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[Chronique] Avocates, inspirez-nous ! Entretien avec Carole Vercheyre-Grard (3).
Parution : mardi 5 novembre 2019
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"Avocates, inspirez-nous !" est une initiative de Christine Mejean et d’Isabelle-Eva Ternik qui a pour objectif le partage d’expériences professionnelles à travers des entretiens menés avec des avocates aux profils et parcours diversifiés, que le Village de la Justice a eu envie de relayer.
Pour cette nouvelle chronique [1], rencontrez Carole Vercheyre-Grard, avocate indépendante, qui depuis vingt ans vit son métier à la fois comme experte en droit et dirigeante d’entreprise. Sans artifice, elle fait part de son expérience professionnelle.

"Avocates, inspirez-nous" : les origines du projet.

La loi du 1er décembre 1900 a permis aux femmes d’exercer la profession d’avocat. Olga Balachowsky-Petit a été la première femme à prêter serment le 6 décembre 1900 et Jeanne Chauvin a été la première femme à plaider dans une affaire de contrefaçon de corsets en 1907.
118 ans plus tard, en 2018, les avocates sont plus de 36.000 en France et représentent plus de 55% de la profession d’avocat [2]. Cependant, seules 24,5% d’entre elles sont associées dans les 100 plus grands cabinets d’affaires et leurs revenus moyens sur l’ensemble de leur carrière sont inférieurs de plus de 50% à ceux des hommes [3].
Apprenons à les connaître ! Comment les avocates appréhendent-elles leur métier ? Quelles sont leurs clefs de succès ? Quelle(s) transformation(s) apportent-elles au sein de la profession ?


Carole Vercheyre-Grard, avocate indépendante en Droit social et Droit des affaires.

(Crédit photo : Isabelle-Eva Ternik)

Ses attentes du métier d’avocat :

Dès mon adolescence, je voulais être avocate. Il me tenait à cœur de participer à ce que le monde soit plus juste : être un soutien pour ceux qui traversent des moments difficiles et les aider à faire reconnaître leurs droits.

Le sens qu’elle donne a son métier aujourd’hui :

En tant qu’avocate indépendante, j’exerce un double métier : d’une part, expert en droit, j’accompagne mes clients sans les juger et d’autre part, chef d’entreprise, je gère mon cabinet (comptabilité, communication, ressources humaines, management, développement, etc…).

Sa philosophie professionnelle :

"La recherche de « la Vérité » n’a pas de sens : il existe seulement des vérités subjectives."

Faire toujours du mieux possible avec humanité.
Mon rôle est d’accompagner mes clients dans les dédales juridiques et de leur permettre de faire valoir leur vérité. Il est important de garder à l’esprit que la recherche de « la Vérité » n’a pas de sens : il existe seulement des vérités subjectives. Et surtout, je crois en l’humain : aussi, même si le dossier est compliqué à gagner au regard des règles de droit, je suis stratège et je mets tout en œuvre pour démontrer une injustice !

Ses caractéristiques d’exercice :

Je suis d’un tempérament conciliateur mais tenace. Et, comme l’avocat a globalement une clientèle qui lui ressemble, j’ai des clients pragmatiques et ouverts à la résolution amiable. Si je suis côté employeur, je vais proposer une transaction toutes les fois où cela est possible : généralement le processus aboutit si les demandes du salarié sont raisonnables. Si je suis côté salarié, je suis très réceptive aux efforts de conciliation de l’employeur. Malheureusement, certains confrères préfèrent un procès qui s’éternise.

Son blog :

« Nul n’est censé ignorer la loi. » En pratique, les citoyens sont confrontés à une double problématique : le jargon juridique est complexe et la jurisprudence est évolutive. Aussi, dès 2010, j’ai créé un blog destiné à ceux qui n’ont pas accès à la connaissance juridique. Depuis, je publie régulièrement des articles d’actualité juridique dans un langage clair et compréhensible pour tous.

