Village de la Justice www.village-justice.com

Le défaut de déclaration et de paiement de l’ISF par les époux Balkany était-il condamnable pénalement ? Par Frédéric Naïm, Avocat.
Parution : lundi 28 octobre 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/defaut-declaration-paiement-isf-par-les-epoux-balkany-sur-periode-2010-2014,32785.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Je souhaite aborder le sujet du jugement qui a été rendu dans l’affaire Balkany par le Tribunal correctionnel de Paris le 13 septembre 2019.
Ce jugement a défrayé la chronique car il a montré à quel point on allait vers un durcissement des condamnations pénales en matière fiscale.

L’article 885 A du Code Général des Impôts a été abrogé par la LOI n°2017-1837 du 30 décembre 2017 - art. 31 (V) qui a supprimé l’ISF. Un nouvel impôt a été créé sous la désignation d’IFI et son fondement légal est l’article 964 du CGI. Les deux articles ne sont formellement pas liés.

La condamnation de Monsieur et Madame Balkany est fondée sur l’article 1741 du CGI qui sanctionne le délit de fraude fiscale de manière générale et qui a pour fondement, en matière d’ISF l’article 885 A du CGI pourtant abrogé.

Il faut se référer aux points 2 à 5 du jugement du Tribunal Correctionnel du 13 septembre 2019 ainsi qu’aux points 136 et 171. Le Tribunal n’a pas tiré d’office les conséquences de l’abrogation expresse de cette disposition.

Le principe initial veut que la loi applicable soit celle en vigueur à la date de l’infraction en vertu du principe « Nullum crimen, nulla poena sine lege » (Il n’y a ni sanction ni crime sans loi). Sous réserve de l’importante dérogation concernant les lois nouvelles plus douces, l’application de la législation à la date de l’infraction est un principe général, valable aussi bien pour les sanctions fiscales que pénales.

Ainsi, la loi applicable aux sanctions pénales est celle en vigueur à la date de l’infraction (Cass. crim. 27-4-1987 : Bull. cass. p. 447 n° 166). En ce qui concerne les sanctions fiscales, il était de règle que la loi à retenir était celle en vigueur à la date du fait générateur de l’impôt à laquelle se rapportait la pénalité (CE 19-12-1984 n° 39801 et 39802, 7e et 9e s.-s. : RJF 2/85 n° 305). Mais cette manière de voir s’est trouvée modifiée à partir du moment où les sanctions fiscales à caractère répressif, c’est-à-dire celles qui n’ont pas pour objet la réparation d’un préjudice purement pécuniaire, ont été assimilées aux sanctions pénales.

D’une part, ces sanctions bénéficient de la règle d’application immédiate des lois plus douces. En vertu de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, une loi pénale nouvelle qui allège les pénalités prévues par une loi ancienne doit s’appliquer à toute infraction commise avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée (Cons. const. 19-1-1981 n° 80-127 DC : Rec. p. 15 ; Cons. const. 20-1-1981 n° 80-127 DC : Rec. p. 15).

La règle de l’application immédiate de la loi instituant une peine moins sévère,
« rétroactivité in mitius », a vocation en effet à s’appliquer non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais également à toute sanction ayant le caractère d’une punition même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non judiciaire (Cons. const. 17-1-1989 n° 248 DC : Rec. DC p. 18).
Ce principe, selon lequel la loi pénale nouvelle doit, lorsqu’elle abroge une incrimination ou prononce des peines moins sévères que la loi ancienne, s’appliquer aux infractions commises avant son entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à des condamnations passées en force de chose jugée, s’étend aux pénalités fiscales ayant le caractère d’une punition (Cass. com.7-10-1997 n° 1961 D, Thiberghien : RJF 3/98 n° 340).

D’autre part, comme pour les sanctions pénales, c’est la date d’exigibilité de la pénalité qui sert de référence pour apprécier la législation applicable. Il s’ensuit notamment qu’une pénalité fiscale à caractère répressif ne peut pas être infligée sur la base d’un texte qui n’est plus en vigueur à la date à laquelle a été commis le fait qu’elle réprime. L’extension aux pénalités fiscales de la règle d’application immédiate des lois plus douces est la conséquence des décisions qui ont assimilé aux sanctions pénales les sanctions fiscales à caractère répressif, c’est-à-dire celles qui n’ont pas pour objet la réparation d’un préjudice purement pécuniaire.

Dans le même sens, notamment : Avis CE 5-4-1996 n° 176611 sect., Houdmond : RJF 5/96 n° 607 avec chronique, concl. BDCF 3/96 ; Cass. com. 15-9-2009 n° 08-18.013 (n° 779 FS-PB), DGI c/ Darras : RJF 2/10 n° 173.

Ainsi une condamnation pénale pour fraude fiscale en matière d’ISF est-elle possible sur le fondement des articles 1741 du CGI et 885 A du CGI, alors que cette dernière disposition était abrogée le 30 décembre 2017 ? C’est une des questions que la Cour d’Appel devra sans doute trancher dans l’affaire Balkany pour le volet ISF.

Maître Frédéric Naïm, avocat fiscaliste Spécialiste du contrôle fiscal, redressement fiscal, contentieux fiscal, fiscalité Cabinet Naïm & Leroux avocats [mail->frederic@naimavocats.fr] www.naimavocatfiscaliste.com
Comentaires: