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Spectacle vivant - CDD et période suspecte : pas de nullité en l’absence de déséquilibre dans les prestations des parties. Par Frédéric Chhum, Avocat et Morgane Bocquet, Juriste.
Parution : mercredi 27 novembre 2019
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Un mandataire liquidateur d’une société dont l’activité est l’art du spectacle vivant sollicitait l’annulation de 50 contrats de travail à durée déterminée (CDD) de salariés, intermittents du spectacle, conclus par une société de production pendant la période suspecte.

Dans un jugement du Tribunal de grande instance de Metz du 23 avril 2019 (RG 17/01282), le Tribunal de Grande Instance de Metz rejette la demande du liquidateur du fait de l’absence de déséquilibre dans les prestations de chacune des parties.

I) Rappel des faits.

Le Tribunal de Grande instance de Metz a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’égard de la SAS Flower Power Productions ayant pour activité les arts du spectacle vivant, la SCP Noel Nodee Lanzatta étant désignée mandataire liquidateur.

Constatant que pendant la période suspecte, la SAS Flower Power Productions a embauché 50 salariés intermittents du spectacle alors que sa situation financière était fortement obérée.

Le liquidateur a courant octobre 2017 assigné l’ensemble des salariés avoir de voir prononcer la nullité de l’ensemble des CDD des salariés sur le fondement des article L. 632-1 et R. 662-3 du code de commerce.

Le liquidateur demandait au Tribunal de Grande Instance de Metz de constater que l’état de cessation des paiements est intervenu le 1er décembre 2015 et que les CDD des artistes et techniciens ont été conclus pendant la période suspecte, de dire que les 50 CDD sont nuls et de nuls effet.

Monsieur X a été engagé par la SAS Flower Power Productions dans le cadre d’une succession de contrats à durée déterminée d’usage en qualité d’Opérateur Vidéo, respectivement le 4 janvier 2017, le 17 février 2017, le 14 mars 2017, le 31 mars 2017 et le 20 avril 2017.

Monsieur X demandait au Tribunal de dire et juger que son contrat de travail du 20 avril 2017 est valide et de fixer sa créance au passif de la procédure collective pour le règlement des rémunérations contractuelles dues au titre de l’exécution du CDD conclu le 20 avril 2017 aux sommes de 3750 euros de rappel de salaires au titre des jours travaillés les 3,5,6,9,10,13, 18 19 et 20 mai 2017, 375 euros au titre des congés payés afférents et 2250 euros pour les salaires restants dus au titre des CDD pour les 2, 3, 4, 6, 8, 10, 17 et 18 juin 2017.

II) Le jugement du Tribunal de grande instance de Metz du 23 avril 2019.

Dans son jugement du 23 avril 2019, le Tribunal de grande instance de Metz :

- Déboute la SCP Noel-Nodee-Lanzetta, en la personne de Madame Y, en la qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Flower Power Productions de l’ensemble ses demandes ;
- Dit que le Conseil de prud’hommes est le seul compétent pour décider de l’admission ou du rejet des créances résultant des contrats de travail attaqués et renvoie les défendeurs à mieux pourvoir, en ce qui concerne leur demande reconventionnelle aux fins de fixation de créance ;
- Déboute l’ensemble des salariés, dont Monsieur X, de leurs demandes de dommages et intérêts ;
- Condamne la SCP Noel-Nodee-Lanzetta, en la personne de Madame Y, en la qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Flower Power Productions, à payer au titre de l’article 700 du Code de procédure civile à Monsieur X la somme de 2.000 euros ;
- Condamne la SCP Noel-Nodee-Lanzetta, en la personne de Madame Y, en la qualité de mandataire liquidateur à la liquidation judiciaire de la SAS Flower Power Productions, aux entiers dépens.

1) Le Tribunal de Metz rejette la demande d’annulation des CDD pendant la période suspecte.

