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Durcissement des condamnations pénales suite à un contrôle fiscal. Par Frédéric Naïm, Avocat.
Parution : lundi 18 novembre 2019
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J’aimerais alerter les dirigeants d’entreprise face aux conséquences que peut avoir un redressement fiscal, en mettant l’accent sur des situations que je rencontre de plus en plus aujourd’hui.

Pendant très longtemps un redressement fiscal n’était pas, sauf à de rares exceptions, synonyme d’engagement de poursuites pénales.
Vous avez à peu près mille dossiers de poursuites pénales par an en France sur soixante mille contrôles réels. Vous aviez donc un nombre extrêmement faible de poursuites pénales, qui intervenaient à la suite d’un filtre - le verrou Bercy, donnant au ministère des Finances le pouvoir exclusif de porter plainte pour fraude fiscale contre un contribuable. Ainsi, des poursuites rarement engagées aboutissaient à des condamnations qui n’étaient pas trop lourdes.

On avait rarement vu du « ferme » pour des condamnations en matière de fraude fiscale. La condamnation des dirigeants en col blanc comme on le dit souvent était plutôt une condamnation de principe, comportant le plus couramment une peine de prison avec sursis.

On a eu l’exemple récemment, notamment dans l’affaire Balkany, de personnes publiques condamnées à de la prison ferme. Simplement on peut s’interroger sur la question de savoir si cette condamnation est une condamnation liée à la personne ou si c’est plus fondamentalement un glissement vers une condamnation plus ferme de la part des autorités judiciaires de ce type de fait.
Je souhaite mettre l’accent sur l’évolution suivante : aujourd’hui quand on a un redressement fiscal, il est tout à fait possible qu’une poursuite pénale intervienne ensuite, parce que le « verrou de Bercy » a disparu et que les condamnations pénales sont de plus en plus lourdes - on a du ferme en matière de fraude fiscale.
Il faut être bien conscient que si vous minorez des déclarations ou omettez carrément de déclarer, vous vous créez un risque qui n’est pas juste le risque pécuniaire d’avoir un redressement fiscal et des pénalités ; mais vous prenez également le risque d’une poursuite pénale qui peut être assez dérangeante au niveau de l’activité et aboutir à une condamnation ferme.

Pour illustrer mon propos, voici un exemple récent : j’ai défendu un dentiste en région parisienne, dont la déclaration avait été considérée comme minorée par l’administration fiscale ; je l’ai défendu et en première instance il a été condamné à neuf mois fermes de prison. Il n’avait jamais été condamné pour aucune infraction ; j’avais contesté bien évidemment la réalité de l’infraction et le quantum qui était proposé, mais il a été condamné à neuf mois fermes en première instance. En appel cette décision a été allégée, il a eu une peine de prison avec sursis. Mais on voit bien dans de tels exemples qu’on se retrouve confronté à des condamnations qui peuvent être extrêmement sévères - ou qu’on va vivre comme extrêmement sévères - et qui peuvent lourdement impacter le quotidien. C’est-à-dire que mon client, s’il avait eu une condamnation confirmée en appel de neuf mois de prison ferme, comme il n’avait jamais été condamné, il aurait dû solliciter un aménagement de peine, notamment un bracelet électronique : mais on imagine aisément qu’un dentiste ne peut plus sérieusement travailler et apparaître comme quelqu’un de rassurant pour ses patients en ayant une chaîne aux pieds, et en étant soumis à des contraintes horaires fortes.

Donc la réalité des situations n’est plus du tout la même qu’il y a dix, quinze ou vingt ans ou même cinq ans ; aujourd’hui la situation a tendance à se pénaliser fortement.
Les raisons sont multiples, mais il faut se montrer extrêmement vigilants quand on choisit de ne pas déclarer ou d’être en minoration déclarative.
Certes si vous êtes dans cette situation et que vous pouvez démontrer que vous ignoriez totalement la faute, il n’y a pas de délit et dans ce cas-là vous pourriez même ne même pas être poursuivi pénalement. Mais dans les dossiers où la fraude est la plus grossière, la condamnation peut intervenir assez rapidement.

Il existe des accords possibles avec le Parquet dans le cadre de la convention judiciaire d’intérêt public, qui est un nouveau format légal permettant de nouer des conventions pour et uniquement pour les personnes morales. Aujourd’hui on a l’exemple relayé dans la presse de Google qui en a fait l’expérience, avec des montants énormes payés. Mais quand Google accepte de payer une somme aussi importante dans le cadre d’une convention alors qu’elle n’est même pas condamnée par le juge de l’impôt à payer les sommes, c’est que ses dirigeants intègrent parfaitement la dimension et l’importance du risque d’une condamnation pénale qu’on ne maîtrise pas totalement ; c’est-à-dire qu’en fait le quantum de la condamnation peut être extrêmement important.

Il est par conséquent essentiel d’avoir conscience de ces évolutions récentes.

Maître Frédéric Naïm, avocat fiscaliste Spécialiste du contrôle fiscal, redressement fiscal, contentieux fiscal [mail->frederic@naimavocats.fr] www.naimavocatfiscaliste.com