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La responsabilité du vétérinaire lors de la visite d’achat du cheval, conditions et évaluation du préjudice. Par Blanche de Granvilliers-Lipskind, Avocat.
Parution : mercredi 13 novembre 2019
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L’expertise de transaction, appelée communément visite d’achat d’un cheval représente désormais la cause plus fréquente d’action en responsabilité à l’encontre des vétérinaires Équins. Le praticien est en effet quasi systématiquement appelé au stade de l’expertise judiciaire, préalable à une éventuelle assignation au fond pour annuler la vente du cheval. Parfois l’assignation est dirigée seulement contre le vétérinaire comme dans l’espèce commentée. A quelle conditions la responsabilité du vétérinaire peut être engagée, comment établir le lien de causalité et quel préjudice peut être réclamés ? Tels sont les points que nous vous proposons d’aborder.

Commentaire CA de Versailles 18 Juin 2019 N°RG : 18/00290

Les faits

Un professionnel a souhaité acquérir, auprès d’un haras, un poulain de 3 ans non débourré au prix de 9.000€. Il a confié à un vétérinaire, le soin de l’examiner préalablement à la vente. Le vétérinaire a indiqué oralement que le poulain ne présentait aucune contre-indication à la pratique sportive envisagée (CSO), et a émis une note d’honoraires de 523 € qui a été réglée. Le poulain a été acheté et entraîné par le professionnel pendant plus de deux ans, avant d’être présenté à la vente à des acheteurs américains à qui le poulain a été proposé au prix de 80.000€. L’acquéreur potentiel a réalisé une visite vétérinaire et a renoncé à l’achat du cheval au vu notamment des lésions visibles sur les radios. Le professionnel s’est alors rendu compte que le vétérinaire, qui avait réalisé la visite d’achat deux ans auparavant ne lui avait jamais communiqué le compte rendu écrit de sa visite. C’est dans ces conditions que le professionnel a introduit une procédure contre le seul vétérinaire aux fins de solliciter une indemnisation.

La procédure

La vente datant de plus de deux ans, le professionnel n’a pas mis en cause le vendeur. Cette absence de mise en cause peut s’expliquer d’une part au regard de la faiblesse du prix d’achat (9.000€ le poulain n’ayant que 3 ans) qui pouvait rendre incertaine l’application de la garantie des vices cachés (Cf. mon article : Vente de chevaux : preuve et garantie) et d’autre part, par le souhait de l’acheteur de maintenir des relations commerciales avec son vendeur, s’agissant de deux professionnels.
Le professionnel avait pris la précaution de faire désigner un Expert judiciaire, lequel au cours de sa mission avait reconnu la faute du vétérinaire.
Toutefois le Tribunal saisi après dépôt du rapport d’expertise a rejeté l’action du professionnel en considérant que la preuve du lien de causalité entre la faute du vétérinaire (absence d’envoi des radiographies et du compte rendu) et le préjudice (l’échec de la revente du cheval) n’était pas démontré. La Cour d’appel infirme la décision du Tribunal en retenant qu’il y a bien un préjudice mais un préjudice différent de celui invoqué par l’acheteur.

Sur l’argumentation des deux parties.

Le professionnel ayant acheté le poulain reprochait au vétérinaire d’avoir donné un avis favorable à l’achat du jeune cheval, alors qu’il n’avait jamais été destinataire des radiographies ni du compte rendu écrit de la visite qui pourtant avaient été facturés par le vétérinaire.
La revente du cheval deux ans après, au prix élevé cette fois de 80.000€, avait échoué du fait de l’existence de lésions dont l’expert judiciaire avait retenu que certaines étaient présentes lors de la visite d’achat réalisée en avril 2013 telles que :
- fragments osseux Intra articulaire,
- lésions ostéoarticulaires,
- Anomalie notoire affectant les dents du cheval.

Le vétérinaire de son côté, a cherché à démontrer qu’il avait bien rédigé un compte rendu et à titre subsidiaire contestait le lien de causalité entre sa faute et l’échec de la revente du cheval, argument qui a été entendu par le Tribunal.

