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Local commercial en copropriété transformé en Airbnb : Attention la jurisprudence se durcit. Par Xavier Demeuzoy, Avocat.
Parution : jeudi 24 octobre 2019
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Par un arrêt du 9 octobre 2019, le propriétaire d’un lot de copropriété qui exerçait une activité de type Airbnb a été condamné sous astreinte financière journalière de 100 euros à « restituer à usage de dépôt ses locaux en faisant cesser l’occupation à usage d’habitation et en supprimant l’ensemble des installations sanitaires ou de cuisine ».

Si cet arrêt ne présage en rien de l’interdiction des locations airbnb en copropriété, il a le mérite d’attirer l’attention des propriétaires de rester vigilant avant d’acquérir un lot de copropriété destiné à cet usage.

Lumière sur la question en exclusivité.

Dans un précédent article, nous avions noté qu’une décision isolée du Tribunal de Grande Instance de Créteil semblait remettre en cause la liberté offerte aux propriétaires de locaux commerciaux dans des problématiques de copropriété.

A cette occasion, le Tribunal retenait notamment qu’une autorisation de l’assemblée générale des copropriétaires pourrait être exigée pour la transformation de la destination d’un local commercial, et ce même en présence d’une destination commerciale habitation et commerces au sein de l’immeuble.
Cette position restrictive, isolément adoptée par le TGI de Créteil, semble trouver un écho aujourd’hui dans une jurisprudence très récente de la Cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, Pôle 4 - chambre 2, 9 octobre 2019, n° 17/00737).

En effet, aux termes de cette décision, la Cour semble véritablement durcir le ton face aux locations meublées touristiques, puisqu’elle considère qu’une telle activité peut être incompatible avec les stipulations du règlement de copropriété, alors même qu’il s’agit d’une activité commerciale exercée dans un local commercial et que le règlement consacre une destination mixte de l’immeuble (commerce et habitations).

Dans cet arrêt, le propriétaire du lot litigieux a été condamné à « restituer à usage de dépôt les locaux constituant les lots n°10 et 11 en faisant cesser l’occupation à usage d’habitation et en supprimant l’ensemble des installations sanitaires ou de cuisine » sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Historique de l’affaire :

L’affaire a initialement été présentée à la Cour d’appel de Paris, après une décision du TGI de Paris. La Cour d’appel a donc rendu un premier arrêt le 28 juin 2017 (Cour d’appel de Paris, Pôle 4 - chambre 2, 28 juin 2017, n° 15/04003). Cependant, à l’époque, le litige présenté au TGI puis à la Cour ne prenait pas en compte des problématiques de location meublée touristique puisqu’une telle activité n’était pas exercée dans le lot concerné.

La troisième chambre civile a ensuite rendu un arrêt de cassation partielle en 2018 (Cour de cassation, Chambre civile 3, 12 juillet 2018, 17-26.357, Inédit). Cet arrêt concerne un point très spécifique de l’affaire, qui ne concerne pas notre problématique actuelle de location meublée saisonnière.

Cependant, à la lecture des différentes décisions composant l’historique de l’arrêt commenté, il apparaît que la notion de location meublée touristique n’est évoquée qu’à partir de l’arrêt du 9 octobre et pas dans les décisions précédentes. Dans cet arrêt, il est en effet indiqué que « depuis le jugement, la situation a évolué  ; M. X loue ses locaux en meublé pour des locations de courte durée ».

Habituellement, selon une jurisprudence constante, la destination mixte d’un immeuble ne peut faire obstacle à l’activité de location meublée touristique exercée dans un local commercial puisque toute activité commerciale est autorisée dans l’immeuble et que les propriétaires doivent être libre de choisir l’activité qu’ils souhaitent exercer (liberté de jouissance des lots, article 8 de la loi du 10 juillet 1965).

A cet égard, on peut citer une jurisprudence de la Cour d’appel de Versailles qui est particulièrement claire sur la liberté d’établissement des commerces : « chaque copropriétaire peut en changer l’affectation [du local commercial] sans avoir à solliciter l’autorisation de la copropriété, que les boutiques créées peuvent être utilisées pour l’exercice de n’importe quel commerce ». Elle rappelle à cet égard que « le copropriétaire titulaire du lot à usage de commerce a droit de jouir et exploiter le local selon l’affectation qu’il est libre de lui donner  ». (CA Versailles, 14e ch., 22 sept. 2010, n° 10/05328).

A l’inverse, dans cet arrêt, la Cour défend un point de vue bien plus strict, encadrant l’activité de manière sévère : « Cette dernière exploitation n’est pas conforme à la destination de l’immeuble qui est à usage mixte commercial et d’habitation, mais pas à usage d’hôtel  ; à cet égard, la clause interdisant les locations en meuble n’est pas illicite au sens des articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965 ».

La Cour base notamment son argumentaire sur une analyse de la répartition des charges de copropriété et sur une comparaison des mouvements de personnes liés à l’activité Airbnb et ceux liés à une activité professionnelle plus « classique ».

La Cour est particulièrement sévère concernant les inconvénients de voisinage : « en réalité, la location touristique courte durée, de locaux réservés à usage de dépôt, d’une superficie inférieure à 20 m², et situé en plein milieu de la cour de l’immeuble, ne contribuent nullement à améliorer le standing de l’immeuble mais, au contraire, à développer au sein de la cour des locations précaires inacceptables pour les copropriétaires car non autorisées par le règlement de copropriété  ».

Néanmoins, la Cour ne prend pas la peine de qualifier des inconvénients relevant des troubles anormaux du voisinage. En effet, bien que l’activité de type Airbnb puisse entrainer des nuisances, ces dernières ne se présument pas et doivent être prouvées pour conduire à l’allocation de dommages-et-intérêts.

Attention cependant : cet arrêt particulièrement sévère ne présage pas pour autant de la fin des activités de location meublée touristiques dans les locaux commerciaux, puisque la position de la Cour d’appel ne semble en réalité pas encore fixée sur la question.

A cet égard, une autre décision rendue quelques jours plus tôt par la même formation de la Cour d’appel est plus flexible et tolérance vis-à-vis de l’activité (Cour d’appel de Paris, Pôle 4 - chambre 2, 25 septembre 2019, n° 15/17755).
Cette jurisprudence concerne l’activité de chambres d’hôtes mais est fortement comparable, et elle considère que l’activité est parfaitement compatible avec le règlement : « compte tenu de l’affectation commerciale de ces bâtiments qui correspondent aux lots litigieux, l’activité de chambre d’hôtes dans les bâtiments C et D sur cour n’est pas contraire aux stipulations du règlement de copropriété ».

En tout état de cause, la décision du 9 octobre concerne un lot de copropriété à usage de dépôt. On imagine que l’usage de dépôt est naturellement différent de celui de boutique, de magasin ou de local commercial que l’on retrouve souvent dans des cas similaires. On peut en déduire que l’activité n’est pas nécessairement restreinte dans le cadre d’un lot à usage de local commercial et non de dépôt, dont la qualification ne fait pas intervenir d’élément commercial comme une boutique ou un magasin…

Par ailleurs, le règlement de copropriété interdisait expressément la location meublée, et ce même pour les appartements. Cela présume une certaine sévérité de la part de la copropriété à l’origine.

La solution de la Cour d’appel doit donc être appréciée avec mesure. Face à un règlement de copropriété qui autorise expressément l’activité commerciale dans la totalité ou une partie des lots, il semblerait en effet particulièrement surprenant – et paradoxal- qu’une juridiction sanctionne quand même l’activité commerciale de location meublée touristique…

Dans ces conditions, l’investissement dans un local commercial pour y exercer une activité de location meublée touristique reste une option intéressante pour les propriétaires, mais nécessite une analyse précise et détaillée de la situation particulière de l’immeuble dans lequel l’investissement est envisagé. Ainsi, un tel investissement nécessite l’intervention d’un conseil jurdique, qui saura vous conseiller sur l’opportunité de l’investissement et vous aiguiller dans vos différentes démarches.

Chaque situation est unique puisque l’issue d’une affaire dépend de multiples facteurs : la position des juridictions sur la question, la situation précise du local concerné (superficie, situation dans l’immeuble, occupation précédente, etc.), la sévérité du règlement de copropriété et de l’assemblée générale, la situation du loueur, etc.

La position de la Cour d’appel devra donc être examinée avec attention ces prochains mois pour apprécier l’évolution de sa position sur la question des locaux commerciaux transformés en airbnb au sein d’une copropriété.

Xavier Demeuzoy - Avocat au Barreau de Paris [->http://www.demeuzoy-avocat.com]