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Salariés, obtenez le paiement de votre prime d’objectif 2019. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : mardi 26 novembre 2019
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Si la Cour de Cassation délivre les règles clés que les Juges du fond doivent suivre pour valider ou non le paiement des primes d’objectif réclamées par les salariés, ce sont les juges d’appel qui résolvent au cas par cas les problématiques que leur soumettent les salariés qui sollicitent le paiement de leur rémunération variable
 [1].

Trois thèmes majeurs émergent des décisions rendues :

1/ Les questions relatives à la fixation de la prime d’objectif.
2/ Celles relatives au paiement de la prime d’objectif.
3/ Les précisions concernant la charge de la preuve de la rémunération variable.

1. Ce qui est autorisé/interdit en matière de fixation des primes d’objectif.

L’interdiction des conditions potestatives.

Lorsque vous signez votre contrat de travail et vos avenants annuels définissant vos conditions de fixation de votre bonus, votre employeur ne peut pas vous fixer de conditions « potestatives », c’est-à-dire celles dépendant de votre employeur et non d’éléments extérieurs (dont votre travail, les résultats de l’entreprise etc…).

C’est ce que rappelle la Cour d’Appel de Paris, Pôle 6, Chambre 3, Arrêt du 02/04/2109, RG n°15/01952 à l’égard d’une Conseillère de vente sollicitant le règlement de sa rémunération variable :

« (La rémunération variable) doit être fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne pas faire peser le risque de l’entreprise sur le salarié, ni contribuer à lui infliger une sanction pécuniaire prohibée, ni avoir pour effet de réduire sa rémunération en dessous des minimas légaux ».

Et dans le même sens, la Cour d’Appel de Bordeaux, le 14/11/2019, RG n° 17/02713 ajoute :

« La clause qui subordonne le versement d’une rémunération à l’aléa d’un licenciement résultant de la seule décision unilatérale de l’employeur est potestative et donc illicite ».
Le contrat de travail d’un Directeur d’un Groupe industriel stipulait en effet que la prime d’objectif « n’était pas due en principe en cas de rupture du contrat, mais qu’une fraction de cette prime pourra toutefois être versée en fonction du degré de réalisation des objectif à la date de la rupture du contrat de travail ».

Ces conditions potestatives ont naturellement été jugées illicites et donc inopposables aux salariés.

Citons également la Cour d’Appel de Douai, 29/05/2019, RG n°16/02392 dans lequel la clause du contrat de travail d’un Directeur général d’un Groupe fixait une prime d’objectif évaluée en fonction d’une performance financière de la société à 60%, d’une performance stratégique personnelle à 20% et une performance managériale personnelle à 20%.

Sur la performance managériale personnelle, l’employeur indiquait qu’il s’agissait de récompenser la qualité de l’action du salarié, la qualité de l’animation du suivi des équipes, la représentation externe de la société et auprès des partenaires « cette composante de la prime d’objectif sera évaluée (à la) seule discrétion (de l’employeur) lors d’un entretien ad hoc ».

La Cour en conclut qu’il « appert que le versement de cette portion de parts variables dépendait uniquement de l’appréciation de l’employeur et que n’étant pas assis sur les éléments précis, il dépendait de son bon vouloir et présentait un caractère potestatif. Au vu de ces éléments et des performances du salarié, il sera jugé que X a rempli l’objectif à 100%, ce qui lui ouvre droit au versement de la prime correspondante ».

Parfois, lorsque la prime d’objectif n’est pas fixée, l’employeur s’en justifie par les difficultés de l’entreprise.

Ainsi, devant la Cour d’Appel de Lyon du 5/04/2019, RG n°17/04539, le contrat de travail d’un salarié avait été signé 6 mois après l’ouverture de la procédure collective de la société.

Dans ces conditions, les Juges considèrent que l’entreprise ne pouvait pas ignorer au moment de la rédaction du contrat de travail les difficultés qu’elle connaissait au moment de la signature du contrat :

(Le contrat de travail prévoit) « que ce salarié avait droit à une prime sur des objectif annuels qui étaient eux-mêmes fixés annuellement par l’employeur…qu’aucun objectif n’a jamais été fixé par la société… que le contrat de travail est dépourvu de toute stipulation relative aux critères de fixation des objectif…que la société a engagé X selon un contrat de travail qui a prévu une prime d’objectif, alors même qu’une procédure collective avait été ouverte six mois auparavant à l’égard de cette entreprise…de sorte que les difficultés de l’entreprise étaient clairement connues et que le moyen reposant sur l’absence de visibilité dès 2013 n’est pas fondé ».

2. Les conditions du paiement de la prime d’objectifs.

La Cour d’Appel de Paris (2/04/2019, RG n°15/01952) clarifie les règles de fixation de la prime d’objectif qui :

« Doit être fondée sur des éléments objectifs indépendants de la volonté de l’employeur, ne pas faire peser le risque de l’entreprise sur le salarié, ni contribue à lui infliger une sanction pécuniaire prohibée, ni avoir pour effet de réduire sa rémunération en dessous des minimas légaux ».

Lorsque le salarié a démissionné :

Lorsque l’objectif n’a pas été fixé l’année de la démission, les Juges doivent se référer à l’objectif fixé l’année précédente pour apprécier la rémunération variable du salarié qui lui est dû :

« ... il n’était pas contesté que les objectifs étaient fixés chaque année par l’employeur à la fin de l’année civile et que le salarié avait démissionné avant cette date en décembre 2013, de sorte qu’il y avait lieu de se référer aux objectifs fixés pour l’exercice précédent » (Cass. Soc. 22/05/2019, n°17/31517).

La règle de fixation du bonus pas les Juges (Cour d’Appel de Montpellier du 30/01/2015 n°15/04217) :

« Si la détermination de la partie variable d’une rémunération résulte d’un accord entre les parties à l’occasion de la conclusion du contrat ou postérieurement, le Juge peut alors fixer lui-même la rémunération en fonction des critères visés au contrat de travail et les accords conclus les années précédentes ».

« En revanche, si le contrat de travail prévoit que les objectifs sont fixés unilatéralement par l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, ce qui est très exactement le cas en l’espèce, alors le défaut de fixation des objectifs n’autorise plus le Juge à les fixer lui-même ».

Dès lors, faute pour la société Y d’avoir préciser au salarié les objectifs à réaliser au cours de l’année 2012, elle se doit de régler à son salarié l’intégralité de la rémunération prévue, comme si celui-ci avait atteint les objectifs fixés ».

La règle à retenir est donc la suivante :

Si votre contrat de travail prévoit que les conditions de fixation de votre prime d’objectif sont fixées par l’employeur et vous-même, en cas de contentieux, le Juge évaluera la somme qui vous est due en fonction des clauses de votre contrat de travail et des accords conclus postérieurement.

Si votre contrat de travail prévoit que vos objectifs sont fixés uniquement par l’employeur et que vos objectifs n’ont pas été fixés, vous aurez droit à l’intégralité de l’objectif prévu au contrat.

Règle confirmée par la Cour d’Appel de Paris 14/11/2019, RG n°17/11500 dans un litige où le liquidateur judiciaire de la société invoquait un chiffre d’affaires et un résultat ne permettant pas le versement de bonus pour s’opposer à la demande de paiement du salarié :

« Lorsque le contrat de travail prévoit une rémunération variable en fonction de la réalisation d’objectifs fixés unilatéralement par l’employeur et que ce dernier s’abstient de préciser au salarié les objectifs à réaliser selon les modalités prévues entre les parties, cette rémunération doit être payée intégralement ».

Non seulement le salarié avait sollicité par lettre recommandée le paiement de sa prime d’objectif et « aucun objectif n’a jamais été fixé (au salarié, tout au long de l’exécution du contrat de travail… (privant le salarié) du bénéfice de sa rémunération variable ».

Pour la cour « ces arguments ne sont pas opérants dans la mesure où le principe de la rémunération variable est dû au salarié, faute pour l’employeur de lui avoir fixé des objectifs contractuellement prévus ».

C’est la force du contrat et des clauses prévues qui l’emportent contre la déloyauté de l’employeur qui durant trois ans n’a pas fixé le moindre objectif au salarié.

Sur la proratisation de la prime d’objectif.

