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PSE : quel est le juge compétent en cas de risques psychosociaux ? Par Marie-Paule Richard-Descamps, Avocat.
Parution : vendredi 22 novembre 2019
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La Cour de cassation pose en principe que c’est le juge judiciaire qui est compétent pour statuer sur les risques psychosociaux consécutifs à la mise en oeuvre d’un projet de restructuration dans le cadre d’un PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi) validé par l’administration. (Cass. soc., 14 novembre 2019, nº 18-13.887 FS-PB)

La question était d’importance car depuis la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, l’accord collectif, le document élaboré par l’employeur, le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, les décisions prises par l’administration et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation.

Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux. (Article L1235-7-1 du Code du travail)

Le juge judiciaire reste compétent notamment pour trancher les litiges portant sur l’existence du motif économique du licenciement, l’application des critères d’ordre des licenciements et des mesures individuelles du PSE, le respect de l’obligation de reclassement, le respect de l’obligation de recherche d’un repreneur, les conséquences du PSE sur la santé et la sécurité des salariés.

Les faits et arguments du CHSCT.

La société Chubb France, qui exploite une activité de conception, d’installation et de maintenance de systèmes de sécurité incendie, a présenté au début de l’année 2015 un projet de réorganisation de son activité, intitulé « Convergence », destiné à harmoniser et simplifier les processus de gestion informatique, notamment en développant de nouveaux outils informatiques entre les différentes entités fusionnées au sein de la société.

Ce projet s’accompagnait d’un plan de sauvegarde de l’emploi compte tenu de la suppression prévue de soixante et onze postes de travail qui a fait l’objet d’une mesure d’expertise, à la demande du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) afin d’évaluer les impacts sur la santé, la sécurité et les conditions de travail.

A la suite de quoi, le CHSCT a émis le 20 avril 2015 un avis défavorable.

Un accord collectif majoritaire portant plan de sauvegarde de l’emploi a été conclu le 29 mai 2015 et validé par la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) le 30 juin 2015.

Le 1er juillet 2015, le CHSCT réseau a voté le recours à une nouvelle expertise avec notamment pour mission l’identification des risques de facteurs psychosociaux en lien avec le projet.

A compter du 4 juillet 2015, le projet « Convergence » a été mis en place à titre expérimental avant d’être déployé en juillet 2016 sur l’agence de Marseille littoral et étendu en janvier 2017 à l’ensemble de la région Méditerranée.

Alors que plusieurs licenciements économiques étaient intervenus dès novembre 2015, le 16 janvier 2017, l’expert a conclu à l’existence de risques psychosociaux.

Le secrétaire du CHSCT réseau a déclenché le 10 mars 2017 une procédure d’alerte en raison de l’existence d’une cause de danger grave et imminent au sein de la région Méditerranée, puis a saisi le 16 mars 2017 l’inspection du travail.

Le CHSCT a fait assigner la société en référé afin notamment qu’il soit constaté que celle-ci n’avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver la santé des salariés, qu’il lui soit ordonné, sous astreinte, de suspendre toute mise en œuvre du projet « Convergence » dans la région pilote Méditerranée et qu’il soit interdit tout déploiement de ce même projet dans d’autres régions.

La Cour d’appel de Versailles déclare le juge judiciaire compétent.

L’arrêt de la cour (CA Versailles, 18 janvier 2018, nº 17/06280) est particulièrement motivé et précise que le contrôle de l’autorité administrative est limité à la vérification du contenu de l’accord au regard des dispositions régissant son objet, du respect des procédures de consultations des institutions représentatives, de l’existence d’un plan de reclassement et des modalités de suivi de la mise en oeuvre effectives des mesures contenues dans ce plan et, le cas échéant, de la mise en oeuvre des obligations de recherche d’un repreneur.

Par ailleurs, l’article L. 1233-57 du code du travail, qui prévoit que l’administration peut présenter toute proposition pour compléter ou modifier le plan de sauvegarde de l’emploi, n’autorise pas pour autant celle-ci à procéder à d’autres contrôles que celui prévu par la loi.

Il n’appartient dès lors pas à l’autorité administrative de contrôler, au titre des dispositions précitées, les conséquences du plan de sauvegarde de l’emploi sur la santé et la sécurité des salariés.

Contrairement au TGI de Pontoise, l’arrêt rejette l’exception d’incompétence soutenue par la société au profit du juge administratif et considère que le juge judiciaire reste en principe compétent pour sanctionner la violation par l’employeur de son obligation de sécurité et de prévention.

« Il convient en conséquence de dire, en l’espèce, le juge judiciaire compétent pour connaître d’une action en référé fondée, au visa de l’article 809, alinéa 1, du code du travail, sur le trouble manifestement illicite qui résulterait d’une violation par l’employeur, la SCS Chubb France, de l’obligation de sécurité et de prévention et ce nonobstant l’existence d’un plan de sauvegarde de l’emploi. »

L’arrêt a fait interdiction à la société de procéder au déploiement du projet Convergence dans les autres régions mais a dit qu’il n’y avait pas lieu à référé sur la demande de suspension, sous astreinte, des outils informatiques (UNICOM, UNITEC et JDE) du projet Convergence développé par la SCS Chubb France dans la région pilote Méditerranée.

La société conteste la compétence du juge judiciaire.

La société Chubb France forme un pourvoi contre l’arrêt rendu le 18 janvier 2018 par la cour d’appel de Versailles.

Elle fait grief à l’arrêt notamment de déclarer le juge judiciaire compétent et en conséquence de rejeter l’exception d’incompétence au profit du juge administratif, faisant valoir que l’appréciation des éventuels manquements de l’employeur à son obligation de sécurité, commis dans le cadre de l’établissement ou de la mise en oeuvre d’un plan de sauvegarde de l’emploi conclu après l’entrée en vigueur de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, relève de la compétence du juge administratif.

Elle soutient qu’en l’espèce, le plan de sauvegarde applicable à la société Chubb France a été conclu dans le cadre d’un accord majoritaire du 29 mai 2015, de sorte que l’appréciation des éventuels manquements de l’employeur à son obligation de sécurité dans l’établissement et la mise en oeuvre de ce plan, s’agissant notamment de la prise en compte des risques psychosociaux induits par le projet de restructuration, échappe à la compétence du juge judiciaire.

Pour la Cour de cassation, le juge judiciaire est bien compétent en matière de risques psychosociaux.

Par un arrêt de rejet du 14 novembre 2019, la chambre sociale reprend le raisonnement de la cour d’appel de Versailles et reconnaît clairement la compétence du juge judiciaire en se fondant sur 2 textes qui précisent le champ de la compétence administrative :

Selon l’article L. 1233-57-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-856 du 31 juillet 2014, l’autorité administrative valide l’accord collectif mentionné à l’article L. 1233-24-1 dès lors qu’elle s’est assurée notamment :
- de sa conformité aux articles L. 1233-24-1 à L. 1233-24-3,
- de la présence dans le plan de sauvegarde de l’emploi des mesures prévues aux articles L. 1233-61 et L. 1233-63, de la régularité de la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise et, le cas échéant, du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail et de l’instance de coordination mentionnée à l’article L. 4616-1.

Selon l’article L. 1235-7-1 du code du travail, l’accord collectif mentionné à l’article L. 1233-24-1, le document élaboré par l’employeur mentionné à l’article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, les décisions prises par l’administration au titre de l’article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation mentionnée à l’article L. 1233-57-4.

Ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

Le moyen soulevé par la société n’est donc pas fondé :

« Et attendu que la cour d’appel, qui a constaté que le juge judiciaire avait été saisi de demandes tendant au contrôle des risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du projet de restructuration, en a exactement déduit que celui-ci était compétent. ».

Conclusion.

Même dans l’hypothèse de la validation ou de l’homologation du PSE par le DIRECCTE, le juge judiciaire reste compétent pour contrôler et suspendre la mise en œuvre d’un projet de réorganisation comportant des risques pour la santé et la sécurité des salariés.

Les risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre du projet n’entrant pas dans le champ de contrôle de la DIRECCTE, le CHSCT en l’espèce, avait donc valablement pu saisir le juge judiciaire qui reste compétent en la matière.

Marie-Paule Richard-Descamps Avocat spécialiste en droit du travail Présidente de la Commission sociale du Barreau des Hauts de Seine https://www.cabinetrichard-descampsavocat.fr