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Aviseurs fiscaux : équilibre et efficacité du dispositif. Par Sarah Maubert Mendez, Elève-Avocat.
Parution : jeudi 31 octobre 2019
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Institué par l’article 109 de la loi de finances pour 2017, le dispositif d’indemnisation des aviseurs fiscaux était initialement prévu à titre expérimental pour une durée maximale de deux ans. Le dispositif a finalement été pérennisé en 2018 par la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale suite au dépôt d’un amendement lors de l’examen du texte. Un rapport d’information n°1991 déposé devant l’Assemblée Nationale par la Commission des Finances, de l’Economie Générale et du Contrôle Budgétaire est récemment venu faire un bilan du dispositif et envisager ses futures améliorations.

L’article initial prévoit que l’administration fiscale peut indemniser toute personne étrangère aux administrations publiques, dès lors qu’elle lui a fourni des renseignements ayant amené à la découverte d’un manquement à certaines règles et obligations déclaratives fiscales.

Ces éléments doivent être adressés de manière spontanée et non anonyme et ne retiendront l’attention de l’administration que si elles portent à sa connaissance des faits graves et décrits avec précision.

En effet, le dispositif ne concerne que les montages abusifs de fraude internationale qui sont, en pratique, les plus difficiles à débusquer par les agents de l’administration fiscale. Il s’agit notamment de problématiques de domiciliation fiscale, de prix de transfert, de règles de territorialité de l’impôt sur les sociétés ou encore des obligations de déclaration des comptes et trusts détenus à l’étranger.

Les aviseurs utilisent tous les canaux de communication existant pour contacter l’Administration. Il n’existe pas, à l’image d’autres démocraties utilisant des dispositifs similaires, d’agence dédiée. Les potentiels aviseurs peuvent également avoir recours à un avocat pour les représenter.

Le décret n°2017-601 du 21 avril 2017 pris pour application de l’article 109 précité précise que l’indemnisation des aviseurs se justifie par la sophistication de la fraude fiscale dans son acception actuelle. La dimension internationale de la fraude nécessite de permettre à l’administration fiscale, qui recueille de telles informations, de subordonner leur communication au versement d’une indemnisation, eu égard aux risques que la personne qui les délivre estime prendre.

De nombreux autres pays ont d’ores et déjà recours à ces systèmes de délation indemnisée. La France se dote ainsi aujourd’hui d’un nouvel outil pour favoriser la lutte contre la fraude, au même titre que l’Allemagne, la Chine, le Danemark ou encore les Etats-Unis.

De plus, en France l’indemnisation des sources est déjà pratiquée au sein d’autres administrations, telles que la Douane, la Police et la Gendarmerie, essentiellement à des fins de lutte contre le banditisme, les trafics, la criminalité sérielle, les homicides et la lutte contre le terrorisme.

C’est un arrêté du 21 avril 2017 qui prévoit les modalités de mise en œuvre de l’indemnisation des aviseurs.

Dans un premier temps, la décision d’indemnisation est prise par le directeur général des finances publiques, qui en fixe le montant par référence aux montants estimés des impôts éludés et en tenant également compte du risque pris par l’aviseur. Sont également pris en compte la nature et la complexité de l’affaire, le degré de précision des informations transmises ainsi que la capacité de l’aviseur à fournir des informations sur le long terme.

Préalablement à toute indemnisation, des agents de la direction nationale d’enquêtes fiscales examinent l’intérêt fiscal pour l’Etat des informations communiquées et du rôle précis de l’aviseur. En cas d’indemnisation, la mise à disposition des fonds est effectuée par le comptable assignataire désigné par le ministre chargé du budget.

L’indemnisation par aviseur ne peut aujourd’hui pas excéder 1 million d’euros, et cette indemnisation n’est pas soumise à impôt français (alors que c’est le cas aux Etats-Unis notamment). L’aviseur bénéficie de la protection de son anonymat mais, contrairement aux lanceurs d’alerte, ne sera pas protégé face à des sanctions ou à un licenciement consécutifs à la délivrance de ses informations.

Le rapport du 5 juin 2019 en la matière est issu d’une mission d’information visant à évaluer le dispositif plus de deux ans après sa mise en œuvre.

Le rapport souligne tout d’abord que les premiers résultats du dispositif témoignent de son positionnement équilibré et de sa réelle efficacité qui pourrait toutefois être renforcée.

Au jour de présentation du rapport, deux aviseurs avaient été indemnisés et les montants recouvrés s’établissaient à un montant très significatif supérieur à 90 millions d’euros.

Dans une optique de renforcement de l’efficacité du dispositif, le rapport avance six propositions :
- 1. Etendre le champ des manquements visés aux opérations portant sur la TVA,
- 2. Supprimer le plafond applicable à l’indemnité. Le rapport souligne qu’un tel plafond limite fortement l’attractivité du dispositif, et ainsi l’importances des informations apportées et des dossiers traités. De plus, la procédure étant encadrée par des garanties suffisantes permettant une évaluation fiable des enjeux financiers associés aux informations transmises, le maintien d’un tel plafond n’apparaît pas justifié.
- 3. Envisager un renforcement de la confidentialité des éléments permettant l’identification des aviseurs.
- 4. Mieux protéger les agents traitants (selon les missions, certains se sont retrouvés face à du harcèlement, des menaces verbales voire des menaces de mort),
- 5. Favoriser la coopération entre le service des investigations élargies de la DNEF et le nouveau service d’enquêtes judiciaires des finances,
- 6. Enfin et surtout, codifier le dispositif dans le livre des procédures fiscales.

Aujourd’hui le dispositif figure uniquement à l’article 109 de la loi de finances pour 2017. Le rapport suggère ainsi de l’intégrer dans la partie législative du Livre des Procédures Fiscales, dans les dispositions générales relatives au droit de contrôle de l’administration en matière de contrôle de l’impôt.

Le rapport s’est enfin interrogé sur l’opportunité de mettre en place un véritable service de renseignement au sein de l’administration fiscale et précise qu’une réflexion en la matière devrait être approfondie dans le cadre de futurs travaux parlementaires.

Dans un contexte de renforcement de la lutte contre la fraude, ce dispositif permet à l’administration fiscale d’accéder à davantage d’informations. Le rapport présenté en juin 2019 rappelle les arguments avancés lors de l’adoption du dispositif, un double objectif, d’une part la « lutte civique et citoyenne contre des pratiques de grande fraude fiscale » et d’autre part le « rendement budgétaire ».
Au vu des 90 millions d’euros mis en redressement à l’issue des deux premières années, l’objectif de rendement paraît rempli.

Sarah Maubert Mendez Elève-Avocat Spécialisée en Droit Fiscal Ecole des Avocats du Sud-Est