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Existe-t-il un droit des startups, spécifiquement applicable à elles seules ? Par Jérôme Giusti, Avocat.
Parution : mardi 12 novembre 2019
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Autrement dit, les startups ont-elles droit à des exonérations juridiques par rapport au droit commun applicable aux autres entreprises ? C’est, semble-t-il, par l’affirmative qu’il convient aujourd’hui de répondre à cette question, à la lecture de la directive du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique.

Petit retour en arrière...

La directive n° 2000/31 du 8 juin 2000 dite « sur le commerce électronique » façonne depuis 19 ans le statut des hébergeurs de contenus sur internet, rappelé dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, en son article 6.

Destinée à ne pas freiner, à l’époque, le développement d’internet et le commerce électronique, cette directive a institué au profit des hébergeurs un régime de responsabilité par défaut et a posteriori, lequel peut se résumer de la façon suivante : un hébergeur n’est pas responsable a priori du contenu qu’il stocke pour des tiers, sauf s’il a eu connaissance de l’illicéité manifeste de ce contenu, notamment lorsqu’il en a été préalablement alerté par un plaignant et que cet hébergeur n’a pas supprimé ce contenu promptement, après la plainte.

Pensé pour s’appliquer aux hébergeurs « techniques » qui hébergeaient en 2000 des données en masse sur leurs serveurs, sans en connaître la teneur, ce régime de quasi-irresponsabilité de fait a profité, au fur et à mesure de l’établissement de la jurisprudence française et communautaire, façonnée au cours d’une dizaine d’années, aux services de partage de contenus en ligne de l’ère numérique dite du 2.0, tels que Dailymotion, Youtube ou Google, dès lors qualifiés par principe également d’hébergeurs.

C’est ce régime que la directive du 17 avril 2019 a voulu revoir, en son article 17. Mais comme son objet ne s’applique qu’au droit d’auteur et aux droits voisins, la réforme de ce régime ne s’applique donc qu’à la diffusion de contenus protégés par l’un de ses droits, à l’exclusion de tous les autres.

Ce qui dit la directive du 17 avril de 2019 sur la responsabilité des services de partage de contenus en ligne, protégés par le droit d’auteur ou les droits voisins…

De façon toutefois assez peu claire, les services de partage de contenus en ligne voient aujourd’hui leur responsabilité renforcée par plusieurs types d’obligation qui les font sortir du régime des hébergeurs, précité.

Il s’agit bien, à notre sens, de revoir la responsabilité des grandes plateformes de services en ligne, celles notamment qui recueillent massivement des contenus « téléversés » par des tiers, pour reprendre la sémantique de la directive, autrement appelés des UGC « user generated contents ».

L’article 17 de la directive prévoit que :

- Ces opérateurs doivent obtenir préalablement un accord avec les auteurs des contenus en question, ou de leurs ayants droit… ce qui l’affirmation pure et simple du monopole des auteurs et autres bénéficiaires de droits voisins, cette autorisation couvrant aussi le « téléversement » de contenus protégés par les utilisateurs sur les plateformes de partage ;

- Toutefois, une absence d’accord n’est pas rédhibitoire puisque les services de partage de services en ligne pourraient ne pas voir engager leur responsabilité s’ils démontrent :

o Qu’ils ont fait leurs meilleurs efforts pour obtenir cette autorisation mais ne l’ont donc pas obtenu (sic) … ce qui est quelque peu contradictoire avec le respect de la première obligation et quelque peu hétérodoxe au regard des règles impératives du consentements impératifs des auteurs et titulaires des droits voisins ;
o Qu’ils ont fait leurs meilleurs efforts pour garantir l’indisponibilité des œuvres sur leur plateforme pour lesquels les titulaires des droits leur ont fourni toutes informations pertinentes et nécessaires ;
o Qu’en tout état de cause, qu’ils ont agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires des droits pour bloquer l’accès aux œuvres et fait leurs meilleurs efforts qu’ils soient téléversés dans le futur, ce qui revient au mécanisme de la directive de 2000 et de la LCEN de 2004, quant au régime des hébergeurs.

Comprenne qui pourra… la directive prenant le soin de préciser qu’il s’agit d’un « mécanisme de responsabilité spécifique » ... que je considère, pour ma part, jusqu’à présent inconnu.

Nous ne sommes donc malheureusement pas certains que cette directive soit très aidante dans l’affirmation d’un nouveau statut des plateformes de partage de contenus en ligne ou de la protection des titulaires de droits.

Il y a fort à parier que nous nous retrouverons rapidement devant les tribunaux pour tenter de donner force exécutoire à ce nouveau régime ou, au contraire, selon de quel côté de la barre nous nous retrouverons, chercher à le limiter voire l’empêcher. Nous parions de nouveau sur une bonne dizaine d’années pour qu’une jurisprudence définitive soit établie à ce sujet.

Un régime de faveur pour les startups…

Pour ajouter à la confusion, cette responsabilité dite accrue des services de partage de contenus en ligne ne s’applique pas aux « nouveaux fournisseurs de services de partage de contenus en ligne dont les services ont été mis à la disposition du public dans l’Union depuis moins de trois ans et qui ont un chiffre d’affaires annuel inférieur à 10 millions d’euros … »

Ces nouveaux fournisseurs, s’ils doivent toujours chercher à privilégier un accord avec les titulaires de droits, n’ont pas démontré à avoir fait leurs meilleurs efforts pour assurer l’indisponibilité des contenus sur leur plateforme. Ils doivent encore agir promptement pour supprimer mais n’ont pas à faire leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils ne réapparaissent.

Une gradation est toutefois prévue pour les nouvelles plateformes dont le nombre moyen de visiteurs uniques par mois dépasse les 5 millions, calculé sur la base de l’année civile précédente. Ces dernières sont alors tenues de démontrer qu’elles ont fourni leurs meilleurs efforts pour éviter d’autres téléversements des œuvres faisant l’objet de la notification pour lesquels les titulaires de droits ont fourni les informations pertinentes et nécessaires.

La directive chercherait-elle ainsi à privilégier les « nouveaux entrants sur le marché » et leur essor, comme l’on cherchait il y a 19 ans à protéger les nouvelles entreprises de l’internet ?

Il faut le croire puisque le considérant 67 du préambule de la directive indique clairement que ce régime de faveur cesse de « s’appliquer trois ans après la première mise à disposition de ces services en ligne dans l’Union ».

Voici les startups exonérées momentanément de la rigueur de la propriété intellectuelle, du moins pour celles qui ont choisi comme modèle d’affaire de partager des contenus en ligne.

La loi leur reconnait ainsi une « zone franche » juridique, ce que d’autres appelleraient aussi des « oasis juridiques », permettant de relâcher la contrainte juridique le temps de l’expérimentation entrepreneuriale.

A notre connaissance, cela est nouveau et marque un précédent.

Est-ce le signe de ce qu’il pourrait exister, dans notre droit, des exonérations juridiques pour la jeune entreprise innovante, comme il existe, pour elle, un régime fiscal plus favorable ?

Pour l’instant, cette exonération n’intéresse qu’une partie bien spécifique de notre droit et un secteur très spécifique : le partage de contenus sur internet.

Voilà toutefois bien une idée nouvelle et « disruptive » pour employer le vocabulaire des startups…

La « startup law » viendrait-elle de naître sous nos yeux ébahis de juristes ?

Jérôme Giusti, Associé fondateur de Metalaw Spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et en droit des nouvelles technologies, de l'informatique et de la communication