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Annulation de la marque vente-privee : suite de la saga judiciaire. Par Philippe Rodhain, CPI.
Parution : mardi 5 novembre 2019
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L’engouement pour les séries aux multiples rebondissements n’a pas l’apanage de la télévision. Le droit des marques connaît également de nombreuses sagas, comme en témoigne l’important contentieux opposant la société Vente-privee.com, leader dans le secteur des ventes événementielles sur Internet, à son challenger, la société Showroomprive.com.

Après avoir contesté la validité de la marque « vente-privee » (seule ou associée à un logo) et reproché, en vain, la reconnaissance de l’acquisition par l’usage de son statut de marque valable, la société Showroomprive.com revient, cette fois-ci, sur le terrain de l’enregistrement frauduleux.

A l’appui de cette nouvelle action, la société Showroomprive.com soutient que « la société Vente-privee.com, qui connaissait parfaitement l’usage des termes « vente privée » par ses concurrents, a déposé la marque litigieuse dans le but de les priver d’un signe nécessaire à leur activité ».

Or, il est de jurisprudence constante « qu’un dépôt de marque est entaché de fraude lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité » (Cass. Com., 25 avr. 2006, pourvoi n°04-15.641 – CA Paris, 23 févr. 2000, Ann. propr. Ind. 2000, p. 235).

Pour qualifier un comportement frauduleux, « l’intention du déposant au moment du dépôt des demandes d’enregistrement est un élément subjectif qui doit être déterminé par référence à l’ensemble des facteurs pertinents propres au cas d’espèce, lesquels peuvent être postérieurs au dépôt » (Cass. Com., 3 février 2015, n°13-18.025).

En l’espèce, le tribunal a considéré que « l’expression “vente privée” a toujours désigné les ventes événementielles, à un public d’invités, de déstockage des invendus des collections passées des grandes marques » et que la société Vente-privee.com « a adapté ce modèle à la vente en ligne et a, ce faisant, connu un succès sans équivalent […] ».

Le tribunal en a conclu que la société Vente-privee.com « ne saurait s’approprier des termes génériques qui doivent rester disponibles pour tous les acteurs économiques de ce secteur et n’a aucune légitimité à monopoliser à son seul profit les termes “vente-privée”, extrêmement proches de “vente privée”, à titre de marque et à priver ses concurrents de l’usage de ces mots, sauf à introduire une distorsion dans les règles de libre concurrence ».

Outre l’usage générique « vente privée » avec accent fait par la société Vente-privee.com, le tribunal a relevé et pris acte des déclarations faites par le dirigeant de la société Vente-privee.com affirmant que : « Si j’arrive à faire en sorte que le terme “vente privée” nous appartienne un jour, tant mieux. Je comprends qu’on puisse me le reprocher, mais c’est le jeu, chacun défend son territoire ».

Ces éléments factuels semblent avoir eu une résonance toute particulière auprès du tribunal, qui est revenu sur une décision précédente de la cour d’appel de Paris ayant considéré que la marque « vente-privee.com » n’interdisait pas « aux concurrents de la société appelante d’utiliser l’expression ’vente privée’ dans son sens courant » (CA Paris, pôle 5, 1ère ch. 31 mars 2015, n°13/23127).

Ce jugement étant susceptible d’appel, la suite de cette saga judiciaire promet d’être encore riche d’enseignements et de rebondissements peut-être...

Source : TGI de Paris, 3ème ch. 1ère section, jugement du 3 octobre 2019

Philippe Rodhain Chargé d’enseignement Bordeaux IV Master II Droit de la Vigne et du Vin Master II Intelligence Economique _ Conseil en Propriété Industrielle _ www.ipsphere.fr