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Du nouveau pour la responsabilisation des débiteurs consommateurs. Par Thierry Gingembre.
Parution : jeudi 28 novembre 2019
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Par décision rendue le 26 septembre dernier, la justice administrative réaffirme le droit des créanciers et de leurs mandataires de solliciter amiablement une indemnisation aux débiteurs consommateurs au titre d’un préjudice indépendant de celui résultant du retard de paiement. Un débouté au goût de victoire mais tout reste à faire !

Par décision rendue le 26 septembre dernier, la justice administrative réaffirme le droit des créanciers et de leurs mandataires de solliciter amiablement une indemnisation aux débiteurs consommateurs au titre d’un préjudice indépendant de celui résultant du retard de paiement. C’est en sens une victoire pour l’ANCR et le cabinet de recouvrement « X » dans le combat qu’ils ont entrepris contre les allégations parfois hasardeuses de l’administration. C’est surtout une victoire pour la profession dans son ensemble.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : Le jugement rendu le 26 septembre par le Tribunal Administratif de Paris reste un débouté et ne met pas fin à l’opposition d’analyses existante entre l’ANCR et la DGCCRF quant aux modalités de réclamation de cette indemnisation. Le verre reste donc à moitié plein.

Avant cette décision, le cabinet de recouvrement « X » avait fait l’objet de contrôles de la DDPP locale à l’issue desquelles l’administration avait estimé que les indemnités réclamées par le professionnel aux débiteurs sur la base de l’article 1231-6 du Code Civil, étaient constitutives de pratiques commerciales trompeuses du seul fait que n’étaient pas rapportées les preuves du préjudice subi par le créancier et de la mauvaise foi du débiteur.
Le cabinet de recouvrement « X » et l’ANCR qui était intervenue volontairement à la procédure, confortés par une jurisprudence ancienne mais bien établie, soutenaient que les relances effectuées par le créancier avant la transmission du dossier pour recouvrement, suffisaient à faire supporter la charge de la preuve sur le débiteur lequel en tout état de cause avait la possibilité de refuser de régler les accessoires sollicités. Ils réaffirmaient également que les impayés généraient d’autres préjudices que celui résultant du simple retard de paiement.
Les conditions posées par l’article 1231-6 [1] étant intégralement remplies, l’administration n’aurait donc pas dû « requalifier » en frais de recouvrement, les indemnités réclamées au titre de l’article 1231-6 du code civil.

Ne boudons pas notre plaisir car cette décision a le mérite de poser et de rappeler certaines règles :
- L’activité de recouvrement de créances est soumise aux dispositions du code de la consommation,
- Les dommages et intérêts ne sont pas des frais de recouvrement,
- Il est possible pour tout créancier de demander amiablement une indemnisation à un débiteur de mauvaise foi.

1) L’activité de recouvrement de créances est soumise aux dispositions du code de la consommation.

Il n’y a plus de débats sur le sujet. Depuis la rédaction en 2016 de l’article liminaire de ce code qui définit le professionnel comme toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel, il n’est plus possible d’arguer pouvoir échapper aux sanctions afférentes aux pratiques commerciales déloyales ou trompeuses définies aux articles L. 121-2 à L. 121-4 du code de la consommation.
Le Tribunal administratif rappelle à cet effet les dispositions de l’article 3 de la directive européenne du 11 mai 2005 qui s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs (…) pendant et après une transaction commerciale.

2) Les dommages et intérêts de l’article 1231-6 du Code civil ne sont pas des frais de recouvrement.

L’analyse des juges administratifs est d’autant plus intéressante que ce constat est tiré d’une analyse contextuelle ne se limitant plus à l’article 1231-6 pris isolément. L’article est étudié au regard des articles L 111-8 du code des procédures civiles d’exécution qui visent les frais de recouvrement mais surtout du 3° de l’article R 124-4 du même code qui impose aux professionnels d’indiquer dans leur premier courrier réglementé le fondement et le détail des sommes dues. De la combinaison de ces trois articles, les juges administratifs déduisent que si le fondement de la créance ou de l’un de ses éléments accessoires repose sur l’article 1231-6 du code civil, il ne s’agit pas de frais de recouvrement interdits par l’article L 111-8.

3) Le créancier, par l’intermédiaire d’une société de recouvrement, peut solliciter à titre amiable, auprès du débiteur de mauvaise foi, le versement de sommes accessoires à la créance, nées d’un préjudice distinct du simple retard de paiement légalement encadré.

La formulation du tribunal est claire et sans ambiguïté. Ainsi, continuer à confondre frais de recouvrement avec les dommages et intérêts de l’article 1231-6 en les englobant notamment dans une même sémantique constitue selon nous une grave erreur contraire aux intérêts des créanciers impayés et à la réduction du volume des impayés en France et en Europe. Fort heureusement, le Tribunal ne l’a pas faite.

L’Administration, les tribunaux et l’ANCR sont donc sur ce sujet entièrement en phase.

Cependant la décision du Tribunal n’est pas totalement satisfaisante ce, pour 2 raisons essentielles.

Les juges estiment en effet :

1. L’administration a la possibilité de « requalifier » les dommages et intérêts réclamés amiablement en frais de recouvrement.
C’est selon nous donner un fort pouvoir d’appréciation aux fonctionnaires de terrain pas toujours au fait sur un plan juridique des questions touchant aux accessoires des créances. Nous estimons au contraire qu’à partir du moment où le débiteur est clairement informé de la possibilité qu’il a de contester dans le principe ces dommages et intérêts et que la demande au titre de l’article 1231-6 est effectuée clairement à titre amiable, il n’est pas possible pour l’administration de les requalifier en frais de recouvrement sans exercer illégalement des fonctions juridictionnelles.

2. La perception de sommes auprès du débiteur à ce titre doit néanmoins, sauf à relever de la qualification de pratiques commerciales trompeuses, être précédée d’une justification de la nature et du montant du préjudice allégué, portée à la connaissance du débiteur.

C’est là toute l’ambiguïté de la décision. Une jurisprudence ancienne et datant des années 70, jamais contredite à ce jour, a posé le double principe que la mauvaise foi d’un débiteur pouvait résulter de sa passivité et que le fait de le relancer sans cesse, constituait un préjudice distinct de celui résultant du simple retard de paiement.

Le cabinet de recouvrement « X » et l’ANCR ont bien rappelé cette jurisprudence mais le Tribunal n’a pas voulu s’y arrêter, estimant même que cette affirmation jurisprudentielle ne constituait pas « sérieusement » un argument de nature à rendre infondée l’appréciation de l’administration ; selon les juges, le seul fait pour l’administration de relever que ni la preuve de la mauvaise foi, ni celle de la réalité et du quantum du préjudice, n’étaient rapportées, suffisait à requalifier les dommages et intérêts en frais de recouvrement constitutifs de pratiques commerciales trompeuses.

On peut déduire des termes du jugement que si, a contrario, l’administration avait estimé que la preuve de la mauvaise foi et celle du préjudice étaient rapportées du fait même de l’existence de la jurisprudence antérieure, les juges auraient validé la décision de l’administration et considéré les demandes du cabinet de recouvrement « X » comme totalement légales.

En résumé, les juges s’en remettent à l’appréciation, pourtant non souveraine, de l’administration.

Quelles seraient les conséquences, si une telle décision devait se généraliser ?

1. Ce serait en premier lieu, donner un pouvoir excessif à l’administration et générer des décisions au cas par cas, très subjectives en fonction des agents administratifs de terrain et des politiques décidées par les DDPP locales.

