Village de la Justice www.village-justice.com

[Focus] Loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice dans le contentieux civil. Par Sonia Cherifi, Juriste.
Parution : jeudi 7 novembre 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/loi-programmation-2018-2022-reforme-justice-dans-contentieux-civil,32891.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La loi n°2019-2022 du 23/03/19 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice publiée le 24 mars 2019 au journal officiel réforme en profondeur la procédure civile ainsi que le droit de la famille.
Cette loi qui se veut ambitieuse appelle à la mise en œuvre de nouvelles pratiques. L’objectif étant de simplifier et clarifier la procédure autant pour les praticiens du droit que pour les justiciables.
Quelles sont les modifications apportées par cette loi de programmation ?

Certaines des mesures phares adoptées par cette loi ont été d’application immédiate, car entrées en vigueur le 25 mars 2019, alors que d’autres dispositions ne le seront au plus tard qu’en 2020 entraînant par voie de conséquence la modification du paysage juridique.

1- Dispositions entrées en vigueur le 25/03/19.

A- Séparation de corps par consentement mutuel : une logique de rationalisation de la justice.

L’article 296 du Code civil modifié par l’article 24 de la loi de programmation, réforme la séparation de corps, en offrant la possibilité aux personnes mariées d’opter pour une séparation par consentement mutuel.
Calquée sur le même principe que le divorce par consentement mutuel. Cet article permet aux époux de se saisir de ce mode de rupture dés lors qu’aucun des enfants communs et mineurs ne fassent part de leur souhait d’être entendus par le juge aux affaires familiales, ou que l’un des époux ne fasse l’objet d’une mesure de protection.
Cette réforme répond à une logique conforme aux objectifs de simplification voulus par le législateur en particulier pour ceux qui souhaiteraient détendre les liens du mariage sans pour autant les rompre et met fin à une incohérence juridique qui jusque-là subsistait.

B- Signature électronique pour le divorce par consentement mutuel et la séparation de corps par consentement mutuel : un allégement attendu mais encadré.

La mise en place d’une signature électronique pour ces modes de rupture participe à cette volonté de simplification des procédures civiles.
Prévue à l’article 1175 du Code civil modifié par l’article 25 de la loi de programmation et confirmé par l’article 7.2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat. Cette signature ne peut avoir lieu que si les parties sont accompagnées de leur avocat au moment de conclure.

C- Le renforcement nécessaire des décisions rendues par le JAF pour le maintien de la garantie des droits.

Les pouvoirs du JAF sont étendus et renforcés par les articles 373-2 à 373-2-10 du Code civil.
Le but étant de renforcer l’effectivité des décisions rendues en la matière en effet, ces nouveaux pouvoirs permettent au juge d’offrir des moyens d’action à un parent rencontrant des difficultés à faire exécuter une décision de justice.

Dans ce large panel, le juge peut à tout moment de la procédure inviter ou enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur familial, quand bien même un jugement définitif aurait été rendu. Cette possibilité prévue à l’article 373-2-10 du Code civil modifié par l’article 31 de la loi de programmation a pour objectif d’offrir un espace de discussion pour apaiser le conflit.
Cette médiation post-sentencielle qui représente une nouveauté n’est pas utile d’une part parce que les parties ne seront pas re-convoquées devant le juge mais aussi parce que le parent le moins diligent n’aura aucun intérêt à revenir sur une décision rendue en sa faveur.

Selon l’article 373-2-6 al 4 et 5 modifié par l’article 31 de la loi de programmation, le juge aux affaires familiales peut prononcer une astreinte d’office ou à la demande d’un parent et/ ou une amende civile.

« Il peut, même d’office, ordonner une astreinte pour assurer l’exécution de sa décision. Si les circonstances en font apparaître la nécessité, il peut assortir d’une astreinte la décision rendue par un autre juge ainsi que l’accord parental constaté dans la convention de divorce par consentement mutuel. Les dispositions des articles L. 131-2 à L. 131-4 du Code des procédures civiles d’exécution sont applicables.

Il peut également, lorsqu’un parent fait délibérément obstacle de façon grave ou renouvelée à l’exécution d’une décision, d’une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire ou d’une convention homologuée fixant les modalités d’exercice de l’autorité parentale, le condamner au paiement d’une amende civile d’un montant qui ne peut excéder 10.000 €. »

Le juge peut enfin à titre exceptionnel requérir le concours de la force publique. Sa mise en œuvre n’interviendra qu’après épuisement de toutes les autres voies de recours et ne concernera que les cas de droit de visite et d’hébergement ou du maintien des relation parents/enfants. Cette possibilité est prévue par l’article 373-2 al 3 qui dispose qu’ « à titre exceptionnel, à la demande de la personne directement intéressée ou du juge aux affaires familiales, le procureur de la République peut requérir le concours de la force publique pour faire exécuter une décision du juge aux affaires familiales, une convention de divorce par consentement mutuel prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire ou une convention homologuée fixant les modalités d’exercice de l’autorité parentale ».

D- Le sort du domicile conjugal pour les couples en situation de concubinage : vers une harmonisation des régimes.

