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(Presque) tout se joue pendant la garde à vue ! Par David Bitboul, Avocat.
Parution : lundi 4 novembre 2019
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Les réformes et évolutions successives du régime de la garde à vue depuis 2011 ont mis en lumière la véritable nature de cette procédure : celle d’épicentre de la procédure pénale, fait d’heures d’audition et de relations humaines si particulières qu’elles affectent nécessairement l’issue du procès pénal.

Prévue à l’article 62-2 du Code de procédure pénale, la garde à vue est une mesure très contraignante impliquant une privation de liberté à l’encontre d’un suspect d’infraction pénale.

Elle est souvent considérée, à tort, comme une mesure pénible mais à l’importance relative en comparaison des débats qui se tiendront lors du procès pénal, théâtre des confrontations des différentes versions des parties.

En réalité, si l’on excepte les rares cas où ni la culpabilité du suspect, ni sa personnalité ne font débat, la garde à vue constitue une étape décisive dans la construction et l’orientation de la procédure pénale, et ce à plusieurs titres.

En premier lieu, la crédibilité de la parole d’un prévenu comparaissant devant un tribunal correctionnel ou d’un accusé devant une cour d’assises va dépendre en grande partie de la cohérence de ses déclarations retranscrites sur les procès-verbaux d’audition de garde à vue.

Un suspect qui, par exemple, change de version des faits au gré des éléments de preuve qui lui sont progressivement présentés par les policiers, va ainsi tout à la fois ruiner la crédibilité de sa version (c’est-à-dire annihiler ses chances éventuelles de relaxe) et nettement limiter la mise en avant de sa personnalité, au regard du principe de personnalisation de la peine.

Par ailleurs, la police, tout comme la justice, reste une simple administration. En cela, les décisions sont prises non par des logiciels sur le modèle des compagnies d’assurance, mais par des hommes et des femmes nécessairement influencés par le prisme de la personnalité et des sentiments singuliers que leur inspire le suspect ou le prévenu.

C’est la raison pour laquelle, dans le temps des 24 à 96 heures que durera la garde à vue, il n’est pas inhabituel que se crée un lien viscéralement personnel entre le gardé à vue et les enquêteurs chargés de l’auditionner. Dans ces conditions, le fait d’établir un respect mutuel ou de susciter l’empathie aura naturellement un impact sur les suites de la procédure, au travers d’une quantité d’éléments tels que l’orientation des questions posées, la retranscription des réponses, les avis magistrats effectués par téléphone, les libertés données à l’avocat, et même le fait de vouloir faire plaisir à l’avocat ou au gardé à vue pour conserver une forme de son estime...

A l’usage, on observe ainsi que la nature du lien créé, et sa conséquence en termes de contenu et de qualité des auditions, a souvent un effet insoupçonnable sur la première décision qui compte vraiment : celle que prend le magistrat du Parquet de permanence sur l’orientation de la procédure à l’issue de la garde à vue.

Or, si la frontière entre une comparution immédiate et une COPJ (convocation par officier de police judiciaire) est parfois ténue dans le sens où la décision peut se jouer à très peu de choses, il n’en est rien des conséquences de ces deux procédures pour le principal intéressé : la COPJ permet au prévenu de ressortir libre de garde à vue et ainsi de comparaître libre devant le juge quelques semaines plus tard, tandis que la comparution immédiate implique de comparaître détenu et d’imposer à son avocat une défense d’urgence, rarement efficiente.

Et quand on connaît l’importance de comparaître libre au correctionnel, on comprend toute l’importance d’éviter, si bien sûr le dossier le permet, la comparution immédiate.

A l’exact opposé de cette chaîne se trouve le juge pénal, qui dispose d’un temps en général relativement court pour étudier un dossier et en apprécier les différentes pièces préalablement au procès. Or, il est intéressant de constater, lorsqu’on est avocat et que l’on demande à lire le dossier de la procédure (et non sa copie) quelques jours avant une audience, à quel point l’attention des juges est concentrée sur les procès-verbaux d’audition de garde à vue.

Il suffit en effet d’observer de quelle manière ils aiment à surligner et annoter férocement les paragraphes d’audition les plus critiques, c’est à dire ceux où sont évoqués la matérialité des faits ou leur intentionnalité, pour comprendre de quelle manière sont appréhendés les dossiers et combien un gardé à vue peut avoir intérêt à préparer un minimum son audition.

En effet, il est rare que cette lecture n’apporte pas à la connaissance du juge les éléments dont il a besoin pour se faire une idée plus ou moins décisive de la réalité des faits. Et il est encore plus rare que cette lecture ne lui apporte pas des éléments essentiels sur la personnalité du prévenu.

De même, les avocats de la défense et le Procureur de la République s’appuieront systématiquement sur les déclarations faites en garde à vue pour fonder leurs plaidoiries et réquisitions, en particulier aux fins de contestation de la crédibilité de la version adverse.

Au final, les débats judiciaires se limiteront souvent à l’appréhension de la crédibilité des déclarations faites en garde à vue et devant le juge d’instruction (dans le cas d’une information judiciaire).

La garde à vue oblige ainsi le suspect à trouver à la fois un angle de défense rapide et un ton adapté aux attentes des enquêteurs qui l’entourent, ce à quoi son avocat doit bien évidemment l’aider dès le premier entretien.

La loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, en voulant renforcer les droits du gardé à vue, a ainsi massivement introduit les avocats dans les commissariats et gendarmeries, et ce faisant, a conduit à une évolution très intéressante de la procédure pénale, où l’avocat peut désormais apporter sa contribution tactique, stratégique et personnelle à l’instant où (presque) tout va se jouer.

David Bitboul Avocat à la Cour www.david-bitboul-avocat.com