L’article L. 632-1 du code de commerce dispose que :
« I. ― Sont nuls, lorsqu’ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements, les actes suivants :
1° Tous les actes à titre gratuit translatifs de propriété mobilière ou immobilière ;
2° Tout contrat commutatif dans lequel les obligations du débiteur excèdent notablement celles de l’autre partie ;
3° Tout paiement, quel qu’en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement ;
4° Tout paiement pour dettes échues, fait autrement qu’en espèces, effets de commerce, virements, bordereaux de cession visés par la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ou tout autre mode de paiement communément admis dans les relations d’affaires ;
5° Tout dépôt et toute consignation de sommes effectués en application de l’article 2075-1 du code civil (1), à défaut d’une décision de justice ayant acquis force de chose jugée ;
6° Toute hypothèque conventionnelle, toute hypothèque judiciaire ainsi que l’hypothèque légale des époux et tout droit de nantissement ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ;
7° Toute mesure conservatoire, à moins que l’inscription ou l’acte de saisie ne soit antérieur à la date de cessation de paiement ;
8° Toute autorisation et levée d’options définies aux articles L. 225-177 et suivants du présent code ;
9° Tout transfert de biens ou de droits dans un patrimoine fiduciaire, à moins que ce transfert ne soit intervenu à titre de garantie d’une dette concomitamment contractée ;
10° Tout avenant à un contrat de fiducie affectant des droits ou biens déjà transférés dans un patrimoine fiduciaire à la garantie de dettes contractées antérieurement à cet avenant ;
11° Lorsque le débiteur est un entrepreneur individuel à responsabilité limitée, toute affectation ou modification dans l’affectation d’un bien, sous réserve du versement des revenus mentionnés à l’article L. 526-18, dont il est résulté un appauvrissement du patrimoine visé par la procédure au bénéfice d’un autre patrimoine de cet entrepreneur ;
12° La déclaration d’insaisissabilité faite par le débiteur en application de l’article L. 526-1.
II. ― Le tribunal peut, en outre, annuler les actes à titre gratuit visés au 1° du I et la déclaration visée au 12° faits dans les six mois précédant la date de cessation des paiements »
.

Dans son jugement du 23 avril 2019, le Tribunal de Grande Instance de Metz affirme « Attendu que si l’article L. 632-1 du Code de commerce énonce que sont nuls lorsqu’ils sont intervenus depuis la cessation des paiements tous contrats commutatifs dans lesquels les obligations du débiteur excédent notamment celles de l’autres partie, il s’en déduit que ne sont pas nuls du fait qu’ils ont été conclus au cours de la période suspecte, les contrats de travail à durée déterminée qui ne renfermeraient pas de stipulations contractuelles excédant les régimes légaux ou conventionnels, particulièrement avantageuses pour les salariés et excessivement onéreuses pour la société.

Qu’au cas présent, le mandataire liquidateur, qui agit sur le fondement de l’article L.632-1 du Code de commerce, ne peut, au seul motif qu’ils ont tous été conclus pendant la période suspecte, demander la nullité de contrats de travail sans viser précisément les contrats dont s’agit et sans indiquer, pour chacun d’eux, le ou les éléments intrinsèques établissant l’existence d’un déséquilibre entre les prestations des parties.

Que seule la circonstance, à la supposer établie, que la SAS Flower Power Productions, n’était pas à même d’embaucher cinquante salariés pendant la période suspecte ne prouve pas qu’elle ne pouvait en embaucher aucun.

Que le mandataire liquidateur est d’autant plus mal fondé en sa demande qu’il ne renseigne aucunement sur le salaire, les avantages, les prestations, la qualification, le temps de travail des salariés concernés, ni sur la durée des contrats, ni sur les usages de la profession et n’indique pas en quoi les obligations de la SAS Flower Power Productions auraient notablement excédé, à la lumière de ces critères, celles de chacun des salariés, sachant que tous les contrats de travail à durée déterminée attaqués ont été conclus apparemment le même jour, à savoir le 20 avril 2017.

Qu’en l’état des éléments fournis par le mandataire liquidateur, l’annulation des contrats de travail reviendrait à sanctionner des salariés pour la seule raison inopérante qu’ils n’ont pas connu l’état de cessation des paiements de la société qui les embauchait.

Que la demande du mandataire liquidateur n’est justifiée ni en droit ni en fait.

Qu’il convient en conséquence de déclarer le mandataire liquidateur mal fondé en sa demande et de l’en débouter ».

2) Sur la compétence du tribunal.

Le Tribunal affirme que « le Conseil de prud’hommes est seul compétent pour décider de l’admission ou du rejet des créances résultant des contrats de travail attaqués ».

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum