Village de la Justice www.village-justice.com

Suspension de la prescription de l’action au fond et mesure d’instruction ordonnée. Par Maud Avril-Logette, Avocat.
Parution : vendredi 15 novembre 2019
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/condition-suspension-prescription-action-fond-cas-mesure-instruction-ordonnee,32936.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans un arrêt fort intéressant du 17 octobre 2019, la troisième chambre civile de la Cour de cassation précise le cadre dans lequel il est possible d’invoquer une suspension de la prescription de l’action au fond lorsqu’une mesure d’instruction est ordonnée (Civ.3, 17 octobre 2019, n°18-19611).

Les faits sont les suivants : le 6 décembre 2008, les époux X. conclu un contrat de construction de maison individuelle avec la Société Le Chêne Constructions. Constatant de nombreuses malfaçons avant la réception des travaux, le maître d’ouvrage saisi le juge des référés qui par ordonnance du 24 décembre 2009 désigne un expert judiciaire. Celui-ci dépose son rapport d’expertise le 15 décembre 2011. Le 14 août 2012, le maître d’ouvrage assigne au fond le constructeur en annulation du contrat de construction de maison individuelle et subsidiairement en résolution ou réparation des désordres.

La Cour d’Appel de Rennes accueille favorablement la demande d’annulation du contrat de construction de maison individuelle, considérant au visa de l’article 2239 du Code Civil, que l’expertise sollicitée était utile à l’appréciation de la demande en nullité du contrat, objet de l’action au fond, les conséquences de la nullité étant appréciées au regard de la gravité des désordres et non conformités affectant la construction.

La mesure d’instruction ici ordonnée aux fins d’examen des malfaçons invoquées par la maîtrise d’ouvrage suspendait-elle le cours de la prescription de l’action au fond tendant à obtenir la nullité du contrat de construction de maison individuelle ?

La troisième chambre civile répond par la négative et censure la position de la Cour d’Appel de Rennes. Elle expose au visa de l’article 2239 du Code Civil que la demande d’expertise en référé sur les causes et conséquences des malfaçons ne tendait pas au même but que la demande d’annulation du contrat de construction de maison individuelle, de sorte que la mesure d’instruction ordonnée n’a pas suspendu la prescription en annulation du contrat.

Un bref rappel du dispositif légal s’impose. L’article 2239 du Code Civil dispose en son alinéa 1er : « La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès. Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée ».

Concrètement la Cour de cassation considère donc ici que le but, la finalité de l’action en référé tendant à obtenir une expertise judiciaire pour examiner les malfaçons invoquées de la maison se distingue de celui de l’action au fond tendant à obtenir la nullité du contrat de construction de maison individuelle.

Le raisonnement apparaît parfaitement logique.

L’action en référé tendant à obtenir la désignation d’un expert judiciaire suggère ensuite généralement l’introduction d’une action au fond tendant à obtenir la réparation desdits désordres.

L’action au fond tendant à obtenir la nullité du contrat suppose quant à elle une action fondée sur les irrégularités du contrat décelées par le juriste, indépendante donc de l’exécution de la mesure d’instruction par le technicien.

L’application pratique de la décision impose donc au praticien un devoir de vigilance, de précision et de cohérence important afin de bien identifier et qualifier à l’ouverture du dossier la demande du client et les moyens disponibles pour y parvenir.

La même cohérence sera requise ensuite dans l’initiation des actions en référé et au fond.

En tout état de cause, la mesure d’instruction ordonnée n’a pas d’effet interruptif « erga omnes »… pour les actions au fond futures.

A ne pas perdre de vue donc à l’ouverture de nos nouveaux dossiers.

Maud AVRIL-LOGETTE Avocat spécialiste en droit Immobilier [->https://arhestia-avocats-rennes.com]