisonnement doit être approuvé car conforme aux droits de la défense organisés à l’article 116 au stade de la mise en examen, plus précisément de l’interrogatoire de première comparution (consacrés par la loi n°93-2 du 4 janvier 1993 ; renouvelés et renforcés par la loi n°2000-1354 du 30 décembre 2000 ; ajustés par la loi n°2019-222 du 23 mars 2019).

Sur le plan des principes, l’arrêt rapporté doit être soutenu, en ce que dans un contexte marqué par l’impératif sécuritaire, les droits de la défense et les principes de l’Etat de droit ne sauraient être éludés, y compris en matière de terrorisme.

Sur le fond, il est cependant intéressant d’observer que la chambre de l’instruction et la Haute juridiction ont validé la mise en accusation de Madame Y., personne suspectée de n’avoir pas avoir dénoncé un crime à caractère terroriste – en l’espèce la participation de Madame T. à une association de malfaiteurs visant à la commission d’un attentat – infraction qui par nature était encore en l’état d’une simple résolution criminelle.

Or, l’on sait que le délit de non-dénonciation de crime visé à l’article 434-1 du Code pénal suppose un crime déjà tenté ou consommé (v. notamment Cass. crim. 7 novembre 1990, n°88-85.439 P)...

Naguin Zekkouti Avocat à la Cour Docteur en droit Certificat de sciences criminelles - université Paris 2 Panthéon-Assas