Cet arrêt est l’occasion de revenir sur les conditions de mise en cause de la responsabilité du vétérinaire, soit l’existence de la faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.

I. Sur la faute du vétérinaire concernant l’absence de compte rendu.

Au visa de l’article R 242 –38 du code de déontologie vétérinaire codifiée dans le Code rural l’arrêt rappelle que « le vétérinaire apporte le plus grand soin à la rédaction des certificats ou autres documents qui lui sont demandés ». Si comme l’a rappelé la Cour d’appel d’Angers le vétérinaire est tenu d’une obligation de moyens quant à la réalisation de son examen de visite d’achat il est tenu :
- d’une part d’effectuer sa mission « de manière consciencieuse et de décrire de manière complète les éventuelles lésions ou affection atteignant l’animal »,
- d’autre part « d’informer l’acquéreur des conséquences susceptibles de découler de ses lésions » (CA Angers 13 mars 2018 RG N° 16/00452).

Or l’obligation d’information qui repose sur le vétérinaire est une obligation de résultat.

La Cour d’appel de Versailles rappelle que le vétérinaire est tenu de « délivrer une information complète claire… la rédaction d’un compte rendu faisant incontestablement partie des bonnes pratiques professionnelles ».

La cour rappelle également une jurisprudence classique depuis 1997, (Cass Civ I 25 février 1997 bulletin 1997 I n°75 page 49) aux termes de laquelle la charge de la preuve que le vétérinaire a bien informé le propriétaire du cheval repose sur le vétérinaire, corollaire de l’obligation de résultat à laquelle le vétérinaire est tenu.

Au cours de l’expertise judiciaire, le vétérinaire en cause avait visiblement cherché à cacher l’absence de compte rendu réalisé à l’époque, en produisant un compte rendu qui paraissait antidaté au mois d’avril 2013. Ce document n’avait pas réussi à convaincre les juges dès lors que le vétérinaire avait antérieurement admis ne pas avoir retrouvé le compte rendu, tandis que le document produit tardivement portait un tampon de la SELARL mentionnant un siège social qui était celui de 2015.
Le vétérinaire était donc dans l’incapacité de démontrer avoir adressé ce compte rendu à l’issue de ses examens et sa tentative pour cacher sa faute ayant échouée.

Autre point important, la Cour rappelle que la qualité de l’acheteur, en l’espèce un professionnel de la vente, ne décharge pas le vétérinaire de son obligation d’information et de conseil. Bien que l’acheteur professionnel soit présumé connaître le vice, le défaut non signalé par le vétérinaire sera considéré comme indécelable pour le professionnel qui n’est pas averti de l’ensemble des pathologies du cheval. Le vétérinaire pourra néanmoins démontrer d’une part que l’acheteur professionnel apprécie mieux les conséquences des lésions sur la locomotion du cheval et d’autre part (comme ce fut le cas en l’espèce) démontrer que dans un passé précédent, l’acheteur professionnel a déjà acquis des chevaux avec des lésions.

Si la faute du vétérinaire paraissait difficilement contestable, au vu de la manœuvre du praticien concernant l’existence du compte rendu, seul le préjudice en lien de causalité avec cette faute peut être admis.

II. Sur le lien de causalité.

L’acheteur sollicitait à titre principal que le vétérinaire l’indemnise à la suite de la vente avortée du cheval à un prix 8 fois supérieur au prix d’achat. Or il est exact que le vétérinaire n’est nullement responsable de l’existence de la lésion et donc de l’échec de la revente du fait d’une lésion préexistante à la vente. La Cour approuve donc le raisonnement du Tribunal qui a retenu l’absence de lien de causalité entre la faute et la vente avortée, étant précisé que la vente au prix de 80.000€ n’en était qu’au stade des pourparlers.

