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Prime d’ancienneté et pigiste. Par Thomas Bernard, Avocat.
Parution : mardi 12 novembre 2019
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Avant le protocole d’étape du 7 novembre 2008, le calcul de la prime d’ancienneté due au pigiste en application de l’article 23 de la convention collective nationale des journalistes a généré un contentieux important. Les juges du fond sont encore saisis de cette problématique.

L’article 23 de la convention collective nationale des journalistes intitulé « Prime d’ancienneté » dispose :

« Les barèmes minima des traitements se trouvent majorés d’une prime d’ancienneté calculée de la façon suivante :

Ancienneté dans la profession en qualité de journaliste professionnel :
- 3 % pour cinq années d’exercice ;
- 6 % pour dix années d’exercice ;
- 9 % pour quinze années d’exercice ;
- 11 % pour vingt années d’exercice.

Ancienneté dans l’entreprise en qualité de journaliste professionnel :
- 2 % pour cinq années de présence ;
- 4 % pour dix années de présence ;
- 6 % pour quinze années de présence ;
- 9 % pour vingt années de présence.

Sera considéré comme temps de présence dans l’entreprise, pour le calcul de l’ancienneté, le temps passé dans les différents établissements de l’entreprise ».

L’article 24 de la convention collective nationale des journalistes intitulé « Définition de l’ancienneté » dispose :

« Pour l’application des dispositions de l’article ci-dessus, on entend par présence pour le calcul de l’ancienneté du journaliste professionnel :

a) Dans la profession : le temps pendant lequel il a exercé effectivement son métier ;

b) Dans l’entreprise : le temps pendant lequel il est employé comme tel dans l’entreprise, quelles que puissent être les modifications survenant dans la nature juridique de celle-ci.

Lorsqu’un journaliste remplaçant est titularisé sans qu’il y ait eu interruption de service, son ancienneté dans l’entreprise prend effet à la date de son remplacement … »

La convention collective nationale des journalistes octroie un certain nombre de privilèges liés à l’ancienneté en opérant une distinction suivant l’ancienneté dans la profession et l’ancienneté dans l’entreprise de presse.

Le montant de la prime d’ancienneté est calculé non en fonction du salaire réel du journaliste mais sur la base de la rémunération minimale applicable à la catégorie professionnelle à laquelle il appartient.

La question du bénéfice de la prime d’ancienneté aux pigistes s’est très rapidement posée.

La jurisprudence s’est heurtée à une difficulté importante dans la mesure où il n’existait pas, initialement, pour les pigistes de barème de rémunérations conventionnelles minimales. Il était donc impossible de calculer la prime d’ancienneté dans la mesure où l’assiette de calcul à retenir prévue par les textes n’existait pas.

Compte tenu des difficultés rencontrées, les partenaires sociaux ont régularisé le 7 novembre 2008 un protocole d’étape concernant les journalistes professionnels rémunérés à la pige afin d’éclaircir notamment les modalités de calcul de la prime d’ancienneté. Ce protocole a été étendu par arrêté en date du 11 octobre 2010.
Les partenaires sociaux ont décidé de calculer la prime d’ancienneté due aux pigistes sur une base mensuelle et à partir d’un coefficient de référence appliqué au barème minima du rédacteur mensuel plein temps.

Avant la signature du protocole d’étape du 7 novembre 2008, la Cour de cassation a dû déterminer les modalités de calcul de la prime d’ancienneté due à un pigiste. La haute juridiction de l’ordre judiciaire s’est montrée hésitante.

Par un arrêt du 30 avril 2003 (n°02-41.957), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la prime d’ancienneté devait être calculée pour le pigiste par référence au SMIC : « L’absence d’annexe fixant les rémunérations minimales des pigistes, la prime d’ancienneté devait être calculée non en fonction du montant des salaires perçus par ceux-ci mais par référence au SMIC ».

Puis dans un arrêt du 11 juillet 2006 (n°04-45.419), la Cour de cassation, chambre sociale, est revenu sur sa position en décidant qu’en « l’absence de barème minimum, la cour d’appel a pu décider que la prime d’ancienneté pouvait être calculée sur le salaire réel ».

Puis dans deux arrêts du 16 septembre 2009 (n°07-44.254 et 07-44.275), la chambre sociale de la Cour de cassation a repris les termes de l’arrêt du 30 avril 2003 :
« qu’en l’absence d’annexe à la convention collective nationale des journalistes fixant les rémunérations minimales des pigistes, la prime d’ancienneté doit être calculée, non en fonction du montant des salaires perçus par ceux-ci, mais en référence au SMIC, lequel est applicable à cette catégorie de salarié qui doivent être rémunérés au taux du salaire minimum de croissance pour le nombre d’heures qu’ils ont effectué, ou qu’ils ont consacré à la réalisation de chaque pige ».

Ceci étant, les juges du fond ont résisté à cette position notamment la Cour d’appel de PARIS qui dans un arrêt du 12 mars 2010 (n°07/05930) a retenu le salaire réel pour calculer la prime d’ancienneté en ces termes :

« qu’en l’absence de barèmes minima conventionnels pour les pigistes, il convient dans le respect du principe d’égalité de traitement entre les journalistes permanents et les journalistes pigistes, de retenir le salaire réel de X pour le calcul des primes d’ancienneté ».

La Cour de cassation a donc été régulièrement saisie. Dans des arrêts de cassation rendus les 25 mai 2011 (n°09-71835), 26 septembre 2012 (n°11-13835) et 29 octobre 2014 (n°13-15754), la haute juridiction de l’ordre judiciaire a rappelé que la référence au SMIC se justifie par le fait que le pigiste doit être rémunéré au SMIC pour le nombre d’heures qu’il a effectué ou qu’il a consacré à la réalisation de chaque pige. La Cour de cassation sanctionne systématiquement les juges du fond qui calculent la prime d’ancienneté sur le salaire réel.

Il en résulte que les Juges du fond doivent analyser les pièces versées au débat par les parties pour évaluer le nombre d’heures consacrées à la rédaction des piges permettant le calcul de la prime d’ancienneté due au pigiste (pour la période antérieure à la signature du protocole d’étape du 7 novembre 2008).

Dans un arrêt du 27 avril 2017 (n°14/03926), la Cour d’appel de Paris a calculé la prime d’ancienneté en fonction du nombre d’heures réellement consacré à la réalisation de la pige. Les juges du fond se sont basés sur un SMIC à temps partiel (50%) :

« Madame C. est fondée en sa demande de rappel de prime d’ancienneté, au regard de son ancienneté et du temps consacré à la réalisation de chaque pige, et il lui sera alloué un rappel de prime d’ancienneté d’un montant de 815,54 Euros … »

Dans un arrêt du 7 novembre 2019, la Cour d’appel de Paris n’a pas accordé de prime d’ancienneté pour les mois pour lesquels le pigiste n’avait pas réalisé de pige et a calculé ladite prime sur la base d’un SMIC à temps partiel (45%) :

« Dès lors, et comme le soutient l’employeur, seuls les mois durant lesquels des piges ont été rémunérées – soit un mois sur deux – peuvent donner lieu à paiement d’une prime d’ancienneté ».

Désormais, le protocole d’étape du 7 novembre 2008 relatif aux journalistes professionnels rémunérés à la pige prévoit :

« Compte tenu de l’impossibilité de justifier un temps de présence (au sens des art. 23 et 24 de la convention collective), notamment dans un contexte de collaborations du pigiste à plusieurs entreprises, et pour simplifier les calculs, il est admis de façon dérogatoire de prendre en considération la durée de détention effective de la carte professionnelle afin de déterminer une notion globale d’ancienneté, sans que ceci ne remette en cause la présomption simple de salariat.

Le pourcentage d’ancienneté est assis, à défaut, de barèmes de piges spécifiques existant dans la forme de presse considérée, sur une base déterminée par le « coefficient de référence » ou la valeur « y » (tel que défini au I ci-dessus) appliqué aux minima du barème rédacteur mensuel temps plein.

Exemples de calcul de prime d’ancienneté :

Calcul prime d’ancienneté en l’absence de barème de piges :

Pour un montant mensuel de piges de 920 € :
- barème rédacteur : 1.300 ;
- coefficient de référence : 0,71 (soit 920/1 300) ;
- base prime d’ancienneté : 920 (coef. × barème).

Pour un montant mensuel de piges de 2.000 € :
- barème rédacteur : 1300 ;
- coefficient de référence : 1 (application du plafond) ;
- base prime d’ancienneté : 1.300 (coef. × barème).

Calcul prime d’ancienneté avec un barème de piges à 50 € le feuillet :
- 25 feuillets dans le mois pour un montant total de 2.000 € ;
- base prime d’ancienneté : 1.250 € (prix feuillet barème × nombre de feuillets).

Les barèmes minima, lorsqu’ils existent, ou, à défaut, la base, telle que déterminée ci-dessus, seront majorés du paiement de la prime d’ancienneté aux taux suivants :
- 5 % pour 5 années de détention effective de la carte de presse ;
- 10 % pour 10 années de détention effective de la carte de presse ;
- 15 % pour 15 années de détention effective de la carte de presse ;
- 20 % pour 20 années de détention effective de la carte de presse.

Les journalistes rémunérés à la pige travaillant majoritairement pour plusieurs entreprises, il est convenu que les taux d’ancienneté seront calculés en fonction de la durée de détention de la carte d’identité professionnelle.

La prime d’ancienneté doit apparaître de façon distincte sur le bulletin de pige.
Des accords d’entreprise peuvent maintenir ou prévoir des modalités différentes dès lors que la rémunération globale versée est au moins égale à ce qui résulterait de l’application du dispositif prévu ci-dessus.

Il appartient au pigiste d’apporter tout élément justificatif de son attribution de carte de presse ».

Thomas BERNARD [->https://www.tilsitt-avocats.fr]