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Le projet d’Acte Uniforme sur les transactions électroniques dans l’OHADA : avantages et mesures à prendre. Par Désiré Allechi, Juriste.
Parution : mercredi 6 novembre 2019
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Les Etats d’Afrique plus précisément ceux de l’OHADA ont décidé de s’engager dans la défense de leur souveraineté numérique par la mise en place d’un dispositif juridique régissant les transactions électroniques. même si nous ne sommes qu’à l’étape d’expression d’une velléité d’idée, convient-il d’ores et déjà de mener quelques réflexions sur cette initiative.

On a coutume de le dire et cela devient une vérité cartésienne, « l’union fait la force ». En clair, mettre ensemble les forces pour atteindre les objectifs rend le travail aisé pour tous. En effet, les Hommes ayant par nature la volonté de vivre ensemble, s’organisent pour faire face aux problèmes qu’ils rencontrent suivant des règles et principes directeurs qu’ils érigent et qui leur servent de guide. De cette organisation sociale nait le Droit qui pourrait être défini comme l’ensemble des règles régissant la vie en société. On pourrait donc être tenté d’évoquer cette maxime juridique pour corroborer nos propos : « Ubi societas ibi jus » laquelle signifie que là où il y a la société il y a le droit.

Ainsi, c’est cette volonté naturelle des individus à vivre ensemble qui les pousse à édicter des règles pour guider leur conduite. Cette manière de fonctionner se constate avec les Etats à travers les différentes organisations régionales telles que l’UE (l’Union Européenne), l’UA (l’Union Africaine) pour ne citer que ces organisations. En réalité, ces organisations internationales naissent de la nécessité pour les états de faire face ensemble et efficacement aux problèmes qu’ils rencontrent dans la mesure où les problèmes sont soit sensiblement les mêmes d’un état à un autre, soit lesdits problèmes ont été déjà rencontrés par certains qui les ont surmontés à un moment donné.
Au regard des avancées technologiques, les états d’Europe ont décidé de s’unir pour réfléchir ensemble sur les questions existentielles qui minent la société moderne dont la protection des données à caractère personnel à travers le texte « modèle » RGPD.

Nous l’avons à maintes reprises signifié, ce texte fruit d’une longue réflexion a pour but de renforcer la protection des personnes physiques auxquelles se rapportent les données c’est-à-dire la personne concernée par l’octroi de nouveaux droits et par la responsabilisation des acteurs que sont les responsables de traitement et les sous-traitants.

Ce texte, s’il est une réussite (d’un point de vue de son contenu et non de la mise en pratique) aujourd’hui au point où il est devenu la référence sinon le fondement à partir duquel certains états rédigent (la Californie avec le CCPA : California Consumer Privacy Act, la Loi ivoirienne) ou modifient leurs textes (la Loi informatique et Libertés de 1978 modifiée en juin 2018 ), c’est parce que les états d’Europe ont compris les dangers et les conséquences engendrés par un monde hyper connecté avec pour danger N°1 Internet et ses caractéristiques.

Les Etats d’Afrique étant au parfum des avancés législatives s’effectuant dans les autres continents, ont décidé de prendre le taureau par les cornes en prévoyant la rédaction de textes communautaires régissant le domaine assez particulier des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC).

Après avoir matérialisé la volonté de s’inscrire dans l’ère numérique en prévoyant dans l’AUDSC (Acte Uniforme portant Droit des Sociétés Commerciales) l’usage de la visioconférence (l’article 454-1 alinéa 1er de l’AUDSC/GIE) dans les assemblées générales des sociétés commerciales et dans l’AUDCG (Acte Uniforme portant Droit Commercial Général) l’équivalence fonctionnelle de la signature électronique (article 82), les états parties de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) nourrissent l’idée d’établir un Acte Uniforme relatif aux transactions électroniques. Ce texte projeté par les états parties de l’OHADA devra aborder plusieurs questions dont la responsabilité des fournisseurs de services en ligne, la sécurité des échanges électroniques, la protection du consommateur et des données à caractère personnel…

Quels sont donc les avantages et les mesures à prendre ?

Même si nous ne sommes qu’au départ de l’idée de rédaction dudit texte et donc à l’étape d’exposition d’une velléité de pensée et non de concrétisation, convient-il de réfléchir d’ores et déjà sur l’importance qu’aura l’impact de ce texte. Dans un premier temps, faut-il noter que la plupart des états d’Afrique ne disposent pas d’un corpus juridique pour faire face aux problèmes posés par le numérique. En effet, est-il important de mentionner la différence sinon la fracture numérique entre les états parties de l’OHADA. Cet état de fait (cette fracture numérique) conduit les états à envisager différemment la question de la protection de la souveraineté numérique. Ainsi, cette fracture numérique engendre des inégalités entre les états et met à mal l’atteinte commune des objectifs que se sont fixés les états dans le domaine des affaires, ce qui réduit naturellement et logiquement les chances de compétitivité de ces Etats dans un monde où les atouts recherchés sont la célérité et l’efficacité.

Un tel texte favoriserait donc la confiance des consommateurs en leur administration et l’expansion du commerce électronique facteur de réduction de la fracture numérique. En outre comme signifié ci-dessus, ledit texte comporterait des dispositions relatives à la protection des données personnelles.

A ce sujet, il faut noter qu’une telle initiative serait salutaire pour nos états dans la mesure où les états africains disposant de textes spécifiques à la protection des données personnelles existent en nombre très réduit bien que des initiatives aient été menées dans ce sens par le passé (La Convention de l’UA sur la cyber‐sécurité et la protection des données personnelles à laquelle très peu d’états ont adhéré).

Les états d’Afrique n’ont pas encore cerné véritablement l’importance des données à caractère personnel dans notre monde dématérialisé malgré les décisions rendues chaque jour par les Commissions de protection des données en Europe dont la CNIL pour usage frauduleux ou illégal des données personnelles. Avoir donc un texte prévoyant des dispositions à cet effet serait donc un premier pas qualitatif vers l’affirmation par les africains de leur souveraineté numérique dans la mesure où les données des citoyens ne seront plus hébergées hors de leur sphère territorial mais aussi de démonstration du respect et de l’intégration des principes internationaux attestant des garanties de protection suffisante desdites données.

Dans le même temps, c’est le lieu de prévenir le législateur OHADA quant à l’éventuel contenu de ce dispositif. En effet, longtemps avons-nous assisté à une réception, implémentation servile des textes étrangers en droit interne sans tenir compte des réalités africaines.

En clair, « nos élites » ont à plusieurs fois clonés les textes européens en droit interne sans effort ce qui a conduit à une existence théorique de textes juridiques inapplicables, lesquels sont abrogés par désuétude ou par leur inapplication. Il convient donc pour le législateur de s’inspirer des réussites législatives étrangères sans toutefois s’éloigner de nos réalités car au-delà de la mise en place d’un texte communautaire, ce texte servira de fondement aux Etats ne disposant pas de textes en interne.
En clair, il faudra prévoir un texte qui permette de façon générale aux états de l’OHADA de faire face aux problèmes communs dans un premier temps car ce texte servira de guide aux états pour améliorer ou résoudre les questions spécifiques auxquels ils font face au niveau national mais en outre à montrer l’efficacité des organisations régionales ou de la coopération internationale dans la protection de « l’espace numérique ». Nous pouvons donc dire que de cet effort du législateur naitrait un texte susceptible de faire face aux réalités sociales africaines ainsi qu’aux défis cybercrimels soulevés par le développement technologique dans le monde.

Désiré Allechi, Juriste Spécialiste du Droit des TIC