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Défendre les demandeurs d’asile : une mission d’intérêt général pour l’avocat Gilles Piquois.
Parution : jeudi 13 août 2020
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Un peu plus d’un an après la promulgation de la loi dite "Asile et Immigration", le débat sur la politique migratoire de la France reste vif. Du côté des avocats en charge de la défense des demandeurs d’asile, les critiques fusent contre les nouvelles orientations gouvernementales. L’un d’entre eux, Gilles Piquois, a accepté de témoigner pour nous raconter son métier et les difficultés de celui-ci.

Village de la Justice : Pourquoi avoir choisi de faire ce métier ? Quelles sont les difficultés inhérentes à ce domaine particulier du droit ?

Gilles Piquois  : J’ai choisi ce métier car cela me permettait de ne pas avoir de patron, ce que mon père m’a toujours conseillé de faire. Mais le droit d’asile est difficile à pratiquer car il est géré par les responsables politiques, qui sont d’une grande médiocrité et d’une hypocrisie à toute épreuve.

Les enfants réfugiés sont des requérants comme les autres et pas des tricheurs.

Mon intérêt pour ce domaine remonte au temps où j’étais étudiant, lorsque j’étais membre de la Ligue des droits de l’Homme. Avocat, j’ai rencontré des confrères qui plaidaient à la commission de recours des réfugiés et une de mes premières expériences marquantes date de l’époque où, avec Hervé Temime, nous plaidions à la 16ème chambre correctionnelle. A côté des trafiquants de drogue, on retrouvait une population de réfugiés, très différente des autres car volontaires, de tous âges, et qui veulent réussir à oublier les épisodes de souffrances qu’ils ont vécu.

J’avais notamment fait beaucoup de permanences au tribunal pour enfants. Je défends encore des enfants réfugiés grâce à l’aide juridictionnelle. Il faut rappeler que ce sont des requérants comme les autres, car on présente ces enfants comme des tricheurs potentiels avec cette lamentable histoire des tests osseux qui déterminent grossièrement l’âge du migrant (voir en fin d’article). Un procédé que le Conseil constitutionnel a de nouveau validé en mars 2019.

En quoi la dernière loi « Asile et Immigration » impacte-t-elle votre pratique quotidienne ?

Il faut tout d’abord rappeler que la procédure devant la Cour nationale du droit d’asile impose l’usage du français, ce qui pose souvent des problèmes aux migrants. L’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA) et la Cour soutiennent de ne pouvoir comprendre que le français.

La réforme "Asile et Immigration" se fait sur le dos du réfugié, perçu comme de la pollution humaine.

De plus, les réfugiés n’ont toujours pas droit au double degré de juridiction. L’OFPRA est une administration, elle prend une décision et cette décision ne peut pas être déférée à un tribunal de première instance, elle va directement devant la Cour nationale du droit d’asile. Il n’y a donc qu’une chance pour le traitement des recours des réfugiés.

En ce qui concerne ma pratique quotidienne, la loi « Asile et Immigration » promulguée le 10 septembre 2018 a modifié profondément les conditions de défense des demandeurs d’asile. Et cette réforme se fait sur le dos du réfugié, perçu comme de la pollution humaine. Elle permet de supprimer l’accès à l’audience aux demandeurs d’asile, d’introduire le juge unique, de limiter l’aide juridictionnelle.

Vous aviez fait l’objet d’un documentaire qui s’intéressait à votre travail auprès des demandeurs d’asile en 2018, on l’imagine ayant vocation à interpeller la population sur cette problématique. Comment qualifieriez-vous la couverture faite par les médias sur ce sujet ?

Il est nécessaire que nos compatriotes acceptent de regarder différemment ces justiciables. Quand on prend par exemple la question du délit de solidarité, on se demande où l’on va. Les étrangers demandeurs d’asile sont des personnes qui, par les épreuves qu’ils ont traversées, ont besoin de notre aide. Et cette solidarité est réciproque car nous sommes tous gagnants dans la finalité.

Il y a une grande responsabilité des dirigeants politiques qui n’ont pas de vision.

Il y a une grande responsabilité des dirigeants politiques qui n’ont pas de vision. Ils ne font que du marketing politique afin d’accéder au pouvoir et avoir ses avantages. Or, ils doivent aider à réaliser cette prise de conscience auprès des gens qui, parce qu’ils ont des problèmes, estiment avoir la priorité sur tous les autres. Dans le même temps, cela fait le jeu de l’extrême-droite qui peut infuser ses idées dans la société. Un rapport parlementaire [1] rappelle que l’immigration est quelque chose de positif au développement de notre société. Tous les géographes le disent et la France est le seul des pays de l’Europe occidentale à avoir conservé un taux de natalité supérieur à 2.

Vous considérez-vous comme un avocat engagé ?

Pas vraiment, d’autant que nos chers confrères sont très contents de nous féliciter de nos actions alors même que nous ne faisons que notre travail. Si on parle d’engagement stricto sensu, les avocats d’Amazon ou de Google sont tout aussi engagés que nous. La seule différence est que nous sommes libres, contrairement à eux, vis-à-vis de nos clients.

A propos de la controverse des tests osseux :

Lors du traitement de la demande d’asile, le juge pour enfants peut faire recourir à un test osseux afin de déterminer l’âge du migrant et, s’il est mineur, de le mettre sous la protection de l’Etat. Ces tests sont peu fiables et pourtant ils ont une place déterminante dans la procédure. Ils se basent sur la maturation des os et donnent une fourchette d’âge qui n’est pas forcément en adéquation avec l’âge réel. D’autant que, selon le Conseil national de l’ordre des médecins, les résultats « autour de 18 ans ne sont pas fiables du tout » et la marge d’erreur peut aller de 18 mois à 3 ans [2]. Or c’est précisément le moment critique pour les jeunes migrants dans la détermination de leur majorité. Ajoutons que les correspondances entre la maturation osseuse et l’âge civil se basent sur des examens réalisés dans les années 30 sur de jeunes blancs et caucasiens aux Etats-Unis.

Propos recueillis par Simon Brenot.

[1Rapport sur l’impact de l’immigration sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance, juillet 2019, France Stratégie