S’agissant d’un salarié expatrié Manager au Japon et au Moyen Orient, la Cour d’Appel de Paris ( 15 janvier 2019, RG n°16/14811) précise les règles de versement prorata temporis de la prime d’objectif :
« Considérant que si la présence dans l’entreprise peut être érigée en condition d’ouverture d’un droit à élément de rémunération, son défaut ne peut pas entraîner la perte d’un droit déjà ouvert :
- que la prime liée à la réalisation d’objectifs annuels qui constituent une part variable de la rémunération versée au salarié en contrepartie de son activité, s’acquiert au fur et à mesure de l’année ;
- qu’il s’ensuit qu’en cas de rupture du contrat de travail en cours d’année, le salarié peut prétendre à son versement prorata temporis ».

Cela signifie qu’en cas d’absence du salarié dans l’entreprise celui-ci ne pourra pas prétendre au bénéfice d’une prime d’objectif à laquelle il n’aura pas pu contribuer.

Par contre, s’il est présent en cours d’année dans l’entreprise et que par exemple son contrat est rompu avant la fin de l’exercice, il pourra solliciter le versement prorata temporis de sa prime d’objectif à résultat atteint.

Quid du paiement du bonus en cas de dispense de préavis ?

Un salarié Responsable régional des ventes fait l’objet d’un licenciement pour motif économique incluant un préavis de 6 mois dont il est dispensé, le salarié n’ayant pu de fait, durant cette période d’absence dans l’entreprise, réaliser les objectifs fixés en début d’exercice.

La Cour d’Appel de Metz (3/04/2019, RG n°18/01986) décide d’allouer au salarié sa prime d’objectif car « La dispense de préavis ne peut entraîner pour le salarié aucune diminution de ses salaires et avantages ».

« Etant donné que la prime d’objectif du second trimestre 2009 est venue à échéance pendant la période de préavis, celle-ci doit être versée à X, même si de toute évidence l’objectif ne pouvait être atteint du fait de la dispense de préavis par l’employeur ».
Aucune condition de présence n’était prévue contractuellement pour le versement de la prime d’objectif qui doit être versée prorata temporis ».

La dernière phrase ajoutée par les Juges laisse augurer d’une solution qui aurait pu être différente en cas de clause spécifiant la présence du salarié indispensable dans l’entreprise.

3. La charge de la preuve de la prime d’objectif.

Comme toute rémunération, la prime variable obéit aux règles de preuves suivantes :

Au visa de l’ancien article 1134 du Code Civil, aujourd’hui 1104 du Code Civil : « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d’ordre public » , la Cour d’Appel de paris (6/03/2019, RG n°17/11264) précise :

« S’il appartient au salarié de justifier qu’il a droit à l’attribution d’une rémunération variable en fonction de conventions d’usage, l’employeur est tenu à une obligation de transparence qui le contraint à communiquer au salarié les éléments servant de base de calcul de son salaire, notamment de cette part variable ».

Comment se répartit cette charge de la preuve ?

C’est au salarié de prouver l’existence de sa rémunération variable, puis c’est à l’employeur d’établir de manière transparente les conditions de calcul de la prime d’objectif du salarié.

Et la Cour d’Appel de Paris confirme (2/04/2019, RG n°15/01952) que « l’employeur est tenu à une obligation de transparence qui le contraint à communiquer au salarié les éléments servant de base de calcul dans son salaire, notamment de la part variable ».

Devant la Cour d’Appel de Bordeaux (14/11/2019, RG n°17/02713), la situation était renversée, puisque, c’est le salarié qui justifiait avoir adressé à l’employeur des objectifs qu’il avait déterminés et atteints :

« Le salarié justifie avoir… adressé en 2009 à la direction des objectifs, qui n’ont suscité aucune remarque de la part de sa hiérarchique, comme tel avait été le cas en 2008. De même, il établit que les objectifs ainsi déterminés ont bien été atteints ».

Dans ces circonstances particulières (absence de contestation de l’employeur), les Juges ont fait droit à la demande de paiement du salarié, puisqu’ils notaient que « la société ne donne aucune indication sur le calcul du bonus versé au salarié et ne critique pas utilement le montant de celui qu’il réclame ».

Ces décisions témoignent d’un contentieux toujours très dense et riche en situations multiples donnant lieu à des décisions éclairantes pour tous les salariés.

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[1Cet article actualise les précédents articles sur ce thème : retrouver les articles sur le site du cabinet Judith Bouhana et lisez l’article "Salariés, sachez obtenir vos bonus en 2018".

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