Selon l’article 373-9-1 du Code civil modifié par l’article 23 de la loi de programmation, s’il est saisit d’une requête relative aux modalités d’exercice de l’autorité parentale, le juge peut statuer provisoirement sur la jouissance du logement familial en cas de séparation de parents en situation de concubinage.

Sous réserve qu’il y ait des enfants mineurs communs présents au domicile et si les parents vivent encore sous le même toit au moment de la demande, le juge peut provisoirement attribuer la jouissance du domicile conjugal à l’un des deux parents Peu important que l’un des deux parents en soit le propriétaire, l’attribution provisoire se fera sans tenir compte du titre de propriété.

Selon l’article 373-2-9-1 al 2 la durée d’attribution n’excédera pas 6 mois sauf s’il s’agit d’un bien indivis faisant l’objet d’une demande en liquidation partage auprès du juge, ce qui prolongera de facto la durée d’attribution.

Le régime de protection offerte aux concubins tend fortement à se rapprocher de celui des couples mariés ou pacsés.

2- Dispositions attendues pour 2020.

A- Une voie d’entrée unique : le tribunal judiciaire.

Dans un souci de simplification des modes de saisine, la loi de programmation prévoit pour le 1er janvier 2020 la création d’une porte d’entrée unique pour le justiciable.
La loi prévoit de regrouper le TI et le TGI lorsqu’ils seront situés dans une même ville. Cette fusion sera le fruit de ce qui deviendra le tribunal judiciaire.
Il aura pour compétence de traiter les litiges relevant du TI et du TGI.

Si le TI et le TGI ne sont pas situés sur la même commune, la loi prévoit que le TGI deviendra le tribunal judiciaire et le TI un tribunal de proximité (article 212-8 du COJ). Le TI gardant les mêmes compétences.

Trois décrets modifiant le Code de l’organisation judiciaire et pris en application des articles 95 et 103 de la loi de programmation, publiés le 1 er septembre 2019 au JORF apportent des précisions en la matière (décret n°2019-912, n°2019-913, n°2019-914 du 30 août 2019).

B- Une réforme du divorce décevante.

Cette réforme entrera en vigueur en même temps que le décret d’application qui apportera plus de précision.
Pour l’heure cette réforme est décevante. Peu de changements sont prévus par les textes.

Il y aura un acte unique d’instance supprimant ainsi la requête en divorce et l’assignation.
L’indication du fondement de la demande en divorce sera possible en cas de divorce pour altération définitive du lien conjugal, ou pour acception du principe de la rupture.
Le contenu de la demande introductive d’instance ne sera pas possible en cas de divorce pour faute, ou par la volonté du demandeur de ne pas le faire connaître. Dans ce cas le fondement de la demande sera exposé dans les premières conclusions au fond.

La phase de conciliation sera supprimée. Le but étant de réduire de moitié les délais de procédure, mais une audience pour fixer les mesures provisoires sera maintenue (article 254 du Code civil), sauf si les parties en conviennent autrement.
Cette audience sera écrite et consistera en une audience de mise en état.
L’entretien individuel entre le juge et les époux sera supprimé. Ce qui déshumanise la procédure de divorce.

Le grand changement concerne le divorce pour altération définitive du lien conjugal qui verra son délai réduit de moitié. Il faudra compter un an de séparation effective au jour de la demande en divorce et non plus 2 ans comme c’était le cas pour pouvoir divorcer par ce biais là. Sauf si l’acte introductif d’instance ne mentionne pas les fondements d’une telle demande, car il faudra cette fois compter 1 an de séparation au moment du prononcé du divorce. Enfin si ce divorce est demandé en même temps qu’une autre demande (ex divorce pour faute ) le délai d’un an n’aura pas à être respecté.

La volonté du législateur étant de favoriser les modes de règlement amiable, et c’est donc sans surprise que le juge aux affaires familiales pourra enjoindre les parties à rencontrer un médiateur à tout moment de la procédure. Même pour un divorce aussi rapide et brutal que constituera le divorce pour altération définitive du lien conjugal.

C- La création inattendue d’une juridiction nationale pour les procédures d’injonction de payer.

Pour traiter de manière efficace ce contentieux, la loi de programmation prévoit la création d’une juridiction nationale qui assurera un traitement uniforme et centralisé des demandes en injonction de payer.
La procédure sera dématérialisée et écrite (article L211-18 du COJ).
En cas d’accords entre les parties pour les litiges de moins de 5.000 euros il n’y aura pas d’audience. Celle-ci pourra avoir lieu sur désaccord de l’une des parties mais aussi en cas de contestation de décision. Une audience se tiendra alors dans le tribunal du domicile du défendeur.

Le législateur a souhaité s’inscrire dans une démarche de déjudiciarisation et de transformation numérique. Mettant l’accent d’une part sur les modes alternatifs de règlement des différends, mais aussi en dématérialisant et numérisant certaines pratiques.
Cette réforme annoncée en grande pompe n’en demeure pas moins prosaïque sur bien des aspects.

Sonia Cherifi Juriste