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Avoir toléré l’homosexualité d’un salarié dans le passé ne prouve pas l’absence de discrimination dans le présent. Par Arthur Tourtet, Avocat.
Parution : lundi 18 novembre 2019
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Selon l’article L. 1134-1 du Code du travail, le salarié n’aurait que l’obligation de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination, à charge ensuite pour le défendeur de démontrer le contraire.
Cependant, ce régime favorable de la preuve est neutralisé par la pratique. La preuve d’une discrimination reste particulièrement difficile pour les salariés victimes.

Par crainte d’une explosion des demandes abusives, les juridictions ne retiennent pas facilement l’existence d’une discrimination.

Les auteurs d’une discrimination n’ignorent pas cet aspect et sont prêts à invoquer le moindre argument qui pourrait susciter le doute auprès d’un Conseil des prud’hommes ou d’une Cour d’appel.

C’est ce qu’a eu à vivre une salariée homosexuelle dans une affaire tranchée par la Cour d’appel d’Amiens (Cour d’appel d’Amiens, 18 octobre 2017, n° 15/02517).

Embauchée en qualité de second de cuisine dans un restaurant familial, cette salariée a été poussée à la démission par le gérant de la société en raison de son orientation sexuelle.

L’employeur rétorquait qu’il connaissait son homosexualité depuis longtemps, ce qui n’était pas contesté.

En effet, la salariée n’avait jamais caché le fait qu’elle était lesbienne. Elle était appréciée de tous au sein du restaurant. Elle était même régulièrement invitée à des repas et évènements de famille par le gérant, preuve qu’elle faisait partie du cercle intime de son patron.

Pour l’employeur, difficile de lui reprocher d’avoir été homophobe. S’il avait voulu discriminer la salariée, il l’aurait fait bien plus tôt.

Cet argument est aussi crédible que Nadine Morano qui vient nous expliquer qu’elle n’est pas raciste car elle a une amie étrangère…

Fort heureusement, la Cour d’appel d’Amiens n’a pas été convaincue par cette défense qui ne résiste pas à l’épreuve des faits et surtout à la logique la plus élémentaire.

La Cour a pu relever que si effectivement le gérant connaissait l’homosexualité de la salariée depuis toujours sans que cela n’occasionne la moindre gène de sa part, l’intéressé avait subitement changé d’attitude lorsqu’il a découvert que la salariée avait une liaison avec sa propre fille.

Malheureusement, le gérant n’a pas supporté cette nouvelle et a fait preuve d’une stupidité déconcertante.

La salarié a été poussée à la démission par son employeur car le gérant espérait qu’en éloignant la compagne de sa fille, cette dernière allait redevenir hétérosexuelle comme par magie.

La salariée en question a fait l’objet de pressions telles qu’il ne lui a pas été possible de faire autrement que de partir.

Il était reproché ouvertement à cette employée d’avoir « détournée » la fille du gérant.

Cette demoiselle en question en prenait également pour son grade et il était démontré que toute sa famille lui reprochait sa liaison avec la salariée.

Quand un employeur hurle devant des témoins « qu’il n’y a pas de lesbienne dans la famille », cela peut donner une idée de l’ambiance nauséabonde qui pouvait régner dans ce restaurant familial prétendument ouvert et tolérant.

Le gérant du restaurant n’avait visiblement pas compris que sa fille avait peut-être toujours été attirée par les autres filles. L’homosexualité n’est pas une maladie qui justifierait une mesure de quarantaine afin d’éviter la contamination des hétéros…

La Cour en a conclu que c’était bien l’orientation sexuelle de la salariée qui avait conduit à sa démission imposée.

Si la salariée avait été un homme, il n’est pas certain qu’une relation hétérosexuelle avec la fille du gérant aurait causé une réaction aussi hostile.

La démission a été requalifiée en licenciement nul en raison son caractère discriminant.

La Cour d’appel d’Amiens a eu le soin de préciser que :

« Le fait que l’homosexualité de madame Y n’ait pas été discriminante auprès de son employeur auparavant ne fait pas obstacle à ce qu’à un moment, notamment lors d’évènements spécifiques mettant en jeu des sentiments plus personnels, l’orientation sexuelle de madame Y ait été l’origine d’une mesure discriminatoire ».

La Cour n’a fait qu’appliquer une logique profondément humaine.

Ce n’est pas parce que l’homosexualité d’un salarié a été tolérée dans le passé qu’elle le sera toujours.

D’une manière générale, le passé est un très mauvais garant.

Les gens changent, en bien comme en mal. Quelques drames peuvent transformer quelqu’un de bon en une personne particulièrement mauvaise.

Il existe également trop d’employeurs qui pensent que l’homosexualité est un problème, ce qui ne devrait être jamais le cas. Ces employeurs savent ce qu’il en coûte de manifester ouvertement une attitude homophobe. Ils peuvent justement être tentés d’adopter une attitude bienveillante et tolérante avec le personnel gay afin de masquer leur homophobie latente.

Or, cette homophobie latente peut exploser du jour au lendemain au premier bouleversement inattendu ou au moindre conflit.

La lutte contre la discrimination implique donc de rester constamment vigilant. Il ne faut jamais baisser sa garde face à une tolérance passée.

Arthur Tourtet Avocat au Barreau du Val d\'Oise