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Tu préemptes ou préemptes pas : renoncer à préempter n’est pas toujours fautif. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : jeudi 21 novembre 2019
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Une décision de renonciation a faire usage du droit de préemption peut valablement intervenir, au cours d’une procédure de préemption, si le montant fixé par juge de l’expropriation est supérieur à celui retenu par France domaine.

L’usage du droit de préemption par l’administration est souvent perçu comme un abus de pouvoir et une dépossession injustifiée (sur le principe et/ou le montant) de la part du propriétaire du bien préempté. Ce sentiment est exacerbé en cas d’abandon de la procédure par l’administration.

De manière constante, la responsabilité de la puissance publique peut être recherchée à raison de l’illégalité d’une décision administrative. Le droit de l’urbanisme et la procédure de préemption n’échappent pas à ce principe.

En raison de sa nature et de son objet, et comme cela a été indiqué, la procédure de préemption est un contentieux relativement « passionné », ainsi le contentieux est assez fourni et de nombreuses décisions font l’objet de recours.

En cas d’annulation, le propriétaire du bien préempté recherche régulièrement la responsabilité de l’administration pour obtenir l’indemnisation des préjudices qu’il estime avoir subi à raison de la procédure.

La Cour administrative de Nancy a récemment rendu un arrêt relatif à cette question.

En l’espèce, une commune avait entendu faire usage du droit de préemption sur un hôtel appartenant à une société. La préemption a été exercée à un prix inférieur à celui figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner (DIA). En raison d’absence d’accord sur le prix, le juge de l’expropriation a été saisi de ce litige.

Ce dernier a fixé à un montant de près de 920.000 € l’indemnité de dépossession du bien préempté. A la suite de ce jugement, la Commune a décidé de renoncer à faire usage de son droit de préemption.

Le propriétaire du bien en cause a entendu obtenir l’indemnisation des préjudices qu’il estime avoir subi à raison de cette procédure inachevée.

Le Tribunal administratif de Strasbourg a condamné la Commune à verser une somme de près de 440.000 € à ce titre avec intérêts et capitalisation des intérêts.

La Commune a interjeté appel de ce jugement.

La responsabilité de la Commune avait été recherchée sous deux angles. L’illégalité fautive de la décision de préemption d’une part et celle de la décision de renonciation à faire usage de préemption d’autre part.

La Cour administrative de Nancy a rapidement écarté la responsabilité communale à raison de la décision de préemption.

Elle a rappelé à cette fin le principe selon lequel "les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, et, d’autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption. En outre, la mise en œuvre de ce droit doit, eu égard notamment aux caractéristiques du bien faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière, répondre à un intérêt général suffisant" (Voir CE, 7 mars 2008, Commune de Meung sur Loire, n°288371 ; CE, 13 mars 2019, n°419259).

Le constat est relativement simple en l’espèce. La préemption était fondée sur un projet d’implantation d’une maison de l’intercommunalité et de service public. Un contrat de territoire entre le Département, la Communauté de communes et la Commune avait été conclu en ce sens.

L’intérêt général lié à un tel projet apparaît difficilement contestable et ce dernier correspond aux opérations pouvant valablement justifier une préemption en application des dispositions de l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme.

Le réel intérêt de cet arrêt repose sur la seconde partie de l’analyse et sur l’appréciation de la légalité de renonciation à faire usage du droit de préemption.

Sur ce point, la Cour a notamment rappelé que s’il est possible pour le propriétaire dont le bien fait l’objet d’une procédure de préemption de saisir le juge de l’expropriation à défaut d’accord sur le prix de la cession, cette possibilité ne fait pas obstacle à ce que l’administration renonce légalement à l’exercice de son droit de préemption si le prix fixé par la juridiction compétente ne correspond pas à celui auquel elle a décidé de préempter (CAA Marseille, 9 mai 2014, n°12MA02067).

C’est précisément la position qu’a adopté la Commune en l’espèce.

La Cour a relevé que le choix de renoncer à la préemption était motivé par le fait que le prix fixé par le juge de l’expropriation était de plus de 10% supérieur à celui retenu par les services de France domaine d’une part.

Il était également relevé que le coût de l’opération était d’autant augmenté en raison de l’état partiellement insalubre de l’immeuble et de sa non-conformité aux normes applicables.

Ce point laisse à penser que la Commune n’a pas fait usage de son droit de visite et n’a pas sollicité la communication de renseignements complémentaires en amont de sa décision de préemption ou que l’usage de ces prérogatives n’ont pas permis de mettre en lumière ces éléments.

La Cour a également pris acte du fait qu’en raison du montant retenu par le juge de l’expropriation, la Communauté de Communes avait indiqué à la collectivité qu’elle avait trouvé un autre bien susceptible de permettre la réalisation du projet, et a priori pour un coût moindre.

Ce raisonnement souligne l’efficacité potentielle de la saisine du juge de l’expropriation dans le cadre d’une procédure de fixation du prix.

Si le prix est supérieur à celui proposé par l’Administration :

- il obtiendra une valorisation supérieure de la vente de son bien ;

- ou ce prix pourra conduire à un désistement de la part de l’administration ce qui permettra au propriétaire de poursuivre et reprendre la vente initialement envisagée.

En l’espèce, la Cour a considéré que les motifs et arguments qui ont conduit la Commune à renoncer à faire usage de son droit de préemption étaient fondés et n’étaient pas constitutifs d’une faute.

En l’absence de faute, la responsabilité de la commune a donc été écartée et le jugement annulé.

L’intérêt public l’emporte ici une nouvelle fois sur l’intérêt privé.

Références : CAA Nancy, 24 octobre 2019, n°18NC02355-18NC02356-18NC02508 ; CE, 7 mars 2008, Commune de Meung sur Loire, n°288371 ; CE, 13 mars 2019, n°419259 ; CAA Marseille, 9 mai 2014, n°12MA02067.

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr