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CDD : licenciement sans cause d’un Chef de maintenance de l’EDA employé sous CDD. Par Frédéric Chhum, Avocat et Léonie Aubergeon, Juriste.
Parution : lundi 21 octobre 2019
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L’Economat des armées peut-elle employer valablement un chef de maintenance en CDD pour « accroissement temporaire d’activité » dans le cadre de 16 CDD et de 4 CDD pour « exécution d’une tâche précise » sur les sites militaires (OPEX) de l’armée française, au Kosovo, au Tchad, à Djibouti et en Afghanistan ?

Dans un jugement de départage du 23 avril 2019, le Conseil de prud’hommes de Bobigny répond par la négative et requalifie en contrat à durée indéterminée les contrats à durée déterminée d’un chef service de maintenance infrastructure de l’EPIC Economat des Armées et déclare sans cause réelle et sérieuse son licenciement.

1) Faits et procédure.

Monsieur X a été engagé par l’EPIC Economat des Armées (EDA), à compter du 7 mai 2008 et jusqu’au 10 février 2017, dans le cadre de 16 contrats à durée déterminée successifs pour « accroissement temporaire d’activité », 4 avenants de prolongation ainsi que 4 contrats à durée déterminée pour « exécution d’une tâche précise ».

Il a été employé successivement en qualité d’adjoint chef de casernement, de chef de casernement et conducteur de travaux ainsi que de chef service de maintenance infrastructure.

Les contrats ont été exécutés au Kosovo, au Tchad, à Djibouti et en Afghanistan.

Par requête au greffe le 21 septembre 2017, Monsieur X a saisi le Conseil de prud’hommes de Bobigny.
Il souhaite obtenir :
- La requalification de ces contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée ;
- La requalification des indemnités de grand déplacement, perçues par lui, en salaire ;
- La qualification de la rupture de la relation de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- Le paiement d’une indemnité de requalification, ainsi que de rappels de salaires.

L’EDA a été convoqué à l’audience du 24 avril 2018 devant le bureau de jugement. Par mention au dossier le Conseil s’est mis en départage de voix et l’affaire a été fixée à l’audience de départage du 8 février 2019.

2) Jugement du Conseil de prud’hommes de Bobigny.

Dans un jugement de départage du 23 avril 2019, le Conseil de prud’hommes requalifie les contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée à compter du 8 mai 2008 et dit que la rupture de la relation de travail s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il condamne l’EDA à payer à Monsieur X les sommes de :
- 3.166, 63 euros à titre d’indemnité de requalification ;
- 6.333,26 euros à titre d’indemnité de préavis, et 633,32 euros au titre des congés payés correspondants ;
- 18.472 euros à titre d’indemnité de licenciement ;
- 28.499,67 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié obtient au total 56.471,56 euros.

2.1) Sur les indemnités de grand déplacement.

Se prévalant de ce que les sommes versées à l’occasion du travail ont la nature de salaire, Monsieur X demande que la somme de 32.778,46 euros, correspondant à la différence entre les frais supplémentaires engagés par lui et les indemnités de grand déplacement (IGD) qui lui ont été versées entre 2014 et 2017, soit qualifiée de salaire et que l’EDA soit condamnée à lui payer, à titre principal, la somme de 3.277,84 euros au titre des congés payés correspondants, outre les cotisations sociales afférentes.

Monsieur X fait valoir que l’EDA ne justifie pas du caractère professionnel des indemnités versées et de la nécessité pour le salarié d’engager des frais supplémentaires en raison de ses conditions de travail ; notamment d’hébergement et de repas dès lors qu’il était logé gratuitement et que les frais de repas étaient modiques.

A cet effet, le Conseil de prud’hommes retient que :

« L’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour le calcul des cotisations sociales prévoit que (…) l’indemnisation des frais professionnels s’effectue soit sous la forme du remboursement des sommes réellement engagées par le travailleur salarié assimilé, soit sur la base d’allocations forfaitaires ; dans ce second cas, l’employeur est autorisé à déduire leurs montants dans les limites fixées par cet arrêté, sous réserve de l’utilisation effective de ces allocations forfaitaires conformément à leur objet. Cette condition est réputée remplie lorsque les allocations sont inférieures aux montants fixés par cet arrêté. L’article 5 4° de cet arrêté, relatif aux indemnités de grand déplacement à l’étranger, prévoit que les indemnités destinées à compenser les dépenses supplémentaires de repas et de logement sont réputées utilisées conformément à leur objet pour la fraction qui n’excède pas le montant des indemnités de mission du groupe I allouées aux personnels civils et militaires de l’Etat envoyés en mission temporaire à l’étranger.

Le montant de ces dernières indemnités s’élevait, par jour, au 30 octobre 2013, à :
- 300 euros pour l’Afghanistan ;
- 225 euros pour le Tchad ;
- 150 euros pour le Kosovo ;
- 169,89 euros pour Djibouti.

En application de l’article 5 de cet arrêté, lorsque les conditions de travail conduisent le travailleur salarié ou assimilé à une prolongation de la durée de son affectation au-delà de trois mois sur un même lieu de travail de façon continue ou discontinue, l’employeur est autorisé à déduire de l’assiette des cotisations sociales le montant des indemnités forfaitaires de grand déplacement prévues aux alinéas précédents auquel s’applique un abattement de 15%.

Si Monsieur X soutient que s’agissant de l’abattement applicable, il y a lieu de se référer à l’article de l’arrêté 2 de l’arrêté du 3 juillet 2006 (…) fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l’Etat (…), la décision du 22 septembre 2011 entrée en vigueur le 1er octobre 2011 visant le décret du 3 juillet 2006 s’applique au personnel de la direction générale et du comptoir d’Allemagne. Elle n’inclut pas les salariés recrutés pour servir à titre principal à l’étranger.

Or il ressort des contrats de travail liant l’EDA à Monsieur X (…) que ce dernier a été embauché pour intervenir sur certains théâtres d’opérations extérieures à l’étranger. Il est donc mal fondé à solliciter l’application de l’arrêté du 3 juillet 2006 pour déterminer les abattements applicables aux indemnités perçues par lui, soumises aux dispositions du décret du 20 décembre 2002 précité.

En l’espèce, Monsieur X a perçu à titre d’indemnités journalières de grand déplacement des sommes inférieures à ces limites, à savoir :
- 166 euros pour l’Afghanistan ;
- 150 euros pour le Tchad, puis 78,75 euros à compter de 2013 ;
- 97,57 euros pour le Kosovo ;
- 78,75 euros pour Djibouti.

Les sommes reçues par le salarié étant inférieures aux limites prévues par l’arrêté du 20 décembre 2002 relatif aux frais professionnels déductibles pour les calculs des cotisations sociales ; et dès lors qu’il est constant que Monsieur X avait sa résidence habituelle en France et était empêché de la regagner chaque jour du fait de ses conditions de travail, les sommes versées par l’EDA à titre d’indemnité de grand déplacement sont réputées utilisées conformément à leur objet, de sorte que l’employeur était en droit de les déduire de l’assiette de cotisations à la sécurité sociale.
Au vu de ces éléments, il n’y a pas lieu de requalifier les indemnités de grand déplacement en salaire
 ».

Sur ce point, Monsieur X est débouté de sa demande.

2.2) Requalification des contrats à durée déterminée (CDD) en contrat à durée indéterminée (CDI).

Pour demander la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, Monsieur X soutient que le délai de carence à respecter entre l’expiration de son contrat et la conclusion d’un nouveau contrat à durée déterminée pour pourvoir son poste n’a pas été respecté.

Le Conseil de prud’hommes de Bobigny juge que :

« Par un accord cadre dénommé CPES France du 12 juillet 2006, le ministère de la Défense a confié à l’EDA la maîtrise d’œuvre de l’externalisation des prestations de soutien sur les théâtres pour lesquels l’état-major des armées décide de recourir à ce mode d’action et, notamment, au Tchad et en Afghanistan.

A compter du 7 mai 2008 et jusqu’au 10 février 2017, Monsieur X a été engagé par l’EDA dans le cadre de 20 contrats à durée déterminée et 4 avenants de prolongation (…).

Il résulte du tableau produit en pièce que Monsieur L a été relevé au poste d’adjoint casernement au Tchad qu’il a occupé du 20 février 2008 au 18 mai 2008 puis du 3 septembre 2008 au 15 décembre par Monsieur X sur la période du 8 mai 2008 au 6 septembre 2008, sans qu’il ne soit établi que ces relèves, « à confirmer » ont été modifiées.

Il résulte également du planning produit en pièce (…) que ce sont succédés au poste d’adjoint de casernement à Warehouse (Afghanistan) Monsieur B du 5 octobre 2010 au 15 janvier 2011, Monsieur X du 10 janvier 2011 au 10 avril 2011 et Monsieur S du 1er avril 2011 au 1er juillet 2011.

Il résulte encore des contrats de travail produits (…) que Monsieur A a été relevé au poste de chef de casernement au Kosovo qu’il a occupé du 29 avril 2012 au 15 septembre 2012 par Monsieur X.

La succession de plusieurs contrats de travail à durée déterminée sans respect du délai de carence est encore confirmée par le procès-verbal de passation de consignes en date du 8 mai 2013 duquel il ressort que Monsieur X a relevé, à compter du 9 mai 2013, Monsieur C de son poste de conducteur de travaux au Tchad, sorti à la même date.

En conséquence (…) il convient, sur ce seul motif, de requalifier la relation de travail liant Monsieur X à l’EDA en contrat à durée indéterminée et ce, à compter 8 mai 2008, date du premier contrat pour lequel il n’est pas établi que le délai de carence (…) a été respecté ».

Le Conseil de prud’hommes de Bobigny juge Monsieur X bien fondé à solliciter une indemnité de requalification et lui alloue une indemnité de requalification équivalente à un mois de salaire, soit la somme de 3.166,63 euros.

2.3) Sur les indemnités de rupture.

Le Conseil de prud’hommes affirme que « Monsieur X, qui bénéficie de deux mois de préavis, est bien fondé à solliciter la condamnation de l’EDA à lui payer la somme de 6.333,26 euros à titre d’indemnité de préavis, outre 633,32 euros au titre des congés payés correspondants.

S’agissant de l’indemnité de licenciement, si l’EDA invoque les dispositions du règlement des personnels civils pour déterminer le montant auquel Monsieur X peut, selon lui, prétendre, faute pour l’employeur de justifier et de communiquer le texte sur lequel il se fonde, il sera fait droit à la demande de Monsieur X et il lui sera alloué, compte tenu de son ancienneté de 8 ans et 9 mois, la somme de 18.472 euros à titre d’indemnité de licenciement ».

2.4) Sur les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le Conseil de prud’hommes affirme que « Au vu de l’ancienneté de Monsieur X au sein de l’EDA, du montant de sa rémunération, et alors que celui-ci était âgé de 45 ans à la date de la rupture de la relation contractuelle, il sera alloué à ce dernier la somme de 28.499,67 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ».

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum