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La Tentative en droit pénal marocain. Par Ahmed Mountasir, Etudiant.
Parution : mercredi 23 octobre 2019
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Le chemin du crime, en latin « liter cri minis » est un long voyage qui mène de la pensée criminelle à la consommation de l’infraction en passant par la résolution criminelle, les actes préparatoires et le commencement d’exécution.
En droit civil, on ne conçoit pas de responsabilité « de crime » - même si c’est réservé au pénal – sans l’existence d’un préjudice occasionné à un tiers : il faut qu’il y ait une victime, réellement atteint dans sa vie, dans son honneur, dans son intégrité, dans ses biens.
En revanche en droit pénal, la responsabilité peut se concevoir dès lors que l’agent n’a pas lésé concrètement une personne, mais a agi de telle sorte qu’il aurait pu la léser. L’exemple de la tentative est à cet égard révélateur.

Selon Jean Berriat Saint-Prix, la tentative est « l’action d’essayer de commettre un délit ».

A travers l’article 114 du Code pénal, on peut définir la tentative comme étant la manifestation par un commencement d’exécution d’un fait punissable par la loi pénale, ou par des actes non équivoques tendant directement à le commettre.
En effet, toute la difficulté réside dans l’appréciation du moment qui rend la tentative punissable. Sur ce point deux visions s’opposent. Selon une conception objective défendue par la doctrine allemande du 19 ème siècle ; la répression de la tentative étant subordonnée à la production d’un trouble social et proportionnée à sa gravité, la tentative doit devenir punissable chaque fois qu’un tel trouble a été constaté et qu’un acte matériel d’exécution tendant à le réaliser a été commis.
Selon une conception subjective défendue par les positivistes italiens, et nettement plus répressive, subordonnant la répression à l’immoralité et à la dangerosité du sujet, et non plus au résultat de ces actes, la sanction doit provenir dès que l’activité délictueuses est manifesté de quelque manière que ce soit.
En égard à la législation pénale marocaine ; le législateur n’a pas sienne l’une de ces théories dans sa globalité. Il a plutôt opté pour une solution de compromis.
Semblant se référer à la conception objective quand il s’agit d’apprécier les éléments de la tentative punissable ; il adopte la conception subjective pour mesurer sa répression.
La notion de tentative a fait l’objet de vif débat doctrino-jurisprudencielle dans le monde du droit et d’ailleurs de nos jours suscite de nombreuses interrogations.
Si la répression de l’infraction consommée ne pose pas de problème, il est possible de s’interroger quant à savoir si un individu antérieurement à cette consommation peut faire l’objet de poursuite et quelle peine lui infliger ? Autrement quelle tentative peut-être punie et on a quel intérêt à infliger cette peine ?
Selon notre législation en vigueur, c’est à partir du moment où il est tenté qu’un comportement tombe sous le coup de la loi pénale et est régie par les articles 114 à 117 du Code pénal.

Il est tout de même clair, et ce conformément au Code pénal, que toutes les tentatives ne sont pas punissables. C’est ainsi qu’en parlant de la tentative (I), nous allons établir une classification de la tentative (A)- qui se subdivise en tentative punissable et tentative non punissable- tout en élaborant les éléments constitutifs de la tentative (B) – qui sont la conjonction d’une intention coupable, d’un commencement d’exécution et d’une absence de désistement volontaire.

Il conviendrait sans doute de parler de la répression de la tentative (II) qui s’effectue en fonction de la gravité des infractions(A) mais aussi sans faire table rase au rôle que joue la répression de la tentative (B).

I. De la tentative.

La loi opère une certaine classification de la tentative (A) en réglementant la tentative punissable et la tentative non punissable. De même elle spécifie d’une manière concise et concrète ses éléments constitutifs (B).

A. Classification de la tentative.

Aux yeux de la loi toute ne peut être punie, il y a celle qui est punissable et celle qui ne l’est pas.

Ainsi nous pouvons distinguer la tentative punissable de la tentative non punissable.
Tentative punissable : eu égard au code pénale, seules la tentative de crime et la tentative de délit en vertu d’une disposition spéciale de la loi sont punissables –art 114 et 116-
N.B : pour qu’elle soit punissable, la tentative doit revêtir certains éléments constitutifs indispensables à son incrimination que nous verrons tout au long de notre développement.
De même la tentative manquée ou interrompue peut parfois être punissable lorsque ce manquement ou cette interruption résulte des considérations indépendantes de la volonté du sujet.

Tentative non punissable : l’article 116 dispose que « la tentative de contravention n’est jamais punissable. »
De même les infractions ne contenant pas les éléments constitutifs que nous allons énumérer ci-après ne sont point punissables.
Du fait de l’intérêt subtil qu’a la tentative non punissable, il sera rationnel d’énumérer d’ores et déjà les éléments constitutifs de la tentative punissable

B. Les éléments constitutifs de la tentative punissable.

La tentative est constituée dés lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes à la volonté de son auteur. Alors pour être punissable, la tentative doit réunir trois conditions (art 114) :
- L’intention coupable ;
- Le commencement d’exécution ;
- L’absence de désistement volontaire ;
- L’intention coupable : est un élément constitutif de toutes les infractions volontaires ainsi que des tentatives de ces infractions.
Dans la plupart des cas l’intention coupable de l’auteur des actes accomplis démontre sa volonté de commettre l’infraction. Un exemple peut permettre de clarifier cette notion : le fait de pénétrer dans un véhicule, de s’installer au volant et de connecter des fils pour démarrer le moteur reflète l’intention de commettre un vol de voiture.

Le commencement d’exécution : est un acte univoque tendant directement et immédiatement à la commission de l’infraction. Donc une simple résolution criminelle ne peut être assimilée au commencement d’exécution projeté, en revanche seules des agissements extérieurs peuvent constituer la tentative, li faut donc distinguer sur ce point les actes préparatoires et les actes d’exécutions.
Les actes préparatoires sont en principes trop équivoques pour constituer un commencement d’exécution. Ils ne sont pas punissables, amis ils peuvent parfois être réprimés à titre d’infraction distinctes. Ex : "le délit de fabrication de fausses clés" art 515. Donc seuls les actes d’exécutions sont susceptibles de constituer la tentative punissable. A ce niveau, il faut exposer le principe de la distinction entre actes préparatoires et actes d’exécution.

Thèses objectives : elle est fondée sur le principe de légalité, l’acte d’exécution doit être implicitement contenu dans la définition légale, sinon il faut le regarder comme un acte préparatoire. L’acte d’exécution doit donc être univoque, c’est-à-dire indubitable quant à sa finalité. Ex : l’escalade d’un mur est équivoque, alors que la mainmise du voleur sur la chose est univoque.

Thèses subjectives : elle élargit la répression de la tentative, par l’importance de l’intention criminelle de l’agent. Elle prend en considération le danger futur. Il y aura commencement d’exécution lorsque l’acte accompli révèle la volonté définitive et arrêtée de commettre l’infraction. Cette volonté sera bien établie lorsque l’acte apparaîtra lié et proche du but que voulait atteindre l’agent. Ex : l’escalade d’un mur devient univoque et donc équipollente au vol avec la conception subjective qui tend ainsi à élargir la répression de la tentative.

La position jurisprudentielle : la jurisprudence semble trouver insuffisamment protectrice la conception objective et trop dangereuse la conception subjective. Le critère retenu est, le plus souvent, strictement fonction de la personnalité pénale de l’agent. Un même acte par exemple l’escalade d’un mur, sera considéré comme un acte préparatoire ou comme acte d’exécution selon que son auteur est délinquant primaire ou un récidiviste.

L’absence de désistement volontaire : même s’il y a un commencement d’exécution, il n’y aura pas tentative punissable si l’agent renonce assez tôt, et volontairement, à accomplir l’acte coupable. Donc ce désistement doit réunir deux conditions, pour qu’il n’y ait pas tentative punissable, il doit être antérieur à la consommation de l’infraction, et volontaire de la part de l’agent.
Le désistement doit intervenir avant la consommation de l’infraction, si l’agent intervient après pour repentir actif. (Ex : le voleur restitue la chose volée). Ce dernier n’efface la consommation d’infraction, il ne produit aucun effet sur les conséquences juridiques de l’acte.

Cependant le désistement doit être volontaire. En effet il est spontané de la part de l’auteur, étranger à toute circonstance extérieure, et provoqué par un sentiment personnel (remord, pitié, crainte de châtiment..). Ex un joueur de football s’est saisi d’un tournevis pour crever les pneus du véhicule de l’arbitre qui vient de l’expulser. Au moment de percer le premier pneu, il réalise que son geste est stupide, renonce à sa vengeance et retourne au vestiaire.

II- La repression de la tentative.

Ce chapitre traduit la nécessité de faire un aperçu sur le mode de répression de la tentative (A) puis montrer le rôle de la répression (B)

A- Une répression fondée sur la gravité des infractions.

La tentative de crime est punissable, est sanctionnée par la loi de la même peine que l’infraction consommée. La tentative de délit n’est pas punissable sauf disposition contraire… L’infraction manquée demeure alors punissable même si la tentative proprement dite n’est pas répréhensible.

La doctrine et la jurisprudence font une distinction :
- D’une part, entre l’impossibilité absolue et l’impossibilité relative ;
- D’autre part, entre l’impossibilité de fait (inefficacité des moyens employés ; inexistence des objets convoités sur les lieux ; absurdité manifeste des moyens utilisés, Le délit impossible de fait, lorsqu’il est poursuivi, est qualifié d’infraction tentée, par assimilation et de l’impossibilité de droit), mais ces distinctions ont perdu leur intérêt pratique.

B- Le rôle de la répression de la tentative.

Cette règle traduit la tendance de la loi à tenir compte de la puissance de nuire plus que de l’acte matériel. Il a également l’avantage de mettre en relief l’aspect subjectif de l’infraction : a intention coupable égale, répression égale. Le remède réside dans les pouvoirs du juge, permettant de ne pas appliquer la même peine a celui qui a tué sa victime et a celui qui l’a manqué tout en désirant la tuer, le juge restant libre, lorsque l’estimera bon d’appliquer dans les deux cas une peine semblable.
Enfin, la répression de la tentative reste parfois ambigüe.
Dans certains cas la tentative n’a pas de place du fait que ces infractions constituent elles mêmes des tentatives.

Ahmed Mountasir, Etudiant