Ses trucs et astuces pour réalimenter le moteur au quotidien :

Les rencontres d’une grande variété et d’une grande intensité que je n’aurais jamais faites si je n’avais pas été avocate ! Sinon, je mange du chocolat, je bois du coca, je fais du tennis ! (Rires)

Son équilibre vie pro-vie perso :

"Pour préserver la vie privée, il faut accepter soit de gagner moins d’argent soit de déléguer certaines activités."

Il y a toujours une solution : en la cherchant, on la trouve. Pour préserver la vie privée, il faut accepter soit de gagner moins d’argent soit de déléguer certaines activités. Quand j’étais collaboratrice, je ne voulais absolument pas négliger ma vie de famille. Ce n’était pas envisageable de ne voir ma fille ainée que tard le soir donc je quittais le bureau tous les jours à 17h. Ma concession était financière : j’étais payée aux 3/5èmes. Lorsque je me suis installée à mon compte et que mes enfants étaient encore jeunes, je ne travaillais pas le mercredi pour profiter d’eux.

A votre avis, être une femme est-il un atout dans l’avocature ?

Je ne suis pas convaincue que les femmes apportent un plus par rapport aux hommes. C’est le caractère empathique, l’énergie et la compétence qui comptent.

Avez-vous déjà été temoin d’attitudes sexistes ?

Je pense à deux anecdotes d’audience.
La première : Comme les avocats sont tous convoqués à la même heure pour une audience, qui dure généralement toute la matinée ou l’après-midi, ils passent plusieurs heures à attendre. Il est d’usage – par confraternité – de laisser plaider en premier les avocat(e)s qui sont dans un état de santé particulier. Alors que j’étais à 7 mois de grossesse, des confrères m’ont dit : « Ce n’est pas une maladie ! » et j’ai dû attendre plusieurs heures avant de plaider mon dossier.
La seconde : Dans un dossier avec plusieurs parties, j’étais la seule femme avocate. Un vieil avocat est arrivé à l’audience et a dit bonjour à tous les confrères qui intervenaient dans ce dossier… sauf à moi. Je l’ai interpellé : « Dites-moi Confrère, c’est parce que je suis une femme que vous ne me dites pas bonjour ? » Aucune réponse… En plus, il me tournait le dos : je me sentais physiquement niée. Il y avait une femme du Conseil de l’Ordre présente dans la salle qui m’a alors dit : « Ne faites pas d’esclandre ! ».

Ses conseils aux étudiants :

Il est essentiel de se poser les questions suivantes avant de choisir des études d’avocat :
- Est-ce que je suis capable de travailler seul, longtemps ?
- Est-ce que je suis capable de prendre des décisions et de trancher ?
- Est-ce que je suis capable de travailler sans être complimenté ou remercié ?

Si vous répondez non à une seule de ces questions, alors il convient sérieusement de réfléchir à une autre orientation…

Ses conseils aux jeunes avocats :

"La justice de demain, c’est plus de règlement des conflits hors des juridictions et plus de dématérialisation des audiences."

Ne pas trop donner de soi aux clients. Plus on donne, plus il y a un risque que le client le considère comme un dû. Il est essentiel de délimiter le cadre de l’intervention et de trouver la bonne posture professionnelle : être ni trop distant ni trop empathique.
Au début de ma carrière, je l’ai appris à mes dépens dans un dossier où je me suis énormément investie et où j’ai peu facturé. Un vendredi, ma cliente a tenté de me joindre à 17h. Le lundi d’après, elle est venue récupérer son dossier à mon cabinet en expliquant que ses amis lui avaient dit qu’une avocate indisponible à 17h n’était pas « une bonne avocate ».

Sa vision de l’avenir du métier :

La justice de demain, c’est plus de règlement des conflits hors des juridictions et plus de dématérialisation des audiences. L’avocat fera donc plus de conseil et moins de contentieux.

Propos recueillis par: Christine Méjean et Isabelle-Eva Ternik, Avocates.

[1Le précédent entretien avec Anne Toupenay-Schueller à lire ici.

[2Source : www.justice.gouv.fr

[3Source : Rapport Haeri 2017.