2. Ce serait faire peser sur le créancier une charge de la preuve particulièrement contraignante, alors même que depuis 1970. la jurisprudence estime que des relances infructueuses sont suffisantes pour l’inverser et la faire peser sur le débiteur. Cette contrainte supplémentaire voulue par l’administration apparaît pourtant comme peu utile dans la mesure où déjà celle-ci oblige, à juste titre, le professionnel à informer le débiteur, de ce que la demande est faite à titre amiable et qu’il est possible d’en contester le bien-fondé et le montant ;
Si les professionnels devaient dorénavant au cas par cas, apporter d’autres éléments de preuve que ceux constitués par les relances du créancier restées sans effet, il deviendrait improductif pour les professionnels du recouvrement de traiter avec efficacité, les nombreux portefeuilles de petites créances au faible montant unitaire. Les créanciers quant à eux verraient le nombre de leurs impayés suivre une courbe exponentielle.

3. Pire encore, obliger le créancier, avant toute action de recouvrement amiable, à prouver son droit à dommages et intérêts, revient à créer un précédent dangereux, en parfaite contradiction avec le principe fondamental du consensualisme. Le droit de réclamer des dommages et intérêts au titre de l’article 1231-6, est un droit de source quasi-délictuelle. Cependant rien dans la décision ne permet en théorie, de faire échapper les droits de source contractuelle à ces mêmes contraintes.

Ainsi, si l’on analyse les conséquences logiques de la décision du Tribunal administratif, on devrait considérer qu’un vendeur qui aurait livré un bien ou effectué une prestation de services, ne pourrait pas effectuer de relances auprès de son acheteur sans être en possession des documents contractuels de nature à prouver le contrat de vente. S’il s’avérait que de tels documents existent, l’administration avec les pouvoirs exorbitants que semblent lui concéder les juges, aurait la capacité d’en déterminer leur force probante.

Rappelons le principe fondamental posé par l’article1583 du code civil : La vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix… Ainsi ce n’est pas la preuve qui fait le contrat de vente mais bien le consentement sur la chose et sur le prix.

En faisant peser sur le créancier qui se prétend titulaire d’un droit de source quasi-délictuelle, la charge de la preuve en dehors de toute instance judiciaire, les juges ont perdu de vue qu’une telle jurisprudence s’appliquerait aussi aux créanciers d’obligations de source contractuelle. Ceci serait en parfaite contradiction avec le principe du consensualisme selon lequel le contrat est conclu sans forme établie. Le consensualisme est le contraire du formalisme et le consensualisme est l’essence du contrat. En validant la position de l’administration consistant à exiger que pour faire valoir un droit, il fallait être en mesure de le prouver, les juges administratifs ont méconnu un des plus grands principes fondateurs de notre droit.

Au-delà de cette constatation purement juridique, de graves conséquences économiques pourraient résulter d’une telle décision si elle venait à faire jurisprudence :
- Il deviendrait improductif pour les entreprises de recouvrement amiable de créances de traiter les portefeuilles de petits impayés de masse sans pouvoir responsabiliser le débiteur d’une façon ou d’une autre. Dès lors que l’administration aurait un pouvoir régalien pour déterminer si la preuve de la mauvaise foi et du préjudice était bien rapportée, peu de professionnels accepteraient de traiter des portefeuilles de petites créances « b to c » au risque de tomber sous le coup des sanctions pénales afférentes aux pratiques commerciales trompeuses.
Cette obligation d’apporter la preuve, pourrait s’étendre au recouvrement amiable du montant principal de l’obligation ce qui pour le coup exclurait toute possibilité de réclamer quoique ce soit à un débiteur « qui n’a rien signé ».
- Au-delà des professionnels du recouvrement, les premières victimes seraient les vendeurs eux-mêmes. Ceux qui avant de transmettre leurs impayés à un tiers chargé du recouvrement, procèdent à des relances internes mais aussi et surtout à ceux parmi eux qui ne font pas appel à de tels tiers. Quand on tente de mesurer ce que représente l’importance dans le PIB, des contrats de vente qui ne font l’objet d’aucun document écrit, on ne peut être qu’effrayé des conséquences qui en résulteraient sur la macroéconomie.

Il y a en France 56 milliards d’impayés soit environ 2% du PIB. En Europe, ces impayés représentent 350 milliards d’euros. Le législateur européen a bien compris les enjeux liés à ces impayés en termes de croissance, d’emploi, de prix et de fiscalité. Depuis le début de la décennie des mesures ont en effet été prises pour responsabiliser davantage les auteurs de ces impayés. Cela aurait sans doute été salutaire si ces mesures ne s’étaient pas limitées aux transactions entre professionnels.
Les transactions émanant du commerce B to C échappent en effet à ces sanctions. Pourtant celles-ci ont explosé au cours des 15 dernières années, en même temps que se développait l’Internet.
Les TPE et PME œuvrant dans le B to C, doivent en effet lutter contre des impayés de plus en plus nombreux et dont le montant unitaire souvent faible ne permet pas d’envisager des poursuites par voie judiciaire. Le phénomène va s’accélérer avec la dématérialisation des paiements et des documents contractuels.

L’ANCR constatant qu’aucun dispositif ne sanctionnait les particuliers mauvais payeurs et souhaitant en alerter le gouvernement a donc cherché à connaître avec l’aide de spécialistes, les chiffres et statistiques liés à ce type d’impayés ainsi qu’à en mesurer les impacts sur le plan macroéconomique.

La surprise fût grande de constater qu’aucun chiffre ou études précises n’existaient sur ce sujet. Il n’y a, ni en France, ni en Europe, de statistiques sur les créances en B to C. Les seules données existantes sont tirées du portail du ministère de la Justice qui par définition ne recense que les impayés ayant fait l’objet d’un traitement judiciaire. En revanche, rien dans les bases traditionnelles (Eurostat, Insee, FICP, OCDE), ou institutionnelles (Assemblée Nationale, Sénat, portail européen des données) ou émanant d’autres pays de l’Union (Cairn, OECD) à propos des impayés ne faisant l’objet d’aucune procédure judiciaire.

Ainsi en faisant en France et en Europe, de la lutte contre les retards de paiement une priorité, on oublie de prendre en compte une des composantes essentielles du fléau. Qui sont les victimes ? Les professionnels, les commerçants, les entreprises et startups, œuvrant dans le B to C et dont la pérennité pour certains est gravement menacée par le phénomène, leurs clients bon payeurs qui voient les coûts de ces impayés répercutés sur les biens et services qu’ils achètent et l’état qui doit subir un manque à gagner important en matière de TVA et d’IS.

Récemment la Fenca (Federation European National Collection Associations) qui regroupe les principaux Syndicats européens du recouvrement amiable a enquêté auprès de ses membres afin de mesurer l’impact du B to C au niveau de leur activité. Les chiffres qui en ont résulté sont édifiants et ce d’autant plus qu’ils n’intègrent pas les professionnels européens non affiliés à des organisations patronales. Ainsi en 2018, les organisations affiliées à la FENCA recensait 218 millions de dossiers B to C contre 29 millions en B to B ce, pour des montants globaux respectifs de 338 milliards d’euros et de 54 milliards.
La décision qui vient d’être rendue par le Tribunal administratif va à contresens de l’intérêt général ; souhaitons que les recours qui vont être exercés contre cette décision permettent de revenir à la raison.
L’ANCR préconise qu’il soit mis fin rapidement et logiquement, à l’immunité des débiteurs non commerçant laquelle est « sociétalement » condamnable et économiquement nocive. Pour ce faire, elle souhaite engager avec les autorités concernées, des travaux destinés à mettre en place un système de sanctions financières comparable à ce qui existe dans le B to B ainsi que des outils pour mesurer avec précision l’impact des retards de paiements et des impayés générés par les particuliers.

Thierry GINGEMBRE, Président de l'ANCR - Syndicat National des Cabinets de Recouvrement de Créances et de Renseignements Commerciaux

[1Article 1231-6 du Code civil : Les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d’une obligation de somme d’argent consistent dans l’intérêt au taux légal, à compter de la mise en demeure. Ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte.Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire.