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Obtenir l’annulation de la rupture conventionnelle : retour concret sur les vices du consentement et la fraude de l’employeur. Par David Masson, Avocat.
Parution : lundi 25 novembre 2019
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Nombre de salariés signent chaque année des ruptures conventionnelles qu’ils n’ont pas consenties, se disant que de toutes façons, ils ne pourront rien faire, que l’on ne reste pas à son poste contre le gré de son employeur. Pourtant, il existe des moyens d’en obtenir la nullité.

Ce mode de rupture du contrat de travail connaît un succès depuis une dizaine d’années.
Je n’y vois aucun inconvénient lorsque les parties sont purement et simplement d’accord, notamment lorsque le salarié y consent ou le demande.

En revanche, j’ai pu constater nombre de cas où des employeurs en arrivent à pratiquement l’imposer à des salariés récalcitrants, parfois sous la menace de représailles.

Et dans ce cas cela devient dérangeant car le régime juridique de ce mode de rupture rend très délicate la contestation en justice. Il existe pourtant des moyens assez efficaces pour faire annuler une rupture conventionnelle : l’utilisation de la théorie des vices du consentement.

Je vous propose de revenir sur plusieurs points :

1) Rupture conventionnelle et vices du consentement : Généralités.

Une convention ne sera pas valide et pourra être contestée si le salarié n’a pas donné son consentement librement. Chaque fois que le salarié aura été forcé de signer la rupture du contrat de travail par son employeur ou lorsque la rupture se sera faite dans des conditions qui lui sont défavorables, le salarié pourra contester la rupture (article L1237-11 du Code du travail).

La plupart des litiges concernent l’absence de consentement libre du salarié, et la rupture conventionnelle pourra être annulée si le salarié rapporte la preuve que sans ces manœuvres frauduleuses, il n’aurait probablement pas signé la convention de rupture conventionnelle (article L1130 du Code civil).

Le consentement n’est pas libre lorsqu’il résulte :

2) Le harcèlement moral vicie la rupture conventionnelle s’il annihile le consentement du salarié de rompre le contrat.

Contrairement à la jurisprudence applicable par le passé à la rupture d’un commun accord, les juges considèrent aujourd’hui que l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail au jour de la signature n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture « en l’absence de pression ou contrainte exercée sur le salarié pour l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle » (V. Soc. 23 mai 2013, n° 12-13.865 P, D. 2013. 1355, obs. B. Ines ; ibid. 1768, chron. P. Flores, S. Mariette, F. Ducloz, E. Wurtz, C. Sommé et A. Contamine ; ibid. 2014. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2013. 480, obs. G. Auzero , concernant une nullité de la rupture en présence de menaces de ternir la poursuite du parcours professionnel du salarié ; ou encore récemment, Soc. 15 janv. 2014, n° 12-23.942 P, D. Actu., 6 févr. 2014, obs. C. Fleuriot ; D. 2014. 214 ; ibid. 1115, obs. P. Lokiec et J. Porta).

A défaut de telles pressions ou contraintes, la nullité de la convention ne peut reposer sur de simples tensions entre les parties (V. Soc. 3 juill. 2013, n° 12-19.268 P, D. 2013. 1752 ; RDT 2013. 555, obs. G. Auzero, où la convention de rupture avait été signée alors que la salariée venait de refuser la modification de son contrat de travail, ce qui en soi se révèle insuffisant).

Mais qu’en est-il lorsque le contexte de rupture n’est pas seulement conflictuel, mais recèle une véritable situation de harcèlement moral ? Tel était précisément le cas dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 23 janvier 2019.

Dans cette affaire, une salariée engagée en qualité d’agent administratif et commercial a, après avoir signé une convention de rupture avec son employeur, saisi les juridictions prud’homales afin d’en voir prononcer la nullité.

À l’appui de sa prétention, elle invoquait que la rupture conventionnelle était intervenue dans un contexte de harcèlement moral. Cette seule circonstance permettrait, suivant l’argumentation de la salariée, d’obtenir l’annulation de la rupture de son contrat de travail, et ce sans avoir à prouver un vice du consentement, sur le fondement de l’article L. 1152-3 du code du travail.

Parmi les éléments de preuve avancés, il était question d’une dégradation progressive de l’état de santé psychique de la salariée, qu’elle imputait aux tensions qui pouvaient exister entre elle et son directeur. Plusieurs témoignages apportés dans les débats faisaient en effet état du fait qu’elle devait consigner par écrit sur un cahier toutes les tâches qu’elle accomplissait, y compris ses pauses pour aller aux toilettes, que le gérant avait demandé à plusieurs reprises si elle prenait des médicaments à ses collègues, et plus largement qu’il la dénigrait pour incompétence.

Aussi, les juges d’appel, sensibles à ces arguments ont caractérisé la situation de harcèlement moral et en ont tiré comme conséquence la nullité de la rupture conventionnelle intervenue dans ce contexte, sans exiger de la salariée qu’elle ne démontre un quelconque vice de son consentement.

L’employeur s’est alors pourvu en cassation pour contester cette solution. La Cour de cassation, au visa des articles L. 1237-11, L. 1152-1 et L. 1152-3 du code du travail, va casser l’arrêt d’appel en précisant qu’en l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture intervenue en application de l’article L. 1237-11 du code du travail.

Cette solution s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence précédemment évoquée sur les circonstances de la rupture qui sont ici encore analysées au (seul) prisme des conditions de validité des contrats, et en particulier celles inhérentes aux vices du consentement.

Pour la chambre sociale, l’argumentation se positionnant sur le harcèlement moral est jugée totalement inopérante, puisqu’elle précise que quand bien même un tel harcèlement serait établi, il n’affecte pas en lui-même la validité de la convention de rupture.

Par cet arrêt, la Cour neutralise la tentation de mettre en œuvre une stratégie argumentative se positionnant sur le harcèlement moral pour obtenir la nullité d’une rupture conventionnelle lorsque les éléments permettant de prouver un vice du consentement sont manquants.

À en suivre le raisonnement des Hauts magistrats, le salarié victime de harcèlement moral qui souhaite obtenir la nullité de la convention de rupture devra établir qu’il était placé dans une situation telle qu’il n’a pas pu donner un consentement libre et éclairé à l’acte, ce qui se révèle nettement plus compliqué.

3) La nullité issue de la non-remise par l’employeur de l’exemplaire de la rupture immédiatement après la signature.

La conclusion d’une rupture conventionnelle homologuée nécessite le respect d’une procédure permettant de s’assurer que le consentement des parties a été libre et éclairé.

Ainsi, à compter de la signature de la convention par les deux parties, chacune d’elles dispose d’un délai de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. A l’issue de ce délai, la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation au Directeur.

L’employeur doit remettre au salarié l’exemplaire de la convention juste après sa signature. Pour que ces modalités puissent s’exercer pleinement, et nonobstant le silence du Code du travail sur ce point, la Cour de cassation oblige l’employeur à remettre au salarié un exemplaire de la convention de rupture, une fois celle-ci signée (Cass. soc. 6-2-2013 n° 11-27.000 FS-PBR).

En effet, le salarié doit être en possession de ce document pour, d’une part, en demander l’homologation à l’administration et, d’autre part, exercer son droit à rétractation en toute connaissance de cause.

La Haute Juridiction, par cet arrêt du 26 septembre 2018, confirme une nouvelle fois ce principe en censurant une cour d’appel qui avait jugé valable la rupture conventionnelle, alors que l’exemplaire signé de la convention n’avait été remis au salarié qu’après la rupture de son contrat de travail, en même temps que son reçu pour solde de tout compte.

Plus récemment, la Cour suprême a invalidé une rupture conventionnelle au motif que l’exemplaire de la convention n’avait pas été remis directement au salarié (Cass. soc. 7-3-2018 n° 17-10.963 F-D). A défaut donc, la convention de rupture est nulle.

Selon la jurisprudence, en cas de non-remise au salarié d’un exemplaire de la convention de rupture, celle-ci est atteinte de nullité (Cass. soc. 6-2-3013 précité). Il s’ensuit que la rupture du contrat de travail produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié pouvant prétendre à l’indemnisation prévue dans ce cas (indemnités de préavis, de licenciement, dommages et intérêts).

4) La nullité issue de l’absence d’entretien préalable.

Dans un arrêt du 1er décembre 2016, promis à la plus large diffusion, la chambre sociale de la Cour de cassation ajoute deux nouvelles pierres à l’édifice jurisprudentiel relatif à la rupture conventionnelle, mode de rupture bilatérale prévue par les partenaires sociaux dans l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 et consacrée par la loi 2008-596 du 25 juin 2008. Ainsi, la Haute Juridiction apporte des précisions sur la conséquence de l’absence d’entretien préalable et sur la charge de la preuve en la matière.

L’entretien préalable : une condition substantielle de la rupture conventionnelle.

L’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie (C. trav. art. L 1237-11). Toutefois, certaines formalités doivent être respectées. Notamment, les parties au contrat conviennent du principe d’une rupture conventionnelle lors d’un ou plusieurs entretiens. Elles signent, pour ce faire, une convention de rupture et disposent ensuite d’un délai de rétractation de 15 jours. En l’absence de rétractation, la partie la plus diligente sollicite, à l’issue de ce délai, l’homologation de la convention de rupture auprès de la Direccte, la rupture du contrat de travail ne pouvant intervenir avant le lendemain de l’autorisation donnée par celle-ci (C. trav. art. L 1237-12 s.).

En l’espèce, les parties avaient conclu une convention de rupture mentionnant la tenue de deux entretiens. Après l’homologation de celle-ci par l’administration, le salarié en a demandé l’annulation devant le juge soutenant, qu’en fait, aucun entretien n’avait eu lieu. La cour d’appel de Toulouse a fait droit à cette demande au motif que l’employeur ne produisait aucun élément matériellement vérifiable permettant d’en attester la réalité.

La Cour de cassation, saisie d’un pourvoi, décide que le défaut du ou des entretiens est bien une cause de nullité de la convention. Elle fait ainsi de cette formalité une condition substantielle de la rupture conventionnelle. Elle est donc obligatoire, même si la loi ne prévoit aucun formalisme particulier pour la tenue du ou des entretiens (Circ. DGT 2008-11 du 22-7-2008).

Comme le souligne la Cour de cassation, dans sa notice accompagnant l’arrêt du 1er décembre et diffusée sur son site internet, les parties doivent en effet se rencontrer et s’entretenir au moins une fois pour, non seulement convenir du principe de la rupture, mais aussi en fixer les conditions et notamment déterminer l’indemnité spécifique de rupture. Pour la Cour, l’entretien ou les entretiens visent à garantir la liberté du consentement des parties. Et tout vice de consentement entraîne la nullité de la convention de rupture.

Cette nullité produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Attention, comme pour chacune des situations, la charge de la preuve pèse sur le salarié.

Il faut donc rappeler au salarié de bien faire attention à ce qu’il signe et se ménager des preuves en cas de fraude de l’employeur ou de vice du consentement.

David MASSON Avocat au barreau de GRASSE Associé-Gérant de la SELARL DMA www.davidmasson-avocat.fr