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Une histoire d’amour vaut bien un poste de PDG. Par Olivier Javel, Avocat.
Parution : vendredi 22 novembre 2019
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Si pour Henry IV Paris valait bien une messe, pour Monsieur Steve Easterbrook, ancien PDG de Macdonald’s, une romance valait bien son poste.

Rappel des faits

Monsieur Steve Easterbrook connait bien McDonald’s puisqu’il a travaillé de 1993 à 2011, avant de changer d’employeur puis finalement de revenir à ses premiers amours. En 2013, il travaille à nouveau pour le géant de la restauration rapide en tant que « senior executive vice president and chief brand officer », puis en mars 2015 il devient Chief Operating Officer, en français PDG.

Mais voilà, les hommes ne sauraient se contenter d’une simple nourriture physique, il leur faut également s’épanouir intellectuellement et émotionnellement.

C’est certainement pourquoi Monsieur Steve Easterbrook décidait d’entretenir une relation intime avec une où un de ses subordonnés.

Bien mal lui en a pris puisque le « board » l’a remercié. Le communiqué de presse disponible sur le site de la société met en avant que le PDG aurait violé un code de conduite et aurait fait preuve d’un « mauvais jugement ».

Que l’on se rassure, Monsieur Steve Easterbrook ne semble pas s’offusquer de la situation, mais il est vrai que Bloomberg évalue la prime de départ à 37 millions de dollars (en ce inclus une clause de non-concurrence). Un tel montant limite certainement les velléités procédurières.

Une telle situation serait-elle possible en France ?

Un salarié ou un mandataire social pourrait-il se voir remercier pour avoir entretenu une relation amoureuse avec un subordonné ?

Les relations amoureuses et le code du travail.

A première vue, l’article L1121-1 du Code du travail est limpide « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » et l’interdiction de toute discrimination en raison de l’orientation sexuel semble garantir une protection absolue aux salariés.

Mais attention, la liberté de s’aimer n’est pas un blanc-seing pour tous les comportements amoureux, furent-ils consentis, la Cour de cassation est parfois invitée à entrer dans la chambre à coucher des français.

Un arrêt d’espèce du 25 septembre 2019 [1], critiquable sous bien des aspects, illustre toute la difficulté de la matière.

Un salarié - responsable d’exploitation - a été licencié pour faute grave le 31 juillet 2014, pour des faits de harcèlement sexuel, son employeur lui reprochait d’avoir de manière répétée envoyé des SMS ayant un caractère pornographique à l’une de ses subordonnées, par l’intermédiaire de son portable professionnel.

L’histoire pourrait être simple puisque le harcèlement est évidemment une cause de licenciement disciplinaire et peut fonder un licenciement pour faute grave. Mais, les pièces versées aux débats avaient permis à la Cour d’appel d’estimer :
- Qu’il n’existait pas de pression grave ou de situation intimidante hostile ou offensante ;
- Que la salariée (destinataire des SMS) avait participé à un jeu de séduction réciproque.

En d’autres termes, il n’y avait pas de harcèlement puisque la salariée avait consenti à recevoir des messages scabreux par SMS.

Mais alors que la Cour de Cassation balaye les arguments de la société et rejette son pourvoi, elle confirme l’arrêt d’appel en ce qu’il a admis que le licenciement disciplinaire était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Or, rappelons que la jurisprudence actuelle autorise qu’un fait de la vie privé puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement, à la double condition :
- Que le comportement du salarié soit à l’origine d’un trouble objectif au bon fonctionnement de l’entreprise ;
- Que le licenciement ne soit pas disciplinaire (Cass. soc. 9-3-2011 n° 09-42.150).

Dans l’arrêt du 25 septembre 2019, la Cour de cassation approuve les juges d’appel qui ont relevé que le comportement du salarié responsable d’exploitation lui avait fait « perdre toute autorité et toute crédibilité dans l’exercice de sa fonction de direction et dès lors incompatible avec ses responsabilités ».

Ainsi ce n’est pas le comportement du salarié qui est sanctionné, mais les conséquences de son comportement sur sa « crédibilité » en tant que responsable. La première condition fixée par la jurisprudence est donc réunie, mais pas la seconde.

L’arrêt commenté est inédit, il ne faut, sans doute, pas lui donner trop d’importance. Cependant, cette décision est insatisfaisante. Doit-on comprendre que si le salarié avait été un simple collègue, le licenciement aurait été jugé sans cause réelle et sérieuse ?

Mais surtout les motivations austères de la Cour de cassation ne permettent pas de déduire en quoi le fait d’envoyer des SMS pourrait, quand bien même le contenu du message serait licencieux, avoir pour effet de « faire perdre toute crédibilité » à l’auteur au point de rendre impossible l’exercice des fonctions.

Les relations amoureuses et le code du commerce.

La révocation des dirigeants de société est libre. Ce principe de libre révocation est d’ordre public.
Est-ce à dire qu’il serait possible de remercier un dirigeant sentimentalement investi avec l’un des salariés de la société, notamment au motif qu’il aurait violé comme dans le cas de Monsieur Easterbrook un code de conduite ?

Le principe de libre révocation est encadré par deux limites :
- La révocation ne peut pas être abusive c’est-à-dire prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation et à l’honorabilité du dirigeant révoqué ;
- La révocation doit pour certains dirigeants reposer sur un juste motif, (notamment gérant de SARL (L 223-25), directeur général (L 225-55), membre du directoire d’une SA (L 225-61), gérant de SNC (L 221-12)).

Deux situations seraient donc à distinguer :
- Les dirigeants qui ne sont pas protégés par la nécessité de justifier leur départ par un juste motif ;
- Les dirigeants qui au contraire bénéficient de la protection conférée par la nécessité de légitimer leur révocation par un juste motif.

Dans le second des cas, il semble difficile de motiver un juste motif en arguant d’une relation consentie entre un dirigeant et un salarié, à moins bien entendu que cette relation ait pour conséquence une faute de gestion.

Il ne faut pas omettre que les dirigeants personnes physiques bénéficient également du droit au respect de la vie privée (et du droit au mariage) reconnu par la CEDH. Dès lors quand bien même un code de conduite interdirait aux dirigeants de fréquenter un subordonné, il est probable que la force contraignante d’un tel texte soit plus que limitée.

Conclusion.

Il est permis à tous de conter fleurette, mais pour vivre heureux vivez caché.

Olivier Javel, Avocat olivier.javel@1792avocats.com http://www.1792avocats.com

[1N°17-31.171