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La médiation en entreprise et le pouvoir disciplinaire. Par Lionnel Gonzales, Juriste.
Parution : mercredi 30 octobre 2019
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En entreprise, en cas de conflits ou de tensions, les outils de l’employeur ne sont pas nombreux… Souvent on hésite, entre médiation ou sanction ! Pourtant, faut-il vraiment opposer ces deux notions ? Quelle incidence peut avoir la médiation sur le pouvoir disciplinaire de l’employeur ? Est-il possible et utile de médier pendant une procédure disciplinaire ? La médiation doit-elle s’opposer à la sanction… ?
L’objectif de mieux vivre ensemble et de l’intérêt collectif, font que ces deux outils sont parfaitement conciliables au jour le jour.

En entreprise les choses sont claires : le pouvoir de direction et le pouvoir disciplinaire appartiennent à l’employeur.
Pour être acceptée, la médiation en entreprise ne doit pas remettre en cause le lien de subordination, ni le rôle ou le pouvoir respectif des personnes concernées.

Disciplinaire et médiation ne s’opposent pas.

La question sera donc plutôt de savoir si la médiation doit avoir lieu avant, pendant ou après l’éventuelle sanction ?

En droit du travail, l’employeur est libre d’attribuer – ou non – la qualification de faute à un fait imputable au salarié. Et, s’il a attribué la qualification de faute à un fait imputable au salarié, l’employeur est également libre d’infliger – ou non – une sanction disciplinaire à ce salarié.

Ainsi, contrairement au droit pénal – qui veut que les infractions et les peines soient préalablement définies par la loi (les adages : « pas de crime sans loi » - « pas de peine sans loi ») –, il n’existe pas, en droit disciplinaire du travail, de fautes objectives (ou prédéfinies), ni, non plus, par hypothèse, de sanctions disciplinaires prédéfinies applicables à chaque faute disciplinaire.

L’aspect juridique et souvent secondaire pour le chef d’entreprise. Pour lui, la sanction doit être « comprise », elle a aussi une valeur « d’exemplarité ». En clair, l’objectif est que le travail puisse reprendre tranquillement.
Permettre aux salariés de mieux comprendre la situation, afin de s’améliorer, sans rancune ni animosité, n’est pas toujours possible par la seule procédure disciplinaire.
La médiation permettra alors d’accompagner la sanction, pour qu’elle soit mieux comprise humainement et socialement.

Inversement, la médiation peut être utilisée en amont de la procédure disciplinaire, pour faire « l’enquête préalable » à la sanction. Notamment en cas d’alerte « harcèlement », d’alerte sur une situation de conflit relationnel entre deux salarié ou au sein d’une équipe, etc…

Dans les situations complexes et conflictuelles, la médiation est donc utile, voire juridiquement impérative (obligation légale de sécurité…), avant, pendant ou après une procédure disciplinaire, afin de rétablir un fonctionnement relationnel et humain convenable.

Médiation et disciplinaire peuvent donc cohabiter dès lors que leurs objectifs sont distincts et complémentaires. La médiation devra alors prendre en compte les contraintes spécifiques au droit du travail et notamment les délais légaux de la procédure disciplinaire.

Les délais d’intervention d’une procédure disciplinaire.

L’article L.1332-4 du Code travail prévoit un délai de prescription de 2 mois à compter de la connaissance par l’employeur des faits fautifs du salarié pour engager les poursuites disciplinaires.

Seules les poursuites pénales permettent de suspendre ce délai de prescription.

Lorsqu’un fait quelconque imputable au salarié est porté à la connaissance de l’employeur, ce fait ne devient juridiquement une faute disciplinaire que si, avant l’expiration du délai de deux mois suivant la révélation à l’employeur dudit fait, l’employeur :
1° - attribue la qualification juridique de faute disciplinaire au fait considéré,
2° - manifeste l’intention de prononcer une sanction disciplinaire.

Ces deux étapes juridiques se concrétisent en un acte unique : la convocation du salarié à l’entretien préalable (ou bien seulement la notification directe et sans entretien préalable de la sanction, si celle-ci est un avertissement).

Après l’entretien préalable, un autre délai s’impose à l’employeur pour qu’il prenne sa décision. C’est le délai d’un mois, prévu par l’article L. 1332-2, alinéa 4. Le délai d’un mois commence à courir à partir de la date du jour fixé pour l’entretien. Au-delà, l’employeur ne peut plus notifier sa sanction.

Contrairement à l’article 2238 du Code civil, une tentative de conciliation recherchée par la direction n’est pas de nature à interrompre le délai de prescription de 2 mois (Cass. Soc. 8 novembre 2006 n°05-42.879).
La conciliation et la médiation étant deux processus similaires visés par le même article 2238 du Code civil, il semble prudent et logique d’assimiler le cas de la médiation à cette jurisprudence.

Ainsi, ces délais de prescription ne seraient pas interrompus par la tentative de médiation.

La médiation intervenant dans un environnement disciplinaire, devra donc impérativement tenir compte de cette situation, au risque de laisser le délai de prescription s’écouler, ce qui rendrait alors impossible toute sanction.

La médiation aurait alors un effet de « blanchiment » disciplinaires. La sanction prise au-delà du délai serait annulée. L’éventuel licenciement deviendrait sans cause réelle et sérieuse, alors même que les faits fautifs sont établis avec certitude !

Ces situations pourraient discréditer la médiation en entreprise et ne sont pas acceptables pour l’employeur.

En pratique, deux cas de figure seront rencontrés.

Soit l’employeur a connaissance des faits fautifs.

La médiation permet ici un parfait accompagnement humain et relationnel de la procédure disciplinaire.
La médiation pourra avoir lieu à tout moment, avant ou pendant la procédure disciplinaire. Mais attention, car le délai de prescription a déjà commencé à courir.
L’employeur ne pourra donc pas toujours attendre la fin de la médiation, s’il envisage une sanction disciplinaire. En général le médiateur sera lui-même attentif à cette circonstance et veillera à en informer chacune des parties.
En général, la médiation consiste en une à deux séances de 2 heures. Ce qui laisse parfaitement le temps de la mettre en œuvre tout en respectant les délais de prescription.
C’est le cas de la très grande majorité des situations, en présence d’une altercation ou d’un comportement fautif établi.

Soit l’employeur n’a aucune connaissance précise des faits fautifs.

La médiation permettra alors de mieux comprendre la situation, voire de faire apparaitre la réalité des faits.
Le délais de prescription pourra alors courir après la fin de la médiation, au moment où l’employeur a une exacte connaissance des faits reprochés. C’est le cas, notamment en cas d’enquête dans un format de médiation, pour alerte « harcèlement ». L’employeur n’ayant une connaissance précise des faits qu’après l’intervention de « l’enquête-médiation ».

La médiation n’est pas la réconciliation, ni l’oubli des fautes commises. Elle est un lieu d’écoute et d’échange, pour employeurs et salariés, afin de permettre la compréhension juste d’une situation.

Malgré les idées reçues, son objectif humain et managérial, fait de ce processus original un outil complémentaire indispensable au pouvoir de direction.

Sincères remerciements à Monsieur Aymeric Duroy, pour son aide et sa contribution.

Lionel Gonzales Juriste en droit du travail; Médiateur en entreprise, référencé près la Cour d\'appel de Paris; Conseiller prud\'hommes Conseil en négociations et médiations stratégiques
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