La Cour indique que c’est à juste titre que le vétérinaire soutient que la faute qu’il a commise s’apprécie en perte de chance pour le professionnel de renoncer à l’achat du cheval lorsqu’il l’a acquis à l’âge de 3 ans.
Ainsi la cour d’appel de Nîmes le 29 mars 2011 a rappelé explicitement que « cette faute du vétérinaire n’est pas la cause du dommage : elle a seulement fait perdre à Monsieur X la chance de ne pas contracter ou de contracter à des conditions plus avantageuses » (CA Nîmes 29 mars 201 n°19 08/02115).

L’acheteur ne peut pas demander une indemnisation intégrale de son préjudice au vétérinaire. Il arrive également que l’acheteur échoue totalement à démontrer le lien de causalité avec une perte de chance.
La cour de cassation (Cour Cass Ch. Civ 2, 29 juin 2017 n°16-19429) a débouté un acheteur à l’encontre du vétérinaire au motif que l’anomalie (un nodule) non relevé dans le compte rendu, était une lésion fréquente et bénigne, tandis que le cheval boitait certes, mais d’une autre lésion dont l’antériorité à la vente n’était pas démontrée.

La Cour admet cependant que l’absence de révélation des lésions dont le cheval était atteint a fait perdre une chance à l’acquéreur de renoncer à l’achat du cheval et l’a contraint à des frais concernant son cheval durant le temps où il est resté à sa charge. La Cour fixera cette perte de chance à 50% après avoir relevé que le vétérinaire démontrait que l’acheteur professionnel avait déjà par le passé acquis des chevaux présentant des lésions.

III. Sur le montant de l’indemnisation accordée à l’acheteur.

Pour fixer le préjudice, la Cour prend pour base le prix d’achat du cheval soit 9.000 € et son prix de revente, le cheval ayant été par la suite revendu au prix de 2.000€ puisque l’existence des lésions compromettait sa carrière sportive. En retenant que la perte de chance est de 50% elle applique ce pourcentage à la perte de 7.000€ (achat 9.000€ déduction du prix de revente 2.000€). Concernant les frais liés à l’entretien du cheval depuis son achat, considérant que le cheval est resté en pension chez le professionnel, elle évalue les frais d’entretien à 300 euros par mois durant 30 mois, (le temps durant lequel le cheval est resté à la charge de l’acheteur) soit 9.000€.

Au total le préjudice de l’acheteur est fixé par la Cour à la somme de 8.000€ (50% de 7.000€ + 50% de 9000€, soit 3500€ + 4500€). Certes on est bien loin des sommes initialement réclamées en indemnisation qui étaient 10 fois supérieures, mais le raisonnement de la Cour est parfaitement cohérent. Rappelons que l’acheteur n’avait pas mis en cause le vendeur qui aurait au regard de sa garantie pu être tenu d’autres dommages et intérêts et notamment d’un éventuel gain perdu du fait de l’achat de ce cheval qui était atteint de lésions.

Si la faute du vétérinaire dans le cadre de la visite d’achat s’apprécie strictement puisque son avis conditionne l’achat d’un cheval, en revanche, l’appréciation de lien de causalité et la perte de chance permet de limiter le montant des condamnations pouvant être mis à sa charge.

Il est donc conseillé lorsque c’est envisageable de mettre en cause le vendeur dont la jurisprudence rappelle régulièrement que c’est bien ce dernier qui a perçu le prix et qui en droit à titre principal restitution à l’acheteur.

La Cour d’appel de Nancy a même été jusqu’à juger que dès lors que l’acheteur est indemnisé par le vendeur tenu de la garantie des vices cachés, compte tenu des restitutions réciproques, l’acheteur est indemnisé de son préjudice par le vendeur, ce qui le prive du droit de réclamer une indemnisation complémentaire au vétérinaire fautif (Cour d’Appel de Nancy, 1ère chambre civile, 3 octobre 2017, n°15/00943).

En l’espèce, petite consolation pour le professionnel, le vétérinaire et son assureur ont été condamné à prendre en charge les frais d’avocat (article 700) à hauteur de 6.000€ ainsi qu’au remboursement des frais de l’expertise judiciaire.

Blanche de Granvilliers-Lipskind Avocat à la Cour, Docteur en droit, Membre de l'Institut